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De la médiation proposée par Tebboune dans la guerre russo-ukrainienne

Excès d’espoir ou audace diplomatique ? Les bons offices du président Abdelmadjid Tebboune dans la guerre russo-ukrainienne ont du mal à se déployer sur le terrain. Les Ukrainiens et leurs alliés occidentaux sont encore loin pour les accepter. Décryptage.


Abdelmadjid Tebboune et Ahmed Attaf. Photo : présidence de la République algérienne.

Lors de sa visite d’État en Russie, les 13, 14, 15 et 16 juin 2023, le président Abdelmadjid Tebboune a déclaré qu’il allait commencer une médiation pour tenter de mettre fin à la guerre en Ukraine. Sa visite à Moscou et Saint-Pétersbourg fait déjà partie de l’histoire. Mais ses services diplomatiques n’ont depuis rien dévoilé de précis sur la manière dont va être déployé l’effort de bons offices proclamé sur ce terrain où d’autres missions de conciliation ont échoué.

Quelques semaines plus tard, la tournée européenne effectuée par le chef de la diplomatie Ahmed Attaf entre le 20 et le 23 juin 2023 a montré que l’initiative annoncée par Tebboune est proprement algérienne.

Pour le chef d’État algérien, ce n’est pas une entreprise multilatérale de conciliation analogue à celle du « groupe de contact des États arabes » que l’Algérie avait conduit avec d’autres dès les premières semaines suivant l’invasion des troupes russes en Ukraine. Il s’agit donc d’une action en solo que Tebboune semble vouloir mener d’abord avec les pays européens « amis » dont l’Italie et l’Allemagne où son ministre des Affaires étrangères s’était rendu.

Mais les consultations que Attaf a eues durant son périple italien et allemand – il s’est rendu à Belgrade, en Serbie aussi – ont montré la difficulté pour l’Algérie et sa diplomatie à se faire entendre sur la question ukrainienne, même auprès des États européens avec lesquels elle poursuit actuellement de bonnes relations.

Si à Rome, le gouvernement de Georgia Meloni qui soutient Kiev contre Moscou, s’était drapé dans le silence de la discrétion par égard pour le partenaire algérien, passé au rang stratégique de fournisseur de gaz, à Berlin, où l’on n’a pas la même relation énergétique et économique avec Alger, la parole a été plus spontanée et franchement plus rude quant à toute discussion qui affranchirait la Russie de son rôle en Ukraine depuis le 24 février 2022.

Attaf s’en est rendu compte avec embarras lors de la conférence de presse animée, jeudi 22 juin à Berlin, avec son homologue allemande. Devant les médias, Annalena Baerbock a dû lui souligner que leurs deux pays – qui cherchent à performer leur coopération dans différents domaines dont celui médiatisé du renouvelable énergétique – ont cependant des « positions très éloignées » sur le conflit.

Et qu’au point de vue de la chancellerie d’Olaf Scholz, l’« agresseur » russe doit être distingué de l’outragé ukrainien. L’écart qu’elle a fait apparaître ce jour-là entre les positions allemande et algérienne vis-à-vis de la Russie de Poutine n’était pas une surprise : l’Allemagne soutient activement en tant qu’État membre de l’Union européenne de l’OTAN l’effort de combat ukrainien contre les troupes russes.

Ce fut un excès d’espoir de la part des responsables algériens, et du président Tebboune en premier, de croire qu’il peut se faire entendre par des États européens engagés militairement dans le soutien à l’Ukraine et servir de médiateur juste après avoir conclu avec la Russie une « déclaration de partenariat stratégique approfondi ».

En affichant de manière spectaculaire – sur fond de guerre – une entente parfaite avec Vladimir Poutine, Tebboune s’est, en effet, interdit toute recherche d’arrangement qui contrarierait l’homme fort du Kremlin, qui n’entend pas désarmer. Il s’est pareillement organisé pour limiter ses chances de conciliateur et d’écoute par des Européens et des Occidentaux qui ont perçu de la part des autorités algériennes, à travers sa visite d’État en Russie, une inclinaison pro-Poutine.

Audace diplomatique ? Plutôt une pirouette dont l’effet de nuancer la vision qu’ont les États occidentaux d’une Algérie alignée sur le camp russe n’a pas été obtenu. Avant le président Tebboune, les chefs d’États africains Cyril Ramaphosa (Afrique du sud), Macky Sall (Sénégal) et Hakainde Hichilema (Zambie), ainsi que Azali Assoumani (Comores) sont revenus bredouilles de leur déplacement à Kiev puis à Moscou, les 16 et 17 juin 2023.

Aucun d’eux n’a pourtant prononcé des propos aussi courtois et aussi élogieux que ceux du président algérien devant son homologue russe, vendredi 16 juin lors du forum économique de Saint-Pétersbourg.

Alger-Kiev, une relation « au ralenti »

Qu’en pensent les Ukrainiens ? Le chargé d’Affaires de l’Ukraine en Algérie Oleksandr Kompaniiets affirme « ne pas être mis au courant d’une quelconque initiative de médiation » proposée par l’Algérie à Kiev. Il assure que « l’Algérie est totalement souveraine dans ses choix et ses actions ». Cependant, il anticipe l’obstacle auquel se heurterait toute action algérienne de ce genre, si elle venait d’être entreprise « dans le contexte actuel » en direction du gouvernement ukrainien.

Écoutons ce qu’il dit : « Depuis l’agression russe, le monde, pour nous, est passé, d’une sorte, de la couleur au noir et blanc ». « Tout ce qu’il s’y passe, nous l’interprétons en fonction de la guerre, de ce qu’on fait et de ce qu’on dit à son sujet. En Ukraine, il n’y a pas de conflit ou de crise comme je l’entends souvent ici. Il y a une guerre qui est menée par la Russie contre mon pays en violation des lois et traités internationaux. Il y a une agression caractérisée, inacceptable condamnée par les Nations Unies ».

Sa parole fait entendre en basse intensité l’écho du discours plus direct et plus critique que le président Zelensky avait tenu au sommet de la Ligue arabe du 19 mai 2023. A Djeddah où il était l’invité de l’Arabie Saoudite, le président ukrainien n’avait ainsi pas hésité à reprocher à certains des États membres de « fermer les yeux sur les prisons et les annexions illégales » dont la Russie de Poutine, avait-il martelé, s’était rendue coupable.

Résonnance encore, le chargé d’affaires Oleksandr Kompaniiets soutient que les autorités ukrainiennes « n’oublient pas que l’Algérie a des intérêts importants » avec Moscou, plus de trois milliards de dollars d’échanges dominés par le marché de l’armement et de l’équipement militaire.« Mais les Ukrainiens souffrent et meurent », déplore-t-il.

« On comprend mal pourquoi et on regrette qu’il n’y ait pas eu de la part de l’Algérie, qui affirme respecter notre souveraineté dans nos frontières de 1991, un soutien au moins humanitaire comme celui qui nous a été apporté par l’Arabie Saoudite (400 millions de dollars en octobre 2022, ndlr) ou les Emirates Arabes Unies ». 

Le regret du diplomate ukrainien n’encourage pas au débat sur l’ambition de bons offices du président Tebboune et sur ses marges de manœuvre à se porter médiateur dans la guerre russo-ukrainienne. Il exhorte en revanche à sonder la capacité de l’Algérie à préserver le minimum de ses relations bilatérales.

« On peut envisager que les moteurs ukrainiens des bombardiers d’eau Beriev soient montés ici en Algérie »

Oleksandr Kompaniiets

A fin décembre 2021, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint les 600 millions de dollars, essentiellement pour les céréales, les métaux et les produits pétroliers. En janvier 2022 uniquement, ils étaient de 100 millions de dollars et devaient enregistrer une tendance haussière entravée par la guerre.

L’Algérie devait s’équiper d’avions bombardiers d’eau et de lutte contre les feux de forêts, sauf que la particularité de ces appareils est qu’ils devaient être équipés par les Russes pour la partie carrosserie et par les Ukrainiens pour la partie motorisation, notamment par Motor Sich un des fleurons de l’industrie aéronautique ukrainienne.

Or, ce contrat n’a pas abouti en raison du refus du gouvernement et du motoriste ukrainiens de voir leurs moteurs montés en Russie (après des discours du ministre de l’Intérieur algérien au mois d’avril 2023), non pas par précaution de secret industriel mais pour éviter « toute mauvaise surprise à se voir désignés du doigt en cas de défaillance technique ».

Oleksandr Kompaniiets n’exclut toutefois pas la mise à jour de la transaction sous une forme plus acceptable pour la partie ukrainienne : « On peut envisager que les moteurs ukrainiens soient montés ici en Algérie », explique-t-il. Il souhaite également que les échanges bilatéraux, « qui ne sont pas rompus mais ralentis », retrouvent un rythme « moins faible » et « s’élargissent à tous les domaines d’intérêt commun ».

Le 24 février 2023, Alger a annoncé sa décision de rouvrir son ambassade à Kiev et d’envoyer un chargé d’affaires pour « sauvegarder » « les intérêts de l’État algérien (…) ainsi que ceux de la communauté nationale » en Ukraine dont 434 étudiants inscrits actuellement dans les universités ukrainiennes qui comptaient le double avant la guerre.

Pour des analystes algériens, il s’agit d’un « intérim de réciprocité » après les adieux de l’ambassadeur ukrainien Maksym Subkh qui a rejoint à la fin de son mandat de représentant de l’Ukraine en Algérie au début de l’été 2022 son ministère pour occuper à Kiev le poste d’énvoyé spécial au Moyen-Orient et en Afrique. Mais les affaires n’ont pas bougé.

Une dizaine d’accords politiques, économiques, touristiques et culturels attendent d’être paraphés depuis 2019. Assurer leur exécution serait déjà un acte d’impartialité inouïe, en attendant que l’offre de médiation trouve son chemin ou pas.