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Charges sans contreparties : les locataires AADL en guerre contre GESTIMMO

Alors qu’une partie des charges versées à l’AADL est censée financer l’entretien et la sécurité via sa filiale GESTIMMO, de nombreux habitants disent payer dans le vide. Ascenseurs en panne, escaliers sales, absence d’agents de sécurité… Face à cette réalité, certains saisissent la justice pour se libérer de ces frais qu’ils jugent injustifiés, mais se heurtent à une machine bureaucratique. Plongée dans une gestion opaque et contestée.


Siège de l'AADL.

À la nouvelle ville de Sidi Abdellah, les bénéficiaires des logements AADL souffrent de l’absence de GESTIMMO, censée assurer l’entretien et la sécurisation de leurs cités. Les habitants, qui versent pourtant les frais liés à ces services, se retrouvent livrés à eux-mêmes à chaque panne d’ascenseur, et même pour le nettoyage des paliers et des escaliers, entre autres manquements de service..

« Je pourrais dire que GESTIMMO est pratiquement absent sur les lieux, mis à part pour déposer le reçu de paiement du loyer. Il n’y a aucune autre intervention de leur part, et les réclamations ne sont pas prises en charge », peste Tinhinane, bénéficiaire d’un logement AADL depuis 2019.

Quand Tinhinane, 28 ans, et sa famille ont quitté le quartier de Belouizdad pour rejoindre leur nouveau domicile à Sidi Abdellah en 2023, ils ont été heurtés à l’absence de GESTIMMO, pour laquelle ils versent pourtant des frais de nettoyage, de sécurité et d’entretien des ascenseurs.

« Parmi les problématiques rencontrées figurent en premier lieu les pannes d’ascenseur, puisque nous habitons une tour de quinze étages. L’immeuble en contient deux. L’un est à l’arrêt depuis que nous avons emménagé; quant au second, il est pris en charge par les habitants qui contribuent à chaque panne pour le réparer. Nous avons réclamé pour le premier à plusieurs reprises, mais à chaque fois, nous recevons des promesses sans suite », affirme Tinhinane, qui habite au 12e étage et dont la mère, âgée, souffre de problèmes de genoux.

« En plus des problèmes d’ascenseur, nous avons une absence totale de tout service de conciergerie. Il n’y a ni femme de ménage ni agent de surveillance », ajoute-t-elle.

L’herbe n’est pas verte ailleurs

Les conditions ne sont pas meilleures dans les autres cités AADL. À la cité Mokhtar Zerhouni des Bananiers à Alger, les habitants ne reçoivent pas les services pour lesquels ils paient. « Les deux ascenseurs de notre bâtiment ne fonctionnent plus depuis dix ans. Nous avons réclamé, mais ils nous ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire pour les réparer. Sans les voisins qui ont cotisé et géré les réparations eux-mêmes, notre immeuble de quinze étages serait resté sans ascenseur », affirme Manel.

« Au-delà de ça, nous sommes restés deux ans sans femme de ménage. Elle a repris récemment, mais elle ne vient pas régulièrement », poursuit la jeune femme.

Aux Eucalyptus, les habitants des cités AADL dénoncent eux aussi une gestion anarchique des lieux. Certaines doléances ne sont prises en charge qu’après de multiples va-et-vient. D’autres restent en suspens.

« À chaque panne d’ascenseur, les habitants se réunissent pour aller réclamer auprès de l’AADL afin que les réparations soient prises en charge. Mais si on répond à cet appel, d’autres réclamations restent sans réponse. Au début, il y avait un concierge pour chaque immeuble, aujourd’hui, nous n’en avons que deux pour toute la cité », déplore Maria.

« Le nettoyage n’est pas pris en charge non plus. Nous nous sommes mis d’accord avec quelques voisins pour engager une femme pour nettoyer les escaliers, mais certains ont refusé de participer puisqu’ils paient déjà GESTIMMO pour ce service », regrette-t-elle.

Payer en règle et en noir

Karim* est technicien d’ascenseurs. Il est souvent appelé à intervenir dans les cités AADL. « C’est un travail que je fais en plus pour arrondir mes fins de mois. Toutes les fois où j’ai été appelé, c’était par les habitants des cités. Ce sont eux qui cotisent pour nous payer. Ils font tout par eux-mêmes, de la recherche du contact jusqu’au paiement », explique Karim, qui requiert l’anonymat.

« J’ai même eu des appels d’autres wilayas. Quand je ne peux pas me déplacer moi-même, je leur recommande quelqu’un sur place », poursuit-il.

D’après Karim, les tarifs de réparation varient selon la panne mais restent souvent très chers. « Le fait de cotiser entre voisins allège la charge des frais, mais certaines réparations demeurent très coûteuses. Et quand il y a une pièce manquante, la prise en charge devient impossible. Nous avons fait face à ce scénario plusieurs fois, notamment en raison du vol », confie-t-il.

Le wali d’Oran relance le débat

Ce calvaire, qui dure depuis plusieurs années, a été remis sur le devant de la scène après les déclarations du wali d’Oran, Samir Chibani, lors d’une visite d’inspection au pôle urbain Ahmed Zabana de Messerghine en mars dernier.

« Nous sommes ici au niveau d’une cité AADL. Le grand absent ici, c’est l’AADL. Il n’y a ici ni le directeur régional, ni le directeur de wilaya de l’AADL, ni GESTIMMO, alors que tous les responsables de la wilaya sont présents. GESTIMMO et l’AADL sont des entreprises défaillantes sur tous les plans, notamment en matière de gestion. C’est flagrant, comme vous pouvez le constater », a accusé le wali devant les caméras.

Le coup de gueule du wali avait largement été relayé sur les réseaux sociaux, poussant le directeur de l’AADL, Riad Kamdani, à réagir.

Dans une vidéo publiée sur la page officielle de l’agence, le responsable a précisé que les services d’entretien au niveau de la cité AADL dans la commune de Messerghine ne sont plus assurés par GESTIMMO depuis 2023.

« Nous informons l’opinion publique que le wali d’Oran, le chef de la daïra de Boutelelis et le président de l’APC de Messerghine ont été saisis par courrier en date du 23 avril 2023 pour les informer de l’arrêt des prestations d’entretien au niveau de 51 immeubles, à la cité 2000 logements (site HPC41), et ce, du fait que les résidents ont bénéficié de décisions de justice portant sur la non-inclusion des charges communes dans les quittances, et ne garder que les frais mensuels du loyer », a précisé le DG de l’AADL.

Recours judiciaire, obstacle bureaucratique

Mais c’est justement le manquement contractuel de la part de GESTIMMO qui pousse de nombreux locataires à saisir la justice pour se dédouaner de ces frais, qu’ils estiment jetés en l’air.
Le cas de Messerghine n’est pas isolé. Aux logements AADL d’El Rahmania à Alger, les locataires ont pris la voie judiciaire.

« Nous versions des frais à GESTIMMO pour un service de sécurité, de conciergerie, pour l’entretien des ascenseurs ainsi que pour l’entretien de la cité et des paliers. Mais puisque nous ne recevions aucun de ces services, nous avons décidé de nous en libérer », raconte Bouchra qui s’acquittait d’une facture de 5600 DA par mois dont 1100 DA destinés à GESTIMMO.

Mais ce recours judiciaire est souvent entravé par la machine administrative, ce qui en décourage plus d’un. C’est le cas de Samia* bénéficiaire d’un logement AADL à Rahmania, Alger, en 2021.

« J’ai refusé de rejoindre mes voisins dans leur affaire contre GESTIMMO en 2022 car j’habite au 9ème étage et il m’était impensable de prendre en charge ces frais, notamment ceux de la réparation d’ascenseurs, par moi même. Aujourd’hui je me rends compte que je paie des deux côtés mais les entraves bureaucratiques me découragent d’intenter une nouvelle procédure”, témoigne Samia sous couvert d’anonymat. 

Samia nous explique que ses voisins qui ont eu gain de cause face à GESTIMMO ont été empêchés par l’administration d’aller au bout de leur victoire.

Leurs factures n’ont toujours pas été mises à jour. Certains ont donc décidé de ne pas les régler jusqu’à ce qu’elles soient modifiées mais ils ont reçu des avertissements de la part de l’AADL et se sont retrouvés obligés de payer par peur de pénalités de retard”, témoigne Samia.

Fondée en 2009, l’entreprise GESTIMMO, affiche un bilan en nette progression. Selon les derniers bilans accessibles au Centre national du registre du commerce (CNRC), GESTIMMO a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 7,97 milliards de dinars, pour un résultat net bénéficiaire de 1,08 milliard de dinars.

À la cité Sidi Abdellah de Zéralda, des habitants saisissent aussi la justice pour se libérer des frais de GESTIMMO. La peur administrative au ventre.

« Nous avons engagé un avocat dernièrement. C’est toujours en instance. Une fois l’affaire gagnée, la suppression des frais de la facture devient un calvaire. Il faudra aller récupérer les frais payés », confie Tinhinane.  

La jeune femme espère voir sa facture allégée sans passer par des labyrinthes bureaucratiques. Les bénéficiaires exemptés des charges GESTIMMO ne peuvent plus régler leurs factures en ligne et doivent se déplacer à la banque, une complication de plus pour ceux qui espéraient en finir avec ces frais

Sur son site officiel, GESTIMMO propose une demande de réintégration si les personnes souhaitent se réabonner à ses prestations après une décision de justice.

Nos tentatives pour contacter l’AADL et GESTIMMO afin d’avoir leur réaction sont restées vaines.

Une croissance soutenue au rythme des livraisons de l’AADL

Fondée en 2009, l’entreprise GESTIMMO, affiche un bilan en nette progression. Selon les derniers bilans accessibles au Centre national du registre du commerce (CNRC), GESTIMMO a réalisé en 2022 un chiffre d’affaires de 7,97 milliards de dinars, pour un résultat net bénéficiaire de 1,08 milliard de dinars. Une performance en hausse de 26 % par rapport à l’année précédente, où l’entreprise avait dégagé un chiffre d’affaires de 5,9 milliards de dinars et un bénéfice de 827,7 millions de dinars.

En 2010, à peine un an après sa création, GESTIMMO ne pesait encore que 914 millions de dinars de chiffre d’affaires, pour un bénéfice de 2 millions. Douze ans plus tard, le chiffre d’affaires a été multiplié par huit. À mesure que l’agence  AADL livre de nouvelles unités à travers le territoire national, GESTIMMO élargit son périmètre d’intervention et voit ses revenus croître en conséquence, l’entreprise bénéficiant de fait d’un monopole sur la gestion des ensembles immobiliers livrés dans ce cadre.

Cette position dominante lui permet de capter une manne financière importante, en partie redistribuée à un réseau de sous-traitants chargés des prestations de gardiennage, de nettoyage ou encore de maintenance technique. Mais sur le terrain, de nombreux résidents dénoncent la piètre qualité des services rendus. Une situation qui interroge sur la régulation et le contrôle de ces prestations.