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La maison de ma grand-mère (poème)

Ce poème inédit de Lamis Saidi est publié dans le dernier numéro de la revue de critique littéraire Fassl, un numéro consacré en entièrement à la poésie.


Lamis Saidi.

Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
la maison qui est tombée suite au tremblement de terre d’octobre
en 1980
la maison est tombée mais elle n’a pas été détruite.
J’aime penser que les maisons ont des genoux
qui se dérobent quand le sol cesse d’être ferme sous les pieds.
Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
la maison avec le muret de devant
auquel pendaient des grappes de raisin jaune tout l’été
jusqu’à fin septembre – début de la saison des tremblements de terre
la maison où les gens de passage frappaient à la porte
pour demander la permission de cueillir les fruits appétissants de la
vigne
une vigne née d’une simple tige, trouvée par ma tante, par hasard, au
bord de la route, et qu’elle a plantée avant de mourir à dix-sept ans.

Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
la maison qu’elle a reçue en héritage d’un mari généreux
(pas mon grand-père)
et qui est tombée quelques mois avant ma naissance

tombée dans une ville dont on a changé le nom
à laquelle on a donné le nom du fleuve qui, tari aujourd’hui, la traverse
comme une cicatrice : le Chlef.

Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
mais ce sont des souvenirs pour mes grands frères
des anecdotes et des noms de voisins qu’ils se balancent
comme ils s’envoient le ballon à coups de pied
dans le petit appartement
le ballon qu’agile comme une ombre je rattrape au vol.

Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
mais j’ai connu le manteau de l’Ayachi
un manteau qui ressemble beaucoup au pardessus d’Akaki
dans la célèbre nouvelle de Gogol
l’Ayachi, était un derviche qui faisait le tour des maisons
dans une boucle mystique
et qui a suivi ma grand-mère de sa maison tombée à la nouvelle
la bicoque, la berraka, je veux dire
un préfabriqué de forme rectangulaire
qui ressemble aux mobil-homes des stations balnéaires, en enfer
l’Ayachi auquel ma grand-mère préparait une tasse de café
chaque fois qu’il venait chercher
sa douceur
et qui est devenue l’unique fenêtre mitoyenne entre deux murs.

Je n’ai pas connu la maison de ma grand-mère
la maison qui a probablement vibré au moment où deux corps ont vibré
pour me permettre de me faufiler à la conscience du monde comme
une impression de déjà-vu
pour que les grappes de raisin disparaissent

que disparaisse le bruit des doigts des étrangers sur les portes
et que les pas des derviches s’obstinent à suivre ma grand-mère.
Pour que je devienne la grappe de raisin
que je devienne le bruit des doigts inconnus sur les portes
que je devienne les pas des derviches qui vont là où va ma grand-mère.


Traduit de l’arabe par Lotfi Nia.