Éduquées, mais marginalisées : c’est le paradoxe que met en lumière le dernier rapport de la Banque mondiale, publié le 1er août 2025, sur l’intégration économique des femmes au Maghreb. Les femmes algériennes n’ont jamais été aussi instruites, ni joui d’aussi bons indicateurs de santé. Mais elles sont, dans leur grande majorité, exclues du marché du travail.
L’indice de capital humain (HCI), élaboré par la Banque mondiale, évalue les perspectives de développement d’un enfant en fonction de sa santé et de son éducation. En Algérie, comme au Maroc et en Tunisie, les scores sont comparables à la moyenne de la région MENA (0,57), et les filles y surpassent même légèrement les garçons. Cela signifie qu’une enfant née aujourd’hui en Algérie ne réalisera que 57 % de son potentiel économique si elle n’a pas accès à une éducation complète et à des soins de santé optimaux.
Ce constat est d’autant plus intéressant que les femmes algériennes affichent des indicateurs de santé supérieurs à la moyenne mondiale : leur espérance de vie dépasse la moyenne de la région et s’est accrue de cinq ans au cours des deux dernières décennies. Elles sont également plus nombreuses à achever leurs études secondaires et supérieures que les hommes. Mais force est de remarquer, selon la Banque Mondiale, que l’économie algérienne, qu’elle soit formelle ou informelle, reste largement hermétique à la force de travail féminine.
Quota dans les assemblées élues
En 2023, selon les chiffres fournis par la Banque mondiale, seulement 17 % des femmes algériennes en âge de travailler étaient actives sur le marché du travail – il est de 22%, soit près de 3 millions, selon les chiffres de L’ONS publiées en octobre 2024. L’écart avec les hommes, dont le taux de participation avoisine les 60 %, reste énorme. Et même lorsqu’elles cherchent un emploi, les femmes sont plus susceptibles d’être au chômage que leurs homologues masculins.
Le taux de chômage féminin atteint 20 %, contre 12 % chez les hommes. La fracture est également géographique. Les femmes urbaines ont davantage de chances d’accéder à un emploi que les femmes rurales, alors même que le niveau d’éducation équivalent ne suffit pas à atténuer cette disparité.
Face aux multiples blocages du secteur formel, beaucoup de femmes se tournent vers l’économie informelle. Celle-ci représente une part substantielle du tissu économique, échappant aux radars des politiques publiques et à toute forme de protection sociale. Si elle offre une porte d’entrée plus souple, elle condamne aussi les femmes à une précarité durable : bas salaires, absence de droits, marginalité.
L’entrepreneuriat féminin, autre levier d’émancipation économique, suit une trajectoire déclinante. Depuis 2000, l’auto-emploi des femmes a chuté de 14 points en Algérie. Elles ne représentent plus que 16 % des propriétaires d’entreprises, un chiffre qui stagne à cause notamment de l’accès restreint au crédit, au foncier, et aux réseaux.
La sphère politique n’échappe pas à cette logique. Certes, l’Algérie, à l’instar de ses voisins, a instauré des quotas de genre dans les assemblées élues, conformément aux recommandations internationales. Ces mécanismes ont permis une hausse quantitative du nombre de femmes parlementaires. Mais dans les faits, la représentativité reste faible et souvent instrumentalisée.
Le rapport de la Banque mondiale souligne un phénomène particulièrement parlant : dans plusieurs pays du Maghreb, dont le Maroc et vraisemblablement l’Algérie, une part importante des élues accède au Parlement non pas en vertu d’un parcours politique autonome, mais via des liens familiaux ou clientélistes avec des leaders masculins.