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À l’ère de l’IA, le ministre des Affaires religieuses met en garde contre les « fatwas numériques »


Dans un monde où les algorithmes s’invitent jusque dans les sphères spirituelles, la tentation de remplacer le mufti par la machine est réelle. Au Caire, où se tient le dixième Congrès mondial de l’iftaa sous l’égide de Dar el Iftaa égyptienne, le ministre algérien des affaires religieuses et des wakfs, Youcef Belmehdi a mis en garde contre cette tendance.

« L’intelligence artificielle ne peut être un substitut au mufti humain, capable d’effort intellectuel (ijtihad) et de compréhension des finalités de la charia », a-t-il déclaré devant un parterre de savants et de responsables religieux. Dans son intervention, Youcef  Belmehdi a dressé le constat suivant : les technologies de l’IA offrent un accès rapide et massif aux textes religieux et aux avis juridiques, mais elles ouvrent aussi la porte, selon lui, à des dérives, des approximations et des manipulations, si elles échappent à un contrôle humain qualifié.

Pour le ministre, il ne s’agit pas de « rejeter la technologie », mais de « l’absorber et de la guider » vers des usages conformes aux objectifs de la loi islamique (maqâsid el charia). Il plaide pour un encadrement fondé sur des règles « strictement religieuses et éthiques » : supervision scientifique continue par des savants, transparence et responsabilité dans l’utilisation des systèmes automatisés, respect du pluralisme juridique, et sensibilisation du public à l’importance de consulter des autorités compétentes.

Les fatwas numériques

Youcef Belmehdi insiste également sur de nouvelles missions pour le mufti d’aujourd’hui : vérifier la fiabilité des sources numériques avant toute réponse, corriger en amont les informations erronées circulant en ligne, et renforcer « l’immunité cognitive » des fidèles à travers des programmes pédagogiques expliquant les mécanismes de manipulation du contenu religieux.

La révolution technologique oblige, selon le ministre, à « repenser la formation, la fonction et la responsabilité » du mufti. Celui-ci devrait conjuguer érudition traditionnelle et maîtrise des outils contemporains, tout en restant un « gardien du discours religieux » capable de distinguer ce qui, dans la technologie, sert l’intérêt général de ce qui le met en péril.

L’essor des « fatwas numériques », souvent générées par des systèmes formés sur d’immenses bases de données religieuses, constitue selon lui « un tournant » dans l’histoire de l’iftaa. Sans supervision humaine, prévient-il, ces systèmes risquent de fournir des avis hors contexte, déconnectés de la réalité vécue par les musulmans.

Pour le ministre des Affaires étrangères, la fatwa est un instrument de « régulation sociale et de paix civile ». Dans un monde régi par « l’accélération numérique », sa fiabilité devient essentielle, selon lui, pour contrer la désinformation et éviter que l’espace religieux ne soit livré aux logiques opaques des algorithmes.