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Le spectre du retrait de nationalité refait surface


Trois ans après sa mise au placard, le débat sur la déchéance de la nationalité algérienne refait surface. À l’origine de ce retour, une proposition de loi déposée par Hichem Sifer, député du Rassemblement national démocratique (RND), visant à amender la loi de 1970 sur la nationalité. Le texte prévoit la possibilité de « déchoir de leur nationalité » les Algériens établis à l’étranger qui commettraient des actes portant atteinte aux « intérêts supérieurs de l’État » ou à « l’unité nationale ».

En 2021, un projet de même nature, a été initié par le gouvernement sous l’égide de l’ancien ministre de la Justice Belkacem Zeghmati. Face aux accusations de dérive autoritaire et de menace pour la cohésion nationale, le pouvoir avait alors reculé. Il a préféré geler le texte.

Le nouveau projet, d’origine parlementaire cette fois, se veut différent. Selon son auteur, il ne s’agit pas de remettre en cause le lien de nationalité, mais de « l’encadrer ». Notamment pour faire face à des situations jugées « extrêmes ». Hichem Sifer plaide une adaptation du droit algérien aux « mutations constitutionnelles et engagements internationaux du pays ». Il défend aussi un « droit souverain » de l’État à se protéger.

Des critères d’application élargis

Le texte vise principalement les Algériens résidant à l’étranger. Ceux accusés de nuire aux intérêts du pays en collaborant avec une puissance étrangère, malgré un avertissement officiel. Il concerne ceux qui continuent à servir dans des forces armées étrangères, appartiennent à des organisations hostiles ou terroristes, ou encore expriment publiquement une allégeance à un autre État.

La procédure se fait en plusieurs étapes : avertissement préalable, délai de soixante jours pour se rétracter, décision finale par décret présidentiel, et possibilité de recouvrer la nationalité après deux ans. Cela est possible si les conditions de « loyauté » sont rétablies. Un dispositif inspiré, selon le député, des pratiques de certains pays occidentaux. Le projet de loi reste, selon lui, « conforme à la Constitution et au droit international ».

« Protéger la cohésion nationale »

« Le lien de citoyenneté ne peut pas être un bouclier pour ceux qui attaquent leur propre pays », argumente Hichem Sifer. Il affirme vouloir « protéger la cohésion nationale face aux menaces hybrides et informationnelles venues de l’étranger ».

Mais pour nombre de juristes et de défenseurs des droits humains, cette rhétorique fait écho à celle de 2021. Ils estiment que les mêmes dangers subsistent. Le projet actuel, bien que reformulé, semble réveiller les mêmes réflexes de suspicion ou d’interrogation sur la nature du lien qui unit l’État à ses citoyens. Surtout, dans des contextes politiques tendus, ce type de loi peut être instrumentalisé contre des voix critiques sous couvert de protéger la sécurité nationale.

La difficulté réside dans la définition de ce qui constitue une atteinte aux intérêts supérieurs de la nation. À l’heure où une partie de la diaspora algérienne s’exprime librement sur les réseaux sociaux et dénonce la gouvernance du pays, où placer la limite entre dissidence politique et trahison ? En 2021 déjà, l’on craignait une volonté de « punir la parole critique » plutôt que de protéger la souveraineté. Les mêmes inquiétudes resurgissent aujourd’hui. Si la loi venait à passer, qui déciderait de ce qu’est un acte hostile ? Et sur quels critères ?

Une nationalité sous condition

Au-delà de la dimension juridique, ce retour du projet révèle un malaise plus profond, celui du rapport de l’État algérien à sa diaspora. Longtemps perçue comme une richesse économique et culturelle, celle-ci est désormais traversée par une défiance croissante vis-à-vis du pouvoir. En la plaçant sous la menace d’une déchéance de nationalité, le message envoyé semble moins celui du dialogue que du soupçon. Or, ce dont l’Algérie a besoin, ce n’est pas d’exclure ses enfants. Mais de renforcer la confiance entre eux et l’État.

Reste à savoir si le texte franchira le filtre parlementaire. Officiellement, il ne s’agit pour l’heure que d’une proposition individuelle. Mais cela permet de tester l’opinion publique. Peut-être pour préparer le terrain à un durcissement législatif à venir. Le texte interroge sur les questions suivantes : qui détermine ce qu’est une « atteinte aux intérêts supérieurs » ? Où se situe la frontière entre l’opposant politique virulent et l’ennemi de la nation ?