
Le Festival international de Timimoun a tiré le rideau mardi 18 novembre, après six jours d’effervescence sous la lumière douce du Gourara. Une semaine dense ,rythmée par des films, des débats, des tables rondes, des masterclasses et des conférences où l’on parlait enfin de cinéma dans un festival institutionnel. Au centre des discussions : comment se débarrasser du vieux regard colonial, comment reconquérir nos propres images, comment raconter nos histoires de l’intérieur.
Côté public, le festival a fait carton plein. Chaque soir, les gradins du théâtre affichaient complet. Le plus émouvant restait ces enfants de Timimoun, qui foulaient pour la première fois la salle de cinéma récemment réhabilitée (baptisée au nom de Malek Bennabi). Sur l’écran : une programmation bigarrée, inégale parfois, mais qui offrait de quoi discuter et débattre.
Collatéral: Une enfance face à la violence du monde
Le palmarès, dévoilé mardi soir, a consacré le grand prix au film “ Collatéral ! “de Yazid Yettou, grand prix du festival. Un court-métrage qui marque un virage dans la trajectoire du réalisateur qui avait tourné auparavant « Boumla » et qui semble grandir à chaque film. Yettou y raconte une famille targuie perdue dans l’immensité du Sahara, prise dans la tempête de la guerre moderne. On suit Brahim, 10 ans, collé à l’horizon en attendant son père chercheur d’or, pendant que sa mère lui transmet l’héritage millénaire de leur culture. Le Tassili N’Ajjer y est filmé comme un personnage à part entière : abrupt et sublime.
Et, pendant que les chaînes occidentales saturent l’info avec leur novlangue sur les « victimes collatérales » à Ghaza, Yettou, pose son regard sur cette question : ce qui tombe du ciel n’a rien d’un dommage secondaire, c’est une « lâcheté », lâchée à distance depuis un écran de contrôle.
Le grand prix de la compétition internationale est revenu au fiim sénégalais “ Lees Waxul” (Non-dit), signé Yoro Mbaye. Un film sec où l’ on suit Ousseynou, ancien pêcheur reconverti malgré lui en vendeur de baguettes rassies ( le fagadaga) dans un village où le pain frais se fait rare. Quand sa belle-sœur Nafi ouvre une boulangerie traditionnelle, c’est plus qu’une concurrence : c’est une menace directe sur son maigre gagne-pain.
« Gardiennes de la nuit »: Le retour au pays d’origines
Le prix d’interprétation féminine, lui, revient à Sonia Faïdi pour son rôle dans “Les gardiennes de la nuit”, signé Nina Khadda. Une jeune fille arrive de France pour enterrer sa grand-mère en Algérie, et tombe dans un univers où les femmes veillent, mais ne peuvent pas enterrer leurs mortes. Nina Khada filme ses personnages avec retenue, portant l’émotion du retour au pays, entre deuil et retrouvailles avec ses propres origines. Le film, intimiste, est sublimé par la voix de Houria Aïchi.
« Nya, la décennie noire à hauteur d’enfant
Côté national, le grand prix salue Nya d’Imène Ayadi, déjà primée. La décennie noire y est racontée depuis les yeux d’une enfant. La réalisatrice entend capter ce moment où l’enfance bascule : la découverte que les adultes ne sont pas immortels, que le monde est un terrain instable. La fillette observe la panique, la dignité, les silences de sa mère. Visuellement, le film offre une lumière diffuse, des pastels, un halo qui donne au traumatisme une texture presque onirique.
Coup de Pouce: l’enfant intérieur
Une mention spéciale distingue Kadi Guidoum pour “Coup de pouce”, petite comédie tendre sur l’enfant qu’on garde au fond de soi. Zaddame, architecte accro aux jeux de billes, doit choisir entre son job et son honneur dans un duel de pouces.
Autre mention pour Taazrit d’Arinas Dernouni : un documentaire sur Habiba, femme chaouie de Ghassira, dans les Aurès. Le film fouille le quotidien, la terre, les gestes de cette femme. Des mentions ont aussi salué Bord à bord de la Tunisienne Sahar El Echi, et The Last Harvest de Nuno Bonaventura Miranda.
Grande première dans un festival algérien : un prix des ciné-clubs. Il couronne Alazar de Beza Hailu Lemma, film éthiopien d’une beauté saisissante. Des cadres habités, une tension spirituelle à couper au couteau, un regard frontal sur la foi, la loyauté, l’endurance. Une œuvre qui secoue et qui oblige à repenser ce que croire veut dire.
Fait rare : ce festival a fait naître deux courts-métrages. Le premier, issu d’un atelier dirigé par Karim Traïdia et Rym Takoucht, met entre les mains des enfants de Timimoun la caméra. Ils y filment l’esprit de la foggara, gardienne de l’oasis.
Le second, réalisé en deux jours par le réalisateur Salah Issaad (Soula) avec l’appui des techniciens invités du festival, est un bijou de dix minutes, drôle et tendre, en hommage à son grand-père disparu en plein festival.