Frantz Fanon,
Au nom du Gouvernement provisoire de la République algérienne, au nom du peuple algérien, au nom de tous tes frères de lutte et en mon nom personnel, je te dis adieu.
En ce moment douloureux où tu nous quittes, nos cœurs se trouvent profondément serrés par l’émotion d’être séparés très tôt d’un frère dont nous avons tous apprécié le patriotisme ardent, la ferveur révolutionnaire et le dévouement inlassable à la cause de son peuple, ainsi que les éminentes qualités intellectuelles.
Cette émotion est d’autant plus vive que tu pars alors que la cause pour laquelle tu as tant sacrifié est sur le point de triompher. Car, de même que tu as su, avec courage et intelligence, prendre part aux souffrances, aux inquiétudes et aux espoirs de tous les patriotes algériens dont l’action a permis à notre patrie de sortir du néant où a voulu la précipiter le colonialisme, nous aurions aimé te voir participer aux joies de la victoire.
Hélas ! Le sort a voulu qu’il en fût autrement.
Ainsi te voilà donc mêlé aux innombrables martyrs dont le sacrifice a permis la résurrection de notre patrie, l’Algérie, et auprès desquels, selon le vœu que tu as exprimé, tu reposeras désormais.
Cependant, toi mort, ton souvenir restera vivant et ta mémoire sera toujours évoquée parmi les plus nobles figures de notre Révolution.
Né d’une famille nombreuse, tu as très jeune connu les privations et les humiliations que les colonialistes et les racistes infligent aux peuples opprimés. En dépit de ces difficultés, tu as réussi à faire des études brillantes, au terme desquelles tu as entamé une carrière médicale non moins brillante, notamment à l’hôpital psychiatrique de Blida.
Mais, de même que pendant ton passage à l’université, ta volonté de faire des études sérieuses ne t’a pas empêché de prendre part à la lutte anticolonialiste, tes lourdes obligations de médecin consciencieux n’ont pas ralenti ton action militante en faveur de tes frères opprimés. Bien plus, c’est ton activité professionnelle même qui t’a permis de mieux connaître la réalité de l’oppression coloniale et de prendre conscience, d’une façon aiguë, du sens de ton engagement en vue de lutter contre cette oppression.
C’est ainsi que déjà, avant le déclenchement de notre Révolution, tu portais un intérêt soutenu à notre mouvement de libération.
Après le 1er novembre 1954, tu t’es lancé avec toute ta ferveur dans l’action clandestine, n’hésitant pas à t’exposer aux dangers. En particulier, malgré les périls que cela pouvait te valoir, tu as contribué à assurer la sécurité de nombreux patriotes et de beaucoup de responsables, leur permettant ainsi d’accomplir leur mission.
Puis, répondant à l’appel de tes responsables, tu as rejoint la délégation extérieure du FLN.
« Résistance algérienne » d’abord, et « El Moudjahid » ensuite, ont bénéficié de ton précieux concours, marqué par des analyses vigoureuses et justes.
Différentes conférences internationales, et notamment celles d’Accra, de Monrovia, de Tunis, de Conakry, d’Addis-Abeba et de Léopoldville, t’ont fourni l’occasion de faire connaître le vrai visage de notre Révolution et d’expliquer les réalités de notre lutte. Les nombreux messages de sympathie parvenus au Gouvernement provisoire de la République algérienne dès l’annonce de ton décès témoignent du profond rayonnement que tu as su susciter dans l’accomplissement de ton devoir.
Les brillantes qualités que tu as montrées dans toutes tes activités t’ont valu d’être désigné, en février 1960, par le gouvernement algérien pour le représenter à Accra.
Enfin, ai-je besoin d’ajouter que, malgré l’ampleur de la tâche qui t’a été confiée sur le plan politique, tu n’as à aucun moment négligé ton rôle de médecin, en te consacrant avec un dévouement exemplaire à nos blessés de guerre et à nos réfugiés. C’est d’ailleurs au cours de l’une de tes multiples missions auprès de nos blessés que tu as été victime d’un accident qui n’est pas étranger à la maladie à laquelle tu as succombé.
Frantz Fanon !
Cette brève évocation de ce que fut ta vie de militant et d’homme dévoué au bien de tous ne prétend pas être tout le bilan de ton œuvre, mais elle souligne assez quels furent ton acharnement au travail et ton ardente volonté d’œuvrer toujours plus pour le succès de notre cause.
Dois-je dire ici que, même lorsque tu as pris connaissance de la maladie implacable dont tu as été atteint et malgré les conseils de tes médecins traitants qui te prescrivaient le repos en vue de préserver tes forces, tu n’as pas diminué ton rythme de travail ? C’est d’ailleurs pendant cette période que tu as écrit ton livre Les Damnés de la terre, qui fera date dans l’étude des luttes de libération des peuples opprimés et qui couronne une œuvre littéraire jalonnée par des ouvrages appréciés.
Frantz Fanon !
Tu as consacré ta vie au service de la liberté, de la dignité, de la justice et du bien.
Ta perte nous cause une grande douleur.
Au nom du Gouvernement provisoire de la République algérienne, j’exprime à ta famille nos condoléances les plus vives et les plus fraternelles.
J’exprime également nos remerciements aux représentants des pays frères et amis qui ont tenu, par leur présence à nos côtés, à s’associer à notre deuil.
Frantz Fanon !
Ton exemple restera toujours vivant. Repose en paix !
L’Algérie ne t’oubliera pas.