Le meilleur côtoie le pire dans les programmes annoncés de la douzième édition du Festival International du film d’Alger (du 4 au 10 décembre). Signe des temps : la nouvelle équipe de cette manifestation culturelle étatique, menée par Mehdi Benaissa ( commissaire du festival) et Nabila Rezaig (directrice artistique), a décidé de faire disparaître le terme « engagé » de l’intitulé du festival. Malgré cette tentative de « normalisation », on peut voir, cette année encore, des films puissants et très engageants à la lumière de la situation géo-politique actuelle. Sélection par Tewfik Hakem.
1- LA VOIX DE HIND RADJEB de Kaouther Ben Hania

Réalisé dans l’urgence ( Kaouther Ben Hania a du interrompre le tournage de son film pour se lancer dans la production de celui-ci), le film raconte l’histoire vraie d’une fillette palestinienne assassinée par l’Armée israélienne le 29 janvier 2024 à Ghaza après de longues heures de supplice à attendre les secours, cachée
dans une voiture parmi les cadavres de six membres de sa famille.
Cet abominable crime de guerre, parmi tant d’autres perpétués à Ghaza, a ceci de particulier : il a été partagé, quasi en direct, sur les réseaux sociaux. Devant l’indifférence israélienne, les bénévoles du Croissant-Rouge palestinien de Ramallah qui ont reçu l’appel d’urgence, ont décidé de mettre en ligne les conversations avec la petite Hind Radjeb implorant qu’on vienne la secourir. Pour essayer d’alerter
l’opinion mondiale, mais en vain.
Kaouther Ben Hania, 47 ans, connue pour mêler la fiction au documentaire dans ses films ou plutôt pour mettre la fiction au service du réel ( « Les filles d’Olfa », « Le Challat de Tunis » « Zineb n’aime pas la neige »), reconstitue ici la mort tragique de la petite Hind avec des acteurs professionnels, rappelant au passage que le cinéma, à défaut de changer le monde ou de sauver des vies, peut devenir une arme redoutable pour résister à la désinformation imposée par les puissants de la planète et leurs affidés.
Contre la déshumanisation des palestiniens, la réalisatrice pose ici des voix et des visages sur les morts de Ghaza, avec un point de vue qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Ce film coup de poing qui évite le mélo pour rester digne de bout en bout est un manifeste contre la barbarie de Tsahal et un témoignage impeccable sur l’impuissance du reste du monde devant le drame palestinien. Réalisation impeccable avec la voix de la petite palestinienne, réelle, et des comédiens professionnels qui rejouent la tragédie vécue par l’équipe du centre d’appel du Croissant Rouge palestinien en Cisjordanie. Dispositif
minimaliste, tension extrême. Dans ce huis-clos la réalisatrice multiplie les points de vue et parfois les juxtapose, quitte à jouer avec les reflets des parois vitrées, quitte à s’emparer et à détourner les codes classiques du thriller, elle le fait avec maestria, sans jamais sombrer dans un quelconque sensationnalisme.
La remarquable maîtrise du rythme du film, l’époustouflante performance des comédiens, le soin du cadre, les audacieux mouvements de caméra qui transforme un petit centre d’appels en grand laboratoire de la conscience du monde, rappellent, dans un contexte tragique, que nous avons affaire à une très grande réalisatrice de cinéma .
Une précision : si ce puissant film nous arrive enfin c’est parce que la réalisatrice tunisienne a décidé qu’il devait être vu partout, sommant les festivals arabes de mettre en mode pause leur stupide rivalité pour avoir en « exclusivité » les films primés à l’étranger. Le Festival d’Alger a donc décidé de programmer « La Voix de Hind Radjeb » en clôture de la manifestation, exactement comme l’a fait récemment le Festival du Caire. Rappelons, à toutes fins utiles, que les égyptiens ont eu la délicatesse de supprimer la traditionnelle fête de clôture à l’issue de la projection et se sont efforcés de faire une cérémonie de remise de prix aussi sobre que possible avant le film.
Message personnel: Sans vouloir jouer au donneur de leçon, de grâce chers amis d’Alger, Madame la Ministre de la Culture, mesdames et messieurs les officiels, ne nous foutez pas la honte, gardez vos discours « positivistes » de circonstance, vos costumes et robes de soirée pour une autre occasion. Fin du MP.
Ce film aurait mérité plusieurs projections, une par jour durant le festival, ç’aurait eu du sens. Rencontrée dernièrement au Cinémed de Montpellier, Kaouther Ben Hania nous confiait qu’elle avait un peu honte d’avoir fait le tour du monde arabe et de n’être encore jamais venue en Algérie, un pays voisin. N’est-ce pas plutôt à nous d’avoir grandement honte de ne pas l’avoir fait venir alors que ses films triomphent dans le monde entier ? Il fut un temps, dans l’Algérie très ancienne, il y avait encore des gens cultivés qui pouvaient échanger, et collaborer avec des grands réalisateurs comme Khairy Bishara, Youssef Chahine et Jocelyn Saab. Ce n’est plus le cas, aujourd’hui on leur préfère Alexandre Arcady, des turcs sortis de nulle part et autres Omar la fraise… Pendant ce temps, l’Arabie Saoudite et le Qatar aident, par tous les moyens possibles, les réalisateurs importants de la région- et ils ont bien raison.
Dernier point : L’année dernière, la presse algérienne, dans son ensemble ou presque, défendait le film « Algiers » de Chakib Taleb Bendiab, désigné pour représenter l’Algérie aux Oscars. Le film n’avait aucune chance d’être primé à Hollywood, cela n’a pas empêché la presse d’en faire des tonnes à ce sujet. Pour se rattraper, on peut cette année, sans craindre le ridicule- bien au contraire, soutenir le film de Kaouther Ben Hania qui a objectivement pour lui tout ce qu’il faut pour remporter la statuette convoitée.
Après avoir obtenu le Lion d’Argent à Venise, il devient légitimement un des favoris de la course. D’autant plus que deux stars d’Hollywood (Brad Pitt et Joaquin Phoenix ) ont sorti leurs chéquiers pour aider à la finition de ce film nécessaire. Il y a donc un enjeu de taille cette année aux Oscars. Entre le Hollywood humaniste qui a manifesté son empathie à l’endroit des palestiniens et le Hollywood des affairistes dont on dit qu’il est un des puissants lobby pro-israélien aux États-Unis, on verra, à la lumière de l’Oscar du meilleur film étranger, lequel des deux l’emportera…
2- LES ENFANTS ROUGES de Lotfi Achour

L’autre grand film à ne pas manquer durant ce festival porte également les couleurs de la Tunisie, c’est ainsi et c’est un signe. Il s’agit, une fois de plus, d’un drame d’après une histoire vraie. Et, pareillement, au centre de ce conte cruel, l’assassinat d’un enfant d’une manière tout aussi barbare. Mais la comparaison s’arrête là. Avec « Les enfants rouges » de Lotfi Achour, on passe à une autre époque ( la décennie noire, comme on a décidé de l’appeler) et une autre forme de cinéma.
Sur les exactions, crimes et massacres commis par divers groupes islamistes contre les forces de l’ordre et les civils algériens durant la décennie noire, soit entre 1992 et 2002, il y a déjà eu beaucoup de livres et de films en tous genres, du documentaire à la fiction. Pour ne parler que de cinéma, on peut citer « Le Repenti » du vétéran Merzak Allouache (2012), et surtout « Abou Leila », premier long-métrage du prometteur Amine Sidi- Boumédiene (2019).
Désormais, il faudra compter avec « Les Enfants rouges » de Lotfi Achour qui, jusqu’à preuve du contraire, est le film le plus marquant et le plus réussi sur le sujet. Que ce film nous vienne de Tunisie rappelle au passage que le terrorisme des intégristes n’a connu ni limite ni frontière. Après une longue tournée l’année dernière dans les festivals ( Cinémed, Red Sea, Carthage…) où, à chaque fois, il a décroché le grand prix, le film de Lotfi Achour, arrive enfin à Alger dans le cadre de la sélection non compétitive du festival, étrangement nommée « Sud Global », remarquez c’est plus élégant que « Fourre-tout » ( le 8 décembre à 21H, salle Ibn Zeydoun).
Deux jeunes bergers, Nizar, 16 ans et Achraf, 14 ans, sont attaqués par une horde de terroristes islamistes : le premier est décapité, le plus jeune est contraint de rapporter la tête de son cousin à la famille en guise de message macabre aux villageois qui oseraient s’aventurer sur leurs territoires. Comment une œuvre
artistique peut-elle rendre compte de cet horrible fait survenu il y a un peu plus de 10 ans dans les montagnes tunisiennes en évitant les pièges inhérents aux « films de dénonciation » ? Comment ne pas être frontal et primaire face à tant d’horreur ? Le cinéaste tunisien fait exactement le contraire de ce qu’a fait Kamel Daoud avec son roman « Houris ».
Non seulement il assume, lui, qu’il part d’une histoire vraie, mais il déploie tout son talent d’artiste pour transformer ce drame contemporain en un grand film de purgation, une œuvre qui nous fait autant pleurer de douleur que de bonheur. Plutôt que de jouer au petit procureur, Lotfi Achour a préféré laisser hors-champ aussi bien les assassins intégristes que les forces de l’ordre qui n’ont pas protégé les
villageois, pour focaliser sur la famille en deuil. Et à travers les yeux d’un adolescent en plein éveil des sens, il donne à voir leur beauté quand la profonde humanité des paysans est confrontée aux pires des catastrophes.
De leur résilience, il tire une œuvre solaire, hymne à la vie, à la possibilité des reconstructions. Un film initiatique plein d’amour pour conjurer toutes les horreurs endurées, un conte philosophique rempli d’espoir pour les enfants rouges de la décennie noire. Un chef d’œuvre ni plus ni moins.
Deux films sur la décennie noire sont programmés durant ce Festival. Le meilleur et le pire. « Les Enfants rouges » de Lotfi Achour (Tunisie) d’un côté et « Roqya » de Yanis Koussim (Algérie) de l’autre. On y reviendra.
3- HOUBLA de Lamine Amar-Khodja

Un film Indé et arty sur la mélancolie et les désenchantements post-hirak dans le milieu des artistes algérois de la classe privilégiée ? On croyait qu’il n’y avait que les Rencontres Cinématographiques de
Bejaïa et les Instituts français d’Algérie pour voir ce genre de films, les aimer et les projeter. On peut donc, en préambule, saluer la programmation de ce film en compétition. C’est audacieux de la part du Festival d’Alger, à moins que le sens du film ait échappé à la vigilance des organisateurs.
Il y a une quinzaine d’années, Lamine Amar-Khodja, alors jeune et déjà charismatique, tenait en sa possession à peu près tous les atouts nécessaires pour être le digne représentant de la nouvelle vague du cinéma algérien post-décennie noire. Avec des films uppercuts comme « Alger moins que Zéro » (2008) et « Demande à ton ombre » ( 2012), il était le cas le plus intéressant de la petite bande des réalisateurs en herbe qui rêvaient, depuis les Instituts français ou depuis les ciné-clubs autorisés, de s’engouffrer dans la brèche entrouverte par Tariq Teguia pour faire des films qui leur ressemblent.
Grand classique: Les choses ne se sont passées exactement comme on l’imaginait ! Si la plupart de ses camardes ont fini par réaliser des films, sélectionnés et parfois primés dans les festivals internationaux quitte au passage à faire quelques concessions pour ne pas perdre pied dans le grand écart entre aides françaises et subventions+ autorisations algériennes-, Lamine Amar-Khodja est, quant à lui, resté dans les marges, updatant l’archétype du réal’ indé de l’underground francophone d’Alger, vénéré par une poignée d’initiés mais toujours invisible dans la mappemonde du cinéma.
Dans son dernier opus réalité il y a 3 ans, « Houbla », il nous donne de ses nouvelles. De retour à Alger, « pour 3 jours ou pour 3 mois » -il ne le sait pas précisément- L A-K remet en marche son appartement situé tout au bout du Boulevard 5- comme on dit désormais pour mieux le mettre à la disposition d’une amie artiste-peintre.
Ç’aurait pu être le journal intime d’un cinéaste parti vivre ailleurs et qui revient quelques années plus tard à Alger dans son appartement du centre-ville pour voir comment les choses évoluent dans sa ville. Heureusement le film n’emprunte cette piste qu’à contre-sens, zigzaguant tous feux éteints, meilleure manière de s’éloigner du récit réaliste pour se perdre et se retrouver sur la terra incognita de la fable.
En ouvrant son appartement à Nawal Laouerred, Lamine Amar-Khodja ouvre en même temps son film à la fiction, il nous entraine dans une ballade douce et mélancolique où les choses se précisent pour mieux nous échapper. Autrement dit, si « Houbla » sait exactement où il nous mène en posant de bonnes questions, il a l’élégance de ne jamais fournir de réponses.
Parmi les questions, celles-ci : Que sont-ils devenus tous ces artistes émergents d’il y a 15 ans ? Qu’est devenue cette vague de promesses où surfaient quelques cinéastes formés à l’arrache, des jeunes actrices et acteurs affranchis des codes imposés, des primo écrivains audacieux, des plasticiens inspirés, des autrices et des auteurs de BD novateurs ?
« Houbla » convoque un échantillon on ne peut plus représentatif de cette génération d’artistes pour un check-up d’urgence. Derrière la caméra, Karim Moussaoui (cinéaste) en chef op’ du film, et Maya Oubadi (éditrice) à la prise de son et à l’assistanat. Devant, Samir El-Hakim et Mehdi Ramdani ( autant dire les deux acteurs emblématiques du « nouveau » cinéma algérien de juste avant la « nouvelle Algérie »). Et, last but not least, pour la première fois à l’écran et dans le rôle principal du film, Nawal Laouerrad donc (dessinatrice, bédéiste).
Pour les lieux ce sera le Boulevard (Mohamed) 5, l’appart’ du réalisateur, le Parc de la Liberté, quelques incursions dans le Jardin d’essai, et un peu de rue Didouche, et donc, par conséquent et forcément, les Ateliers Sauvages de Wassyla Tamzali. Les Ateliers sauvages, comme lieu emblématique, après tout pourquoi pas, puisqu’il fête cette année ses 10 ans, mais comme ce film sait être irrévérencieux quand il le faut, ça sera sans Wassyla Tamzali, et même mieux, à la place et dans le rôle de Wassyla Tamzali introducing Samir Toumi (écrivain), qui parodie la grande maîtresse des lieux avec un sens de l’auto-dérision qu’on ne lui connaissait pas, soufflant le chaud et le froid comme on respire et on expire, très piquant envers elle et lui, mais toujours bienveillant, envers et contre-tous.
Que sont devenus tous ces artistes? Des fantômes d’eux-mêmes, présents et absents à la fois, le corps ici, la tête ailleurs ou vice-versa. Les restés et les coincés sur place, les partis et les partants, les revenus
et les revenants, tous sur-jouent leurs propres rôles dans une tentative désespérée d’échapper au réel. L’auteur, Lamine Amar-Khodja, ne leur offre ce cruel miroir que pour mieux les filmer dans leur intime et émouvante fragilité, captant dans de beaux plans les petits feux de la passion qui brillent encore dans les yeux et les signes d’impuissance qui accablent les visages. « À quoi ça a servi au final tous vos films, vos écrits, vos manifestations ?», demande en substance à Nawal Laouerrad, un Samir El-Hakim troublant de justesse dans la représentation de l’homme trahi et vaincu.
Le propos de « Houbla » peut paraître sombre ( la gueule de bois post-hirak et ses conséquences traumatiques ), le film ne l’est jamais, habité par une légèreté qui incite d’une scène à l’autre à remettre
sérieusement en cause tout ce qu’on a cru voir et entendre.
C’est peut être tout simplement un film sur la crise de la quarantaine, la gueule de bois après l’ivresse de la jeunesse. Genre comment ils étaient jeunes et manifestement heureux et ensuite, après avoir traversé le long et éprouvant tunnel des années pandémies et désenchantements politiques, comment ils accusent le coup de la quarantaine. Pas de lamentations, surtout pas de spleen, bien au contraire, pour célébrer la bascule vers le plus bel âge, Lamine Amar-Khodja filme de près le fascinant visage de Nawel Laouerrad, s’attarde à la regarder marcher et s’applique le même traitement.
Pudiques et profondes mise à nu, joliment mises en scène. Cheveux blanchis sous les chapeaux mous, démarches hésitantes dans les pentes raides de la ville, à bout de souffle et clopant à tout va, mais ils
vont où comme ça nos ex-jeunes, encore beaux mais déjà archi-vulnérables? Probablement vers la douceur, nous suggère le film, à moins que ce ne soit encore une fausse-piste.
Sa gravité au long cours sur fond d’une ballade easy, rend ce film aussi attachant qu’insaisissable. Ceci dit, ce n’est pas parce que « Houbla » nous invite à le regarder en nous laissant tout le champ pour imaginer bien d’autres choses auxquelles il fait penser, qu’il n’a pas sa propre histoire. Nawal Laouerrad joue le rôle d’une dessinatrice qui cherche désespérément à reconstituer avec ses crayons et ses pinceaux un visage d’homme qui l’a beaucoup marqué. Pourquoi n’y arrive-telle pas, on ne le saura jamais. Pourquoi va-t-elle observer les oiseaux du Parc de la liberté pour tenter d’esquisser le visage de cet homme mystérieux ? Elle-même a du mal à l’expliquer. Quelle allégorie se cache précisément derrière l’homme indessinable ? Nawal Laouerrad garde pour elle ses secrets.
En écho à ses tourments son alter-égo, le réalisateur Lamine Amar- Khodja, lui aussi peine à trouver l’image qui résumerait le mieux l’état actuel des choses. En filmant les déambulations de son héroïne, en mettant en scène sa quête, il espérait sans doute choper l’image qui résumerait le mieux cet Alger post- quelque chose (hirak/ pandémie/ quarantaine), tailladé par ses rêves brisés.Mais cette « Image » se dérobe sous ses yeux, à la manière de Mehdi Ramdani qui disparaît dans les buissons tropicaux du Jardin d’Essai à chaque fois que la caméra essaye de l’approcher.
Une image, un dessin, une trace d’ici et de maintenant, un signe d’aujourd’hui pour l’éternité ! En guise d’exemples cités par l’auteur-réalisateur, un petit film des Frères Lumières tourné en 1896 à Bab Azzoun,
devenu archive précieuse, ou alors, autre geste artistique devenu repère historique, Les « Naïliyates », immortalisées dans des statues en pierre par le sculpteur Émile Gaudissard (Jardin d’Essai). Mais cette piste de lecture n’est au mieux qu’une énième impasse vers la bonne direction.
En fait pour saisir le sens de ce film envoutant autant revenir à son titre, « Houbla », qui renvoie au billet de 200 DA parce qu’il représente le Monument des Martyrs toute de suite baptisé « Houbel ».
Cela fait des années que le billet de 200 Da a été remplacé par une pièce en métal, néanmoins il reste encore quelques Houbla en circulation. Et si le film de Lamine Amar Khodja ne parlait finalement que de ça ? D’une génération maintes fois dévaluée, aujourd’hui en voie de disparition, et, en attendant l’inexorable, toujours en circulation. Par ailleurs, rien que pour ce film, il faudrait inventer le prix du
plus beau générique de tous les films algériens. Avec ses jolies variations graphiques animées à partir du billet de 200 DA, et son originale et élégante typo arabe jamais vue sur grand écran, le générique de « Houbla » est en lui même un beau marqueur de son temps.
4- SOY CUBA- Je suis Cuba- de Mikhail Kalatozov

Film devenu mythique de l’histoire du cinéma pour ses prouesses techniques et ses majestueux plans-séquence, Soy Cuba a été mal reçu à sa sortie, et très vite oublié avant d’être redécouvert en 1992. Martin Scorsese et Francis Ford Coppola font partie de ceux qui ont redonné vie à ce film de propagande soviético-cubain de 1964, en noir et blanc et sans presqu’aucun dialogue.
Auréolé de sa Palme d’Or au festival de Cannes en 1958 pour Quand passent les cigognes, le réalisateur russe Mikhail Kalatozov filme ici quatre histoires à Cuba, chacune symbolique des changements qu’a connus le pays en 1959. Scènes d’émeute à La Havane, paysan qui brûle sa maison en signe de désespérance, riches occidentaux qui profitent de leur statut pour s’encanailler dans des hôtels somptueux, la caméra danse dans tous les sens dans un noir et blanc lumineux et onirique au rythme de musiques cubaines enfiévrées, le film ne se contente pas de répondre au cahier des charges de ses commanditaires, il va plus loin et expérimente la révolution du cinéma, les plans-séquence les plus insensés, au plus près des visages et des corps des cubains.
Cette première co-production entre Cuba et l’Union soviétique n’a plu ni à la Havane ni à Moscou qui l’ont trouvé trop « expérimentale » voire assez « bourgeoise ». Comme pour le « Tahia Ya Didou » de Mohamed Zinet (lui aussi au programme de cette édition dans sa belle version restaurée), le film Soy Cuba attendra longtemps dans les tiroirs avant d’être apprécié à sa juste valeur.
5- LES PLONGEURS DU DESERT de Tahar Hannache

Et pour terminer cette sélection, le film d’ouverture -au TNA jeudi 4 décembre- une curiosité, une pépite ? C’est un film réalisé en 1952 par un algérien, restauré à l’initiative des Archives Numériques du Cinéma Algérien à la Cinémathèque de Saint-Étienne en novembre 2023, grâce au soutien de l’association Jocelyne Saab. Il faut donc rendre hommage à Nabil Djedouani des Archives Numériques du
Cinéma Algérien pour avoir redonné vie à Tahar Hannache (1898-1972), considéré comme le pionnier du cinéma algérien.
Ce natif de Constantine, élevé dans une famille aisée, a commencé tôt sa carrière au cinéma, d’abord en tant que comédien ensuite en tant technicien avant d’être producteur et réalisateur de ses propres films. Les Plongeurs du Désert tourné dans le sud algérien, peut être considérée comme la première fiction entièrement algérienne : produite, réalisée et interprétée par des Algériens, avec notamment Himoud Brahimi dans le rôle principal. Ce film raconte le quotidien des puisatiers du Sud, ces « plongeurs » risquant leur vie pour désembourber les puits, avant l’arrivée des machines modernes qui signent la fin de leur métier.
D’une durée de 21 minutes, ce film sera projeté en ouverture dans le cadre d’un ciné-concert. « À partir de la composition originale de Mohamed Iguerbouchene pour Les Plongeurs du désert, Khalil Baba Ahmed a patiemment retranscrit la musique à l’oreille, en l’absence de toute partition, afin d’en restituer fidèlement l’esprit et l’inspiration » indique N. Djedouani dans le communiqué de presse repris par le catalogue du festival.