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10 ans requis contre Loukal pour un audit commandé il y a 18 ans

Le procès de l’ancien ministre des finances, ex-PDG de la BEA et gouverneur éphémère de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, qui s’est déroulé au tribunal de Sidi M’hamed à Alger, a pris fin tard dans la soirée du jeudi 22 décembre 2022. L’affaire est mise en délibéré pour le 29 décembre. Twala restitue ici les faits saillants de ce procès.


Photo DR.

L’affaire implique Mohamed Loukal en sa qualité d’ancien PDG de la Banque extérieure d’Algérie (BEA) et deux autres cadres de la même banque à savoir, Zineddine Bouzit, directeur central du reporting et Mohamed Sefraoui, directeur comptable. Il sont poursuivis pour « abus de fonction », « dilapidation de deniers publics » et « octroi d’indus avantages ».

Les faits incriminés remontent à 18 ans. Ils sont liés à trois contrats d’audit de la BEA, signés de gré à gré avec la branche française du cabinet multinational d’audit et de conseil Deloitte entre 2005 et 2009 pour des montants de 205.000 euros, 800.000 euros et 300.000 euros, soit un total de 1.305.000 euros.

Les poursuites se basent sur le fait que les contrats avaient été signés de gré à gré et des témoignages à charge de cadres de la BEA qui disent que les auditeurs de Deloitte n’avaient aucune expertise et que leur travail n’était d’aucune utilité pour la banque qui aurait pu s’appuyer sur ses personnels pour assainir ses comptes.

« À la direction de la trésorerie, ils ne m’ont été d’aucune utilité. Ils n’avaient rien d’experts. Pour moi, ils n’ont pas été d’un grand apport. En tant que directeur de la trésorerie, on m’a donné l’ordre de recevoir ces consultants. Toutes les directions avaient leurs experts », a déclaré Miloud Ghoulam, l’un des témoins. 

Or, le bilan comptable de l’exercice 2004 de la BEA a été rejeté. La BEA, qui compte dans son portefeuille clients les plus grandes entreprises du pays à l’image de Sonatrach et Air Algérie, traînait un lourd passif. Des millions d’opérations étaient en suspend et il fallait assainir ses comptes. D’où la demande urgente de l’audit par un cabinet externe.

Négociateur du premier contrat et coprévenu de Loukal dans cette affaire, Zineddine Bouzit, directeur central du reporting a retracé la chronologie de la transaction.  

Selon lui, la banque a reçu deux courriers, début de 2005. « Le premier émanant de la Banque d’Algérie, en date du 6 février, ordonne à la BEA de faire l’audit de ses comptes pour l’exercice de 2004. Le second, le 20 février, demande l’élaboration d’un cahier des charges et le recours à des cabinets étrangers ».  

Ainsi, le comité exécutif de la BEA s’est réuni le 22 février et a décidé, un mois après, le 24 mars, d’engager une consultation restreinte destinée à six cabinets d’audit et de conseil.

« Mohamed Loukal est désigné pour rédiger les références du cahier des charges. La BEA a saisi lesdits cabinets, mais seulement quatre ont répondu. L’ouverture des plis a eu lieu le 26 juillet. La consultation a été infructueuse. Le comité exécutif a alors décidé d’attribuer le marché à Deloitte, au vu de l’urgence, au bout d’une réunion tenue le 9 août », a ajouté Bouzit.

Au juge qui se demandait pourquoi les délais d’exécution du contrat proposés par Deloitte étaient-ils plus longs que ceux indiqués dans le cahier des charges – 210 au lieu de 60 jours – et que le montant de son contrat était inférieur à celui mentionné dans l’offre de soumission – 205.000 au lieu de 230.000 euros hors taxes –, Bouzit a noté que cela avait été obtenu après négociation.

Et d’expliquer : « Deloitte était le moins disant avec 230.000 euros hors taxes et il a accepté de revoir son offre à la baisse, à 205.000 euros après négociation. Le directeur général adjoint (DGA) des finances a accepté la nouvelle l’offre. J’ai été désigné pour suivre l’opération. Le 31 octobre 2005, le PDG m’a donné délégation de signature pour valider le contrat. J’ai obtenu la deuxième délégation le 7 février 2006. Les offres du cabinet étaient conformes au cahier des charges ».

À la question de savoir s’il y a un procès-verbal de la négociation, Bouzit a eu cette réplique : « Il existe normalement mais, 18 ans après, je ne sais pas. J’étais coordinateur chargé du suivi de l’opération. Il y a des rapports d’état et des évaluations des travaux qui ont été adressées à tous les membres du comité exécutif avant la signature du contrat. Heureusement que j’étais encore en fonction, sinon le tribunal n’aurait jamais pu trouver tous les documents que comporte le dossier ».

Amnésie

Loukal, lui, qui fut le premier à être appelé à la barre a fait preuve d’une amnésie sélective, affirmant huit fois ne pas se souvenir à propos de faits qui lui sont reprochés, tout en dressant un tableau des retombées positives de l’opération d’assainissement des comptes de la banque.

– Zineddine Bouzit était-il présent à la réunion du comité exécutif de février 2005 ?

– Oui.

– Quel était l’ordre du jour de la réunion du comité exécutif de février 2005 ?

– Je ne me souviens pas. 

– Sur quelle base avez-vous signé avec Deloitte ?

– Je ne me souviens pas.

– Vous aviez déclaré que la décision a été prise lors de la réunion du comité exécutif du 22 février 2005. Dans cette réunion, vous avez été chargé d’élaborer un cahier des charges et de coordonner avec les Big Four de l’audit et du conseil (Deloitte, KPMG, Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers, Ndlr), si le PDG, votre prédécesseur, avait décidé de signer avec Deloitte, pourquoi demanderait-il alors d’élaborer un cahier des charges ?

– Je ne me rappelle pas bien. Mais, une décision a été prise pour faire une consultation directe.

– Que voulez-vous dire par consultation directe ?

– Choisir directement le cabinet Deloitte.

– Le cahier des charges a retenu le 30 juin 2005 comme dernier délai pour le dépôt des offres. Pourquoi l’avez-vous prolongé de deux semaines ?

– J’ai été nommé PDG le 8 mai 2005. Nous avions besoin d’un peu plus de temps.

– Mais Deloitte a déposé son offre lors de la prolongation…

– Je ne sais pas.

– Vous aviez déclaré que cette prolongation a été décidée à la demande des cabinets soumissionnaires.

– Je ne me rappelle pas. Je ne suis pas sûr.

– Qu’en est-il de la réunion du 24 mars 2005 ?

– Je ne me souviens pas.

– C’est, pourtant, dans cette réunion que le comité avait donné l’autorisation de prendre attache avec les six cabinets soumissionnaires.

– Je ne me rappelle pas.

– L’ouverture des plus a eu lieu le 26 juillet 2005. Vous étiez PDG. Que s’est-il passé ce jour-là ?

– Nous n’avions trouvé qu’une seule offre, celle du cabinet Deloitte. Comme nous étions dans l’urgence, nous l’avions retenue.

– Le procès-verbal de l’ouverture des plis contredit votre réponse. Il y a eu plusieurs offres, étudiées et rejetées chacune pour des raisons précises. Mais il y’a un motif qui les concerne tous, à savoir le non-respect du délai de 60 jours pour l’exécution du contrat. Deloitte avait proposé un délai de 210 jours.

– Je ne peux interférer dans ces détails. Cela relève du comité exécutif.

Mais quand le juge a sorti une lettre portant rejet de l’offre de Deloitte, les avocats de Loukal ont protesté. Selon les avocats de Loukal, le document utilisé comme pièce à conviction n’a pas été joint au dossier lors de l’instruction et son utilisation était une violation de la procédure.

Le juge « Vous avez soulevé ce problème lors de la précédente audience et je vous ai donné tout le dossier et je vous ai demandé de prendre les documents que vous n’auriez pas consultés. Je ne peux pas faire plus ».

La lettre en question date du 8 août 2005. Deloitte ayant dépassé les délais de rigueur pour le dépôt de son offre, la BEA a demandé un délai supplémentaire.

« La Banque d’Algérie était consciente des problèmes auxquels était confrontée la BEA. Nous traitions deux millions d’opérations par semestre et nous avions 14 millions autres opérations en suspend. C’est un passif très lourd », a souligné Loukal.

Mais, la question qui obsédait le plus le juge était le recours à l’expertise étrangère, et comme il est devenu de coutume dans les affaires de délits économiques au tribunal de Sidi M’hamed, il n’a pas manqué de demander à l’ancien PDG de la BEA « pourquoi avoir choisi un cabinet étranger ».  

« La correspondance de la Banque d’Algérie parle d’un cabinet compétent et ceux qui me viennent à l’esprit sont les Big Four. Ils sont seulement quatre au monde. La correspondance a défini les cabinets expérimentés et capables d’effectuer l’audit des comptes. La même opération a été appliquée aux banques publiques en 1994 », a répliqué Loukal.

L’ancien PDG de la BEA a expliqué que la crédibilité de la banque à l’international était en jeu à cause de l’invalidation de comptabilité et il fallait trouver un cabinet de conseil dotés des capacités nécessaires pour assainir la situation.

« Plus de 14 millions d’opérations étaient en suspend et risquaient de nous faire perdre notre agrément. Nous avions dépensé 480 millions de dinars entre 1994 et 2004 pour tenter d’assainir la situation, mais aucun résultat concret n’a été obtenu. Pourquoi ? Parce que, parfois, nous engagions jusqu’à 15 cabinets. Chacun travaillait selon sa propre manière et il n’y avait aucune coordination entre eux, alors que les opérations étaient très complexes mais aussi anciennes de près de 40 ans », a-t-il soutenu.

En effet, la banque devait assainir ses comptes pour rester crédible auprès de ses 1200 banques correspondantes dans le monde. « Nous échangeons nos bilans comptables, comme il est d’usage dans le monde entier, avec nos correspondants étrangers. Lorsqu’un bilan est rejeté, comme ce fut cas pour celui de 2004, cela entache la crédibilité de la banque ».

Pour sortir de cette situation, a ajouté Loukal, la BEA a décidé de changer d’approche, optant pour un grand cabinet en mesure de l’accompagner. « Deloitte remplissait ces conditions. Nous avions signé un premier contrat suivi de deux autres et entamé l’assainissement et la validation des bilans. Ce travail était similaire à celui réalisé par le même cabinet en 1994 ».

Deloitte, a rappelé Loukal, avait audité en 1994 des banques publiques, dont la BEA, pour le compte de la Banque d’Algérie.

Et d’ajouter : « En 2008, après assainissement des comptes, nous avions obtenu la validation de ces bilans. Grâce au cabinet Deloitte, nous avions obtenu des résultats positifs. Cela a permis à la BEA de gagner en crédibilité et de répercuter une meilleure image à l’étranger ».

Appelé à la barre, le troisième prévenu, Mohamed Sefraoui, directeur comptable, a également nié les faits qui lui sont reprochés, affirmant qu’il avait signé le deuxième et le troisième contrat sur la base d’un mandat du PDG de la BEA et conformément aux procédures internes et après visa du directeur juridique.

Le représentant du ministère public a requis une peine de 10 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un million de dinars, contre Mohamed Loukal et une peine de 5 ans de prison assortie  d’une amende d’un million de dinars contre Zineddine Bouzit et Mohamed Sefraoui ainsi que la confiscation des biens saisis par le juge d’instruction.