Sept adolescents, âgés de 14 à 17 ans, ont pris la fuite à bord d’un bateau de plaisance volé. Après près de neuf heures de navigation incertaine et risquée, ils ont débarqué sains et saufs en terre espagnole. Plus que toutes les autres, cette harga interpelle. Elle trahit l’immense désespoir qui ronge jusque dans la chair de gamins à peine sortis de la puberté.
Du quotidien en Algérie de ces gamins qui ont bravé les dangers de la mer pour un ailleurs rêvé meilleur, on ne sait pas grand-chose. Dans les vidéos qu’ils ont postées après avoir accosté à Ibiza, en Espagne, on apprend qu’ils ont embarqué depuis Tamentefoust, à l’est d’Alger. On découvre aussi qu’ils sont tous enfants du coin.
On aura appris que, pendant que les enfants de leur âge pensaient à la rentrée scolaire qui approche et aux examens qui les attendraient l’été prochain, dans leurs têtes mûrissait le projet d’une émigration clandestine.
Leur aventure est une réalité qui dépasse le cinéma. « Les sept gamins et la mer » serait un titre idéal pour un récit qu’il reste à écrire : depuis que l’idée de quitter le pays a germé dans leurs esprits jusqu’au moment où ils ont mis pied à terre en Espagne.
Une année de préparation
La harga qu’ils ont accomplie aujourd’hui, ils en rêvaient depuis un an, témoigne l’un d’eux. Ils voulaient tenter la traversée déjà l’année dernière, mais cela ne leur avait pas été possible. Pour eux, ce n’était que partie remise.
Ils ont gardé leur projet secret. Une année entière. Douze mois durant lesquels leur envie de vivre ailleurs, là où le ciel leur semblait plus clément, n’a pas faibli. Chez eux, le désespoir s’est montré plus fort que toutes les promesses qu’on a pu leur seriner dans l’intervalle.
Sans éveiller les soupçons, ils ont acheté et stocké, litre par litre, le carburant nécessaire pour rallier les côtes espagnoles. Le jour venu, ils sont montés à bord d’un yacht, ont démarré le moteur et sont partis… sans être certains d’arriver à bon port.
Leur traversée n’a pas été de tout repos. Ils ont connu des pannes de moteur mais se sont débrouillés pour les réparer. Du sang-froid, ils en ont eu… à revendre. Solidaires dans l’épreuve, ils l’ont été jusqu’au bout, promettant de le rester jusqu’à l’aboutissement de leur rêve.
Les sept gamins ont navigué sans GPS. Leur seule boussole : une application téléchargée sur leur téléphone. « L’application nous permettait de savoir la distance parcourue et celle qu’il nous restait à parcourir », témoigne, sourire aux lèvres, celui qui semble être le chef de la bande, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux.
Un phénomène qui ne s’estompe pas avec le temps
Arrivés à Ibiza, ils ont été accueillis par la police espagnole puis conduits dans un centre pour migrants clandestins. On leur a offert des vêtements neufs. Pour eux, une nouvelle vie avait déjà commencé. Quelle sera-t-elle ?
Chaque été, depuis les côtes algériennes, des centaines de personnes embarquent clandestinement vers l’Espagne ou l’Italie. Certains partent à bord de bateaux puissants et rapides, désignés par « Essaria » dans le parler courant. Sur ces embarcations, la traversée revient cher : elle coûterait autour d’un million de dinars (100 millions de centimes).
Mais beaucoup de harragas tentent la traversée de la Méditerranée dans des embarcations de fortune. Ceux-là prennent le risque de périr en mer. Mais ce danger ne semble pas les décourager. Chaque été, des centaines, voire des milliers, de harragas débarquent sur les côtes espagnoles ou italiennes.
Phénomène ancien, il ne s’est pas estompé avec le temps. Le durcissement des lois contre l’émigration clandestine, tout comme le renforcement de la surveillance maritime, n’ont guère dissuadé les candidats à l’exil. Pas plus que les discours officiels sur la construction d’un avenir meilleur.