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« Dubaï Unlocked » : comment l’argent est blanchi grâce à l’immobilier ?

L’investigation transfrontalière « Dubai Unlocked » a rouvert le débat sur le blanchiment d'argent, en particulier dans le secteur immobilier. Bien que les méthodes de blanchiment d'argent soient variées, l'immobilier demeure l'un des moyens les plus sûrs et les plus efficaces pour y parvenir.


À l’image des films sur les crimes financiers, Dubaï permet l’achat complet d’une propriété avec des valises de billets, sans aucune conformité aux normes internationales de lutte contre le blanchiment d’argent.

Dans le cadre de l’investigation « Dubaï Unlocked » en collaboration avec l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) il a été révélé que plusieurs hommes d’affaires impliqués dans des affaires de blanchiment d’argent et/ou inscrits sur des listes de sanctions internationales, ou classés comme Personnes politiquement exposées (PPE), possèdent des biens immobiliers à Dubaï en violation des lois anti-blanchiment et des règlements internationaux.

Il convient de rappeler que « Dubaï Unlocked » est une investigation transfrontalière, dirigée par l’OCCRP et le site d’informations financières norvégien E24, avec la participation de 72 plateformes journalistiques de 58 pays à travers le monde. Elle se base sur des documents divulgués, révélant des informations sur des centaines de milliers de biens immobiliers à Dubaï et leur propriété, notamment entre 2020 et 2022. Les données proviennent du Centre d’études avancées de la défense (C4ADS), une organisation à but non lucratif basée à Washington, spécialisée dans les crimes et conflits internationaux, et ont été partagées avec l’OCCRP et E24.

Lors d’une entrevue d’un journaliste partenaire du projet « Dubaï Unlocked » avec la société immobilière « Damac Properties » à Dubaï, un employé de l’entreprise a déclaré qu’ils étaient la seule société autorisée par le gouvernement à accepter des paiements en espèces complets, y compris des sacs de billets sans aucune limite de montant, soulignant ; « Dubaï est comme les films… C’est totalement sûr. Faites-moi confiance. J’ai aussi collecté des fonds pour mes clients à l’étranger. Ils m’envoient à un endroit et je collecte un million, deux millions de dirhams… ».

Le représentant des ventes a confirmé que l’entreprise avait « beaucoup de gens de partout dans le monde. Nous avons des personnalités politiques, et nous avons des personnes qui fuient leur pays pour investir ici en espèces. Il n’y a aucun risque et aucune taxe non plus sur l’immobilier… l’immobilier est intouchable ».

Interrogée sur ces opérations suspectes, Damac a répondu qu’elle « a construit son activité autour d’un comportement éthique. En tant que leader dans le développement immobilier, Damac est pleinement consciente de ses obligations légales et de ses engagements, et a toujours cherché à se conformer aux lois et règlements de lutte contre le blanchiment d’argent en vigueur aux Émirats arabes unis ».

« Pour atteindre cet objectif, nous avons développé ce que nous pensons être un programme de conformité efficace, et dans le cadre de l’amélioration continue, nous avons mis à jour notre code de conduite et nos politiques de groupe l’année dernière, approuvées par le conseil d’administration de Damac », précise-t-on.

Et d’ajouter : « Il n’est pas dans la politique de Damac de suggérer aux clients de payer en espèces. Si un client souhaite payer en espèces, ce paiement est soumis à une vigilance renforcée ainsi qu’à des procédures de déclaration et de divulgation locales. Si le contact anonyme avait procédé à la vente après l’appel initial avec le représentant commercial, il aurait été témoin des vérifications et des procédures strictes que nous appliquons aux transactions qui soulèvent des signaux d’alerte ».

L’immobilier comme moyen attrayant de blanchiment d’argent

Selon l’Association of Certified Anti-Money Laundering Specialists (ACAMS), seulement environ 20 % des rapports d’activités suspectes (Suspicious Activity Reports) liés aux biens immobiliers résidentiels signalent des soupçons de manipulation structurelle et de blanchiment d’argent par rapport aux soupçons de fraude.

Le secteur immobilier est un moyen attrayant de blanchiment d’argent pour plusieurs raisons :

– Les biens immobiliers peuvent être achetés en espèces.

– La propriété du bénéficiaire ultime peut être dissimulée (ultimate beneficiary owner)

– L’immobilier est un investissement relativement stable et fiable. Dans ce contexte, Karam Châar, directeur de l’observatoire des politiques à l’Observatoire syrien des réseaux économiques et sociaux, a déclaré dans une interview précédente dans le cadre du projet, que « l’investissement immobilier est plus sûr que tout autre investissement », ce qui signifie que « le risque de l’immobilier est inférieur à celui d’autres investissements ».

– La valeur de l’immobilier peut être augmentée par des rénovations et des améliorations.

Par exemple, les investigations menées par « Daraj » et « Siraj » ont révélé que des personnalités liées au Hezbollah et au régime syrien, inscrites sur les listes de sanctions américaines pour diverses affaires telles que la corruption et le financement du Hezbollah ou du régime syrien, possèdent des biens immobiliers à Dubaï. Bien que le Conseil de coopération du Golfe, dont les Émirats arabes unis sont un pilier essentiel, ait classé le Hezbollah comme organisation terroriste en mars 2016, cela n’a pas empêché Dubaï de permettre ou peut-être de fermer les yeux sur la possession de biens immobiliers par des financiers du Hezbollah.

Haïd Haïd, chercheur principal à l’Institut royal Chatham House au Royaume-Uni, a déclaré dans une interview dans le cadre du projet, que « historiquement, Dubaï a été un endroit sûr pour les investissements et l’achat de biens immobiliers pour les hommes d’affaires liés au régime syrien et au Hezbollah, avec deux objectifs principaux. Le premier objectif est le blanchiment d’argent, où les détenteurs de fonds illicites tentent de dissimuler leurs sources en achetant et revendant des biens immobiliers à plusieurs reprises, rendant ainsi difficile la traçabilité de l’origine de ces fonds, qui se transforment en propriétés de luxe apparemment propres. Le second objectif est l’investissement dans l’immobilier, où l’achat de biens immobiliers est considéré comme un investissement réussi dans la région arabe ».

Le secteur immobilier est utilisé dans les trois étapes du blanchiment d’argent :

Phase de placement :

Cette phase vise à introduire pour la première fois les fonds illicites dans le système financier après leur acquisition. Dans le secteur immobilier, cela peut se faire par l’achat de biens immobiliers en espèces ou en utilisant des fonds illicites comme acompte. Il est possible d’utiliser des tiers ou des sociétés écrans pour masquer l’identité réelle de l’acheteur.

Phase d’empilage (Layering) :

La deuxième phase vise à éloigner les fonds illicites de leur source réelle, en créant plusieurs couches entre leur origine et leur destination finale. Dans le secteur immobilier, cela peut inclure la revente rapide des biens (ventes en chaîne) à des prix différents, ou l’utilisation de prêts et d’hypothèques comme couverture pour rembourser de grandes sommes en espèces. Il est également possible d’utiliser des sociétés écrans et des fonds fiduciaires pour dissimuler la propriété finale du bien.

 Phase d’intégration :

À ce stade, les fonds illicites sont intégrés dans le système financier mondial de manière à paraître légaux. Par exemple, en revendant les biens immobiliers à des prix élevés ou en obtenant des revenus locatifs, ou en augmentant la valeur des biens par des rénovations et des améliorations. Les biens immobiliers peuvent également être utilisés comme garantie pour obtenir des prêts légitimes, ce qui rend les fonds apparemment légaux.