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Algérie: l’épuisante politique du renouvelable

Les autorités du pays ont créé puis supprimé sans prospective un ministère pour le transformer onéreusement, et sur le budget de l’Etat, en coquille vide.


Septembre 2022. Le gouvernement dissout le Ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables(MTEER). Créé en juin 2020, pour incarner institutionnellement la (nouvelle) politique algérienne de développement des ressources non hydrocarbures, ce département ne dépassera les deux années d’existence.

En comptant les semaines et les mois qui ont servi au recrutement laborieux de son personnel et à son installation dans les bureaux prêtés au Val d’Hydra par le Ministère de l’Energie, quand ce dernier était dirigé par un défenseur d’une transition énergétique accélérée – Abdelmadjid Attar (juin 2020-février 2021) – , la durée d’activité réelle du MTEER ne dépassera pas les quelques mois.

Ses deux ministres successifs, l’ancien pétrolier et polytechnicien Chemseddine Chitour (juin 2020-juillet 2021) et le médecin pneumologue Ziane Benattou (juillet 2021-septembre 2022), passeront ce temps à faire de l’administration et à tenter de mettre sur pied sans succès une structure inédite et surtout sans moyens véritables.

Ils l’occuperont, Chitour en premier, à « constater les lieux », visiter les petits centres de recherche du secteur, et à recevoir en « consultation » un nombre important de représentants diplomatiques et économiques étrangers à l’affût d’une opportunité de marché de coopération.

Ils se plairont aussi à faire des déclarations sans fond aux médias sur des projets anciens qui ne leur appartiennent pas – celui du carburant GPL dont la généralisation réamorcée en 2019 sous la houlette d’un ministre de l’énergie aujourd’hui oublié, Mustapha Guitouni, et qui restent à évaluer sérieusement en dehors de la communication officielle – ou sur des chantiers sans valeur stratégique.

On se rappellera à leur sujet de la construction « toujours en cours » d’une « mosquée verte » pilote à Sidi Abdellah près de Zeralda (qui fait partie d’un programme du département l’Intérieur et des collectivités locales annoncé en octobre 2020), et du lancement en avril 2021, en convention avec l’Industrie, d’un plan de fabrication de 3000 chauffe-eaux solaires.

L’état d’avancement de ce plan demeure sans estimation rigoureuse à ce jour tandis que la création d’un « institut national de la transition », annoncée par Chemsddine Chitour en mai 2021 à Oran, reste du domaine du présage et des ambitions pour l’instant irréalisées de cet ex-ministre qui est le plus bavard en matière de stratégie de promotion d’un modèle énergétique de sobriété et progressivement alternatif au pétrole et au gaz.

Nouvel organigramme

Le résultat des initiatives de l’Agence nationale pour la promotion et la rationalisation de l’utilisation d’énergie – l’APRUE qui a été rattachée au MTEER en 2021 pour contribuer à ce dessein – s’avère peu persuasif lui aussi.

Fin août 2022, huit mois après sa nomination par Ziane Benattou, son directeur général Merouane Chabane avait promis « prochainement » un « bilan national détaillé » sur la « consommation finale d’énergie » et les « indicateurs d’efficacité énergétique » qu’il a jugé « encourageants ».

Or, le MTEER n’existant plus, le programme pluriannuel de maîtrise d’énergie (PNME) que lui et ses collaborateurs avaient lancé pour les besoins du ministère disparu a cessé d’être à l’ordre du jour.

Il n’est donc pas sûr que ce document soit publié comme il a été dit il y a presque une année. Et s’il le sera, il faudra sans doute attendre que l’APRUE cesse d’être ballotée et retrouve à nouveau, officiellement, son ancienne tutelle du Ministère de l’Energie.

Le personnel de l’Agence n’est d’ailleurs pas le seul à être trainé comme un ballot et à être dans l’expectative qui est vécue autrement, et avec davantage d’appréhension, par la soixantaine d’employés, cadres compris, qui travaillaient au MTEER.

Ce groupe attend depuis septembre 2022 de rejoindre le Ministère de l’Environnement (MEER) qui a repris le dossier des énergies renouvelables dont il s’occupait déjà en 2017.

Le transfert qu’il attend demeure pour l’instant suspendu au «nouvel organigramme» dudit ministère dont la publication par décret, selon des sources, est attendu à la fin de ce mois de mai 2023 après de « pénibles tractations » et d’« arbitrage » difficile de la part du Premier ministère.

D’ici là, il continue de se rendre sans tâche précise, pour ne pas dire aucune, au Val d’Hydra dans les anciens bureaux que le Ministère de l’Energie n’a pas encore totalement récupérés.

Le collectif perçoit son salaire en vertu de la législation qui lui garantit une année de rémunération. Mais certains craignent de se retrouver néanmoins dans des services sans relation avec leur profil et responsabilité ante alors que d’autres – « nouvel organigramme » oblige – risquent de se retrouver sans poste et donc obligés d’aller chercher du travail ailleurs.

Les quelques cadres sollicités pour une « collaboration » par le cabinet du MEER, déjà du temps de l’ancienne ministre Samia Moualfi puis maintenus par sa remplaçante et ancienne chargée du climat Faiza Dahleb à partir de fin mars 2023, sont, eux, pratiquement assurés de garder leur emploi et statut.

Depuis l’automne 2021, ce monde est dans un quasi désœuvrement rétribué et une vacuité aux innombrables questions sur les raisons, pour les autorités du pays, de créer puis de supprimer sans prospective un ministère pour le transformer onéreusement, et sur le budget de l’Etat, en coquille vide.

Casting

En cherchant parmi les explications possibles, force est de constater que, s’il était un moment motivé par la garantie à donner aux filières du renouvelable d’avoir un dispositif institutionnel adéquat et un cadre législatif et opérationnel approprié, le choix de créer le MTEER a procédé d’un calcul politique rectifié.

Devant les journalistes qui l’ont approché durant les premières semaines de son bref mandat ministériel, Chemseddine Chitour se réclamait volontiers du Hirak mais pour dire que sa « mission historique » s’était « terminée » en décembre 2019 avec l’élection de Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République.

Il est donc certain que, ajouté à sa renommée de figure médiatique sensible aux risques d’insécurité énergétique et écologique pour le pays, c’est son soutien de la ligne politique ayant conduit au suffrage du chef de l’Etat qui a parfait de lui l’image du bon ministre pour l’« Algérie nouvelle ». Pour un temps, avant qu’il ne s’avoue personnellement « surpris» d’être poussé à un départ qui n’a été, au bout de quelques semaines, qu’une étape vers une compensation parlementaire – très politique elle aussi – au tiers présidentiel du Conseil de la Nation (Sénat).

La petite année que le polytechnicien – heureusement revenu aussi au professorat – a passée au gouvernement lui aura été au moins riche en enseignements.

Elle lui a été suffisante pour découvrir que le calcul politique qui la conduit au gouvernement était à durée déterminée et de figuration à côté d’acteurs du champ déjà bien rôdés et jaloux de leurs prérogatives : le Commissariat aux énergies renouvelables (CEREF) et son commissaire, Noureddine Yassaa, avec lequel le courant n’est pas passé, bien qu’il compte parmi ses anciens étudiants. Mais surtout le puissant duo SonatrachSonelgaz qui a créé en avril 2021 la Société algérienne des énergies renouvelables (Shaems), elle-même en ballotage aujourd’hui après la décision de l’Exécutif d’abandonner la forme initiale du projet Solar 1000 MW (15 milliards de dollars et qui prévoyait une ouverture au capital d’investissement étranger) de génération de l’électricité à partir du solaire photovoltaïque, et d’opter l’achat de fermes solaires clés en main.

Le successeur de Chitour, Ziane Benattou n’a pas été confondu par sa destitution et la fermeture du MTEER. Etant médecin, chargé du dossier de la santé et des affaires sociales par le bureau national de son parti, le Front El Moustakbal, depuis son congrès de 2018, il savait que sa désignation à la tête d’un département d’énergéticien était une anomalie sauf politique, rendue limpide par le jeu connu du renvoi d’ascenseur par le prince à toute formation qui l’appuie.

N’ignorant rien de cela, Benattou a regagné discrètement son cabinet en attendant le prochain « coup » politique renouvelable de son parti, sans doute aux présidentielles de 2024.