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Aïn Aden : prière pour les absentes, l’absent et l’enfant qui allait naître…

À Aïn Aden, treize enseignants tombèrent sous les balles, mais leur lumière défie l’oubli. Ils sont devenus des étoiles éternelles, martyrs du savoir et de la dignité


Ce texte de Mohamed Mir retrace, sous forme d’oraison poétique et spirituelle, le massacre d’Aïn Aden du 27 septembre 1997, où treize enseignants – majoritairement des femmes – furent exécutés par un groupe armé. En élevant ces victimes au rang de « martyrs de la connaissance », l’auteur oppose la lumière de l’enseignement et de la foi à l’obscurantisme meurtrier de la décennie noire.

À travers une écriture incantatoire et symbolique, il déploie des images de lumière, de rivières et d’étoiles pour représenter ces éducatrices comme des semences d’espoir, face aux ténèbres et au chaos. Chaque scène – l’arrêt du temps, la course désespérée de l’enseignant Lahbib, l’ultime résistance d’une femme enceinte – se charge d’une intensité tragique qui transforme la douleur en dignité.

Au-delà du témoignage, ce texte érige un monument mémoriel. Il rappelle que « les balles tuent, mais les silences aussi », et affirme que le souvenir de ces victimes défie l’oubli. Ainsi, les treize « étoiles d’Aïn Aden » demeurent un symbole éternel : celui du savoir, de la résilience et de la lumière transmise aux générations futures malgré la barbarie.

En voici le texte:

I. L’Épigraphe des Silences

Il est des balles qui tuent… Et des silences aussi.

Elles étaient jeunes… Elles étaient belles, pures et angéliques…
Au cœur immaculé par le décret du Tout-Puissant.

II. Le Temps des Témoins

Témoignez, ô âmes innocentes d’Aïn Aden, que vos professeurs-martyres furent pour vous constellation de lumière et rivière de vie, narguant vaillamment le règne de la nuit et ses hordes de chacals affamés, introducteurs de mort.

Demain, devant Allah, témoignez surtout qu’elles ne possédaient qu’un modeste bout de craie couleur arc-en-ciel, pour conjurer le joug des barbares désincarnés.

III. La Malédiction de Khalil

« Malheur au peuple dont les enfants sont entre le glaive et le billot… et qui se tait », disait quelque part Khalil Djibran.

Malheur aussi à tous ceux qui ont laissé faire la lame des GIA’H sur la gorge des jeunes filles et des mères dont le seul tort fut d’avoir appris aux enfants d’Adam les mystères sacrés de la connaissance et le premier commandement du Coran : « Iqra ! ».

IV. L’Instant Suspendu

Le temps s’arrêta ce maudit 27 septembre 1997, au déclin du jour, au détour de la Khaloua de Sidi Mohamed.

Mon Dieu, dites-nous quelle face avait le bourreau devant Votre créature en prière, implorant par la Chahada – « La Illaha Illa Allah, Mohamed Rassoul Allah » – le grand pardon pour des malheurs qu’elle n’avait pas commis.

V. Le Village des Âmes

Ce jour-là, le ciel pesait lourd sur Aïn Aden, petit village forestier des S’hamda qui, au fil des ans, s’était construit de terre, de sang, d’amour et d’espoir.

Tel un écrin de paix posé dans la vallée, il sommeillait dans sa campagne bercée par l’oued aux eaux lentes serpentant vers le barrage de Chorfa.

Les routes goudronnées ondulaient comme les artères du destin, transportant ces âmes lumineuses qui ne savaient pas qu’elles accomplissaient leur dernier voyage vers les salles de classe où résonnait encore l’écho de leurs leçons.

VI. Le Fourgon des Destins

Dans le fourgon Fiat qui peinait à démarrer, comme si la mécanique elle-même pressentait l’horreur à venir, onze femmes et un homme portaient en eux tous les rêves de leurs élèves, tous les espoirs d’un peuple assoiffé de savoir.

Leurs cartables contenaient plus que des livres et des cahiers : ils renfermaient l’avenir de demain, ces promesses d’aurore que leurs mains avaient semées dans les cœurs enfantins avec la patience infinie des jardiniers de l’âme.

VII. L’Apparition des Ténèbres

Quand surgirent les visages barbouillés, les habits afghans et les ceinturons de cartouches dans la brume de cette fin d’après-midi, la mort avait déjà choisi ses victimes.

« Pourtant, à maintes reprises, on vous a ordonné de ne plus enseigner ! » hurlait la barbarie, déchirant furieusement les pages de la connaissance.

Les cahiers et les livres voltigeaient comme des colombes blessées, leurs pages arrachées dispersant aux quatre vents les lettres d’Allah.

VIII. La Course de Lahbib vers l’Éternité

Le courageux Lahbib, l’unique enseignant du groupe, tenta l’impossible fuite vers les fourrés, perdant ses souliers dans sa course désespérée vers la liberté.

Tête baissée, il s’élança vers la droite puis piqua vers la gauche, franchissant une première haie de broussailles. Mais sur le terrain rocailleux et calcaire, à découvert, les balles le rattrapèrent avant qu’il n’atteigne la seconde haie.

Le tireur se pencha sur son corps pour lui trancher la gorge, essuyant froidement son poignard à sa cuisse, comme si de rien n’était.

IX. Le Rituel des Onze Lunes

Une à une, dans le silence complice d’un paysage désert et indifférent, elles descendirent du fourgon avec la majesté des saintes marchant vers leur calvaire.

Pas de cris, pas de supplications, seulement la prière muette de celles qui savaient que leur sacrifice deviendrait semence de lumière pour les générations futures.

L’abominable cérémonie se déroula comme une liturgie de mort.
Au bout du sixième sacrifice, l’immonde boucher, épuisé par sa soif de sang, céda sa lame maudite à son disciple des ténèbres. Dans le fleuve écarlate qui s’écoulait en rigoles, le démon poursuivit son œuvre de désolation.

X. L’Ultime Résistance

La dernière messagère du savoir que l’infâme arracha du fourgon rassembla ses dernières forces dans un sursaut d’humanité.

Pressentant l’horreur qui l’attendait, elle opposa à la mort une résistance farouche, si bien que les fils des ténèbres durent s’y mettre à plusieurs pour terrasser cette flamme de vie.

À cet instant tragique où l’univers retenait son souffle, nul ne savait que trois âmes pures venaient d’être arrachées au monde d’un seul geste impie : la dernière martyre portait en son sein l’espoir d’un lendemain, cet enfant qui ne verrait jamais le jour mais dont l’âme innocente rejoindrait celle de sa mère dans les jardins éternels.

XI. Le Cri qui Transperça le Ciel

Mon Dieu, dites-nous quelle face avait le bourreau devant Votre créature en prière, implorant par la Chahada le grand pardon pour des malheurs qu’elle n’avait pas commis…

Et ce maudit 27 septembre 1997, un cri de douleur transperça le ciel au-dessus de la forêt de Stamboul inondée du sang des innocentes.

Et le ciel se ferma… Et le ciel pleura au milieu des ténèbres tombantes… Et il déversa des torrents de larmes sur la citadelle de Safa soumise au diktat de Dib Edjiâne et de ses hordes de dégénérés venus de nulle part.

XII. La Mémoire Éternelle

Vingt-huit ans déjà depuis le départ de ces mères, sœurs et filles. Mais le cri de ces « madones » restera gravé à jamais dans la mémoire, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au jour de la résurrection.

Aujourd’hui encore, quand le vent souffle sur les collines d’Aïn Aden, on entend leurs voix qui murmurent les leçons qu’elles n’ont pu finir d’enseigner.

Car il est des balles qui tuent… et des silences aussi. Mais il est des mémoires qui défient l’oubli, et des cœurs qui gardent allumée la flamme de la connaissance.

Les bourreaux croyaient effacer la lumière en éteignant ces flambeaux. Ils ignoraient que chaque goutte de sang versé deviendrait encre indélébile, que chaque souffle coupé se changerait en écho éternel.

« Il est des balles qui tuent… et des silences aussi », mais il est des sacrifices qui transforment la mort en victoire, et des martyres dont l’enseignement commence vraiment le jour où leurs voix se taisent.

XIII. Épilogue : Les Treize Étoiles d’Aïn Aden

Il est des balles qui tuent… et des silences aussi.

Mon Dieu, elles étaient toutes jeunes…

Elles furent la lumière dans les ténèbres de la décennie noire.
Elles demeurent nos étoiles éternelles.

Il est des silences qui parlent… et des morts qui enseignent encore.

Qu’Allah accueille en Son paradis ces treize âmes pures et guide leurs pas vers la paix éternelle.