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Lamine Ammar-Khodja, cinéaste : « Il y a quelque chose qui doit s’effacer avant qu’on puisse voir »

Lamine Ammar-khodja est cinéaste et auteur. L’écrivaine Hajar Bali l’a rencontré à Alger, en marge de la projection qui a eu lieu à la Chambre Claire, pour un entretien autour de son dernier film Houbla, qui raconte l’histoire d’une peintre.


Affiche de Houbla.

Entre 2012 et 2014, Lamine Ammar-khodja réalise plusieurs films documentaires : Demande à ton ombre, Chroniques équivoques, Bla Cinima. Plusieurs fois primés (FID Marseille, Entrevues Belfort, DocLisboa), ses films sont montrés dans plusieurs festivals internationaux (Rotterdam, Viennale, Visions du Réel…). Houbla (Un billet de 200 dinars), réalisé en 2024, est sa première fiction. Il a aussi écrit un portrait de Mohamed Zinet, intitulé Entre les mouches, Éditions Motifs, 2024.

L’écrivaine Hajar Bali l’a rencontré à Alger, en marge de la projection qui a eu lieu à la Chambre Claire, pour un entretien autour de son dernier film Houbla, qui raconte l’histoire d’une peintre, interprétée par Nawel Louerrad, qui voit apparaître la silhouette d’un homme au loin. Intriguée, elle décide de le suivre mais l’homme disparaît. De retour chez elle, elle s’entête à le retrouver à travers ses dessins et ses peintures. S’en suit une longue rêverie, sous forme de quête initiatique, à la fois mystique et politique.

  • On pourrait dire que Houbla est ta première fiction, mais ça ne serait pas tout à fait exact, puisque dans tous tes documentaires il y avait déjà une grande part de fiction. Comment tu t’es senti en le réalisant ? Est-ce que tu as senti revenir le documentariste dans ton travail ?

Lamine Ammar-khodja: Bon, déjà, il y a un côté documentaire qui était là d’emblée. Ça vient du fait que le film raconte l’histoire d’une peintre qui essaye de dessiner le visage d’un homme qu’elle a vu ou croit avoir vu. Mais il se trouve que la fille qui joue ce personnage, Nawal Louerrad, est vraiment peintre. Je savais donc qu’il y aurait des moments où on la filmerait en train de peindre réellement, sans mise en scène.

Sinon, pour ce qui est des films précédents, ils sont très différents. Bla Cinima par exemple, ressemble à ce qu’on appelait dans le passé un micro-trottoir.

  • Tu t’es laissé surprendre par ceux qui t’entouraient dans la ville…

Exactement. C’était plutôt essayer de faire parler les gens, discuter avec eux et puis laisser les choses se faire… comme si le film devait se faire tout seul. Il n’y a pas tellement de mise en scène. Par contre sur les autres films (Chroniques équivoques, Demande à ton ombre) qui s’apparenteraient plus à des espèces de journaux, à la fois intimes et politiques, c’est différent. Là, je me mettais en scène, comme fil rouge du film et comme narrateur.

  • Tu voulais te raconter en même temps que raconter ce qui se passait autour de toi.

Oui, il y avait une sorte de va-et-vient entre intérieur et extérieur. Tout ce qui était intérieur, c’était de la fiction. Alors que ce qui se passait dehors c’était du documentaire.

  • C’est toujours ce déchirement dans lequel tu te trouves à chaque fois que tu viens dans cette ville. Parce que c’est essentiellement Alger que tu cherches à décrire et à découvrir, et tu n’y arrives pas. Comme cette peintre avec le portrait de cet homme qu’elle cherche partout.

Je me suis rendu compte que pour moi la question centrale a toujours consisté à trouver une espèce d’équilibre entre moi et les autres. D’un point de vue formel, ça s’est traduit par le désir de trouver un équilibre entre la fiction et le documentaire. C’est pour ça que je t’ai parlé de deux approches diamétralement opposées. Dans l’une, je suis très présent même physiquement. Dans Bla Cinima au contraire, même si je suis présent physiquement on dirait presque que je m’efface devant les autres. Et dans les deux cas, il y a une forme de déséquilibre. Un désir de trouver sa place.

  • Est-ce que tu l’as trouvé avec Houbla ?

C’est là où je voulais en venir. C’est beaucoup plus intéressant de mettre en scène quelqu’un d’autre que soi. Quand une autre personne incarne une présence pour toi, c’est plus facile de voir les choses, plus facile de composer avec le réel.

  • Il y a une forme de gémellité entre toi et ton actrice. Vous vous ressemblez tellement ! Dans certaines scènes où vous vous faites face, on a vraiment l’impression d’avoir affaire à une même personne. C’est-à-dire que si tu as choisi de filmer Nawel Louerrad, c’est que, quelque part, elle est un peu toi.

« Madame Bovary, c’est moi. » Dans le film, c’est dit explicitement : je lui laisse mon appartement, elle prend ma place, elle se confronte à ce qui est censé être ma mère. C’est comme si je lui prêtais mes habits le temps d’un film.

  • Et donc, on la voit dans son travail d’artiste et aussi quand elle fait ses exercices de Tai-chi, sa rencontre avec un galeriste, on voit bien que c’est son monde. Y a aussi l’idée qu’elle est perdue. Dans cette séquence au café par exemple, où elle lève la main mais personne ne la voit. Elle a aussi une singularité dans la ville que tu tiens à décrire et qui est remarquable dans le film.

Je pense que le film questionne la place et peut-être le rôle des artistes dans la société. C’est un problème qui a toujours existé, depuis l’Indépendance. Je ne pense pas que ce soit seulement mon cas personnel. Ni celui de Nawel par exemple. Ni seulement celui des artistes d’ailleurs. Sauf que quand tu es artiste, tu dois affirmer une singularité comme tu dis, ou peut-être une individualité propre, un regard, une intimité, peut-être même une excentricité. Disons que le cas des artistes est plus extrême. Mais est-ce que le problème ne se pose pas à tous ? On aurait tort de séparer les artistes du reste de la société. Les artistes sont des gens comme les autres. Sauf que dans leur cas, le problème est plus visible.

  • Mais tu dis que c’est le cas depuis l’Indépendance. Est-ce que tu lies ça à l’Algérie, peut-être au choix du socialisme et de la vie communautaire ?

Tu as raison, le problème se posait avant l’Indépendance. Pendant la colonisation, les Algériens étaient considérés comme des sous-hommes, il fallait combattre ça pour affirmer son existence. Le cadre moral à faire exploser était clairement défini. Le hic c’est qu’après l’Indépendance le problème a persisté. Un autre cadre moral a vu le jour. Je ne dis pas ça pour renvoyer l’Indépendance et la colonisation dos à dos. Loin de là. Je dis que le système de représentation a été pris en étau avant et après l’Indépendance. Pendant la colonisation il était caricatural, infantilisant, violent. Mais après l’Indépendance, à cause du positivisme, notamment identitaire, on a créé des images d’Épinal qui nous ont aussi éloigné de ce que nous sommes.

D’où viennent ces idées qu’on ne doit pas montrer une femme qui fume ou des poubelles dans la rue, si ce n’est d’une représentation qui a été fixée au préalable. Qui a implanté dans la tête des gens ces images d’une rue sans poubelle, et d’une femme qui ne doit pas fumer ? Ces représentations ne sont pas tombées du ciel !

  • Qui ont nié l’individualité, son existence propre. Sans parler des rêves ou de la part intime, comme tu dis.

Les représentations ne sont pas des faits simplement esthétiques. Le problème est franchement politique. L’image qu’un pays se fait de lui-même rassemble l’ensemble des croyances et des idéologies qui fixent le cadre moral dans lequel les individus doivent évoluer.

Je donne un exemple, lorsque j’ai présenté le film à Bejaïa en octobre dernier, quelqu’un m’a dit : ça ne se fait pas de montrer une femme qui fume. Ce ne sont pas nos traditions.

Autre exemple, à chaque fois qu’un cinéaste algérien filme des poubelles dans une rue, qui sont pourtant la chose la plus répandue dans nos villes, il y a quelqu’un dans la salle pour lui dire que ça ne se fait pas de montrer une « mauvaise image » du pays.

D’où viennent ces idées qu’on ne doit pas montrer une femme qui fume ou des poubelles dans la rue, si ce n’est d’une représentation qui a été fixée au préalable. Qui a implanté dans la tête des gens ces images d’une rue sans poubelle, et d’une femme qui ne doit pas fumer ? Ces représentations ne sont pas tombées du ciel !

Ça te donne une idée assez précise de ce qu’est une image politique. C’est une image qui déborde le cadre moral du contexte dans lequel elle a été produite. J’insiste beaucoup sur le contexte. Dans un pays européen par exemple, cette intervention sur une femme qui fume serait difficilement compréhensible.

Les individus doivent donc guerroyer avec ces représentations pour exister en tant que personne, quant aux artistes ils travaillent à les élargir, voire à les exploser.

Je voudrais aussi ajouter que l’intimité ce n’est pas la solitude, mais l’image que tu te fais de toi-même, dans le dialogue ou la confrontation qui a lieu entre toi et ta personne.

  • Parce que tu ne veux pas t’isoler du monde.

Surtout pas ! Si tout est fait pour que l’Algérie soit présentée comme un pays bleu, et que toi tu montres que c’est un pays jaune, eh bien si la majorité pense qu’objectivement la norme c’est qu’il soit bleu, il y a de fortes chances pour qu’on te renvoie l’idée que tu dis n’importe quoi. Le résultat c’est l’isolement.

Je dis ça parce qu’on m’a fait cette remarque à propos du film : Est-ce que l’isolement n’est pas nécessaire à l’artiste pour pouvoir créer ? Sûrement, si tu veux t’isoler pour créer personne ne t’en empêche. Le problème, c’est quand l’isolement n’est plus un choix, qu’il devient subi.

À ça, le remède est simple : plus il y aura d’espaces où on pourra voir que l’Algérie peut être rouge, verte, violette, etc., moins la norme sera monochrome, et moins il y aura d’isolement. Que ce soit pour les artistes ou les autres citoyens.

  • Il y a dans le film, à un moment donné, une confrontation entre la maman du personnage masculin que tu interprètes, et la peintre jouée par Nawel, où elle lui pose des questions très étranges. Elle lui dit, qu’est-ce que vous avez fait ? À quoi vous avez servi ? Comme si une génération entière était en train d’accuser ta génération de ne pas avoir produit, de ne pas avoir créé quelque chose qui raconte cette ville. Alors que tout le film, et c’est ça le paradoxe, tout le film est en train de raconter justement la ville.

Oui, c’est très bien dit. Et c’est tout le paradoxe. On ne voit pas la ville et pourtant le film décrit la ville. Mais peut-être que j’ai mal compris, que tu voulais parler de la confrontation entre la peintre et l’homme au chapeau qui fait le monologue vers la fin ?

  • Non, on reviendra au monologue de l’homme au chapeau. La mère déjà pose la question de l’utilité des artistes.

Elle lui dit mon fils fait des films mais je ne les comprends pas. Elle lui pose la question de la compréhension. C’était une façon de dire que l’isolement peut commencer même au niveau familial.

  • Est-ce que c’est une confrontation générationnelle ?

Je n’avais pas vu les choses de cette façon, mais c’est une interprétation que je trouve intéressante.

  • Venons-en au personnage interprété par Samir El Hakim, qui joue cet homme au chapeau qui surgit, une scène assez comique et en même temps violente, parce qu’il y a un couteau, on ne va pas se spolier l’histoire. Mais ce monsieur qui débarque, et qui de nouveau accuse toute une génération, ou tout un ensemble d’artistes, de ne pas être à la hauteur, y compris lui-même, il s’auto-critique, on a l’impression qu’il se plaint. Est-ce que c’est juste des plaintes ? ou bien est-ce qu’il attend quelque chose ?

Il commence par l’accuser, puis il élargit son discours à tous les artistes, puis aux gens en général. Et dans le même mouvement il s’inclut dedans, parce qu’il s’est passé quelque chose qui a touché tout le monde, on ne sait pas exactement quoi, il ne le dit pas explicitement.

  • Tu ne veux pas dire ce qui est arrivé ? On ne peut pas l’imaginer ?

En tous les cas, il dit qu’il a été emprisonné, et qu’après être sorti de prison il s’est remis en cause, il est devenu plus lucide, plus clairvoyant. Quant à ce qui est arrivé, c’est l’histoire du hors-champ, ça fait partie de ce qu’on ne voit pas dans le film. Il y a une petite indication pour guider les spectateurs, mais pour les Algériens c’est très facile de comprendre à quoi il fait allusion. Il suffit de se demander quel est l’évènement politique le plus important qui a eu lieu ces dernières années dans le pays et vous aurez la réponse. Quant à ceux qui sont étrangers à cette histoire, ils rempliront le hors-champ avec leur propre histoire.

Mais ce qui est important c’est surtout la rencontre entre les deux personnages. La peintre et son modèle. C’est aussi la rencontre entre l’art et la politique. La jonction entre le poétique et le politique. Si lui a dû passer par la case prison pour voir le monde qui l’entoure, elle devra passer par la rencontre avec lui ou la politique pour sortir de l’isolement. Dans les deux cas, il s’agit de voir. De se voir mutuellement.

  • On voit, à un moment, l’entrée de Bab jdid filmée par les frères Lumière. Et on la revoit tout de suite, instantanément, aujourd’hui. C’est comme si tu disais ce que raconte ce lieu au présent et ce qu’il a raconté à une autre époque. C’est volontairement que tu as fait ce clin d’œil ?

Les frères Lumière étaient des gens qui enregistraient le réel. Ils n’avaient pas l’intention de faire de l’art. J’ai l’impression qu’il faut quand même revenir à ce geste premier. Enregistrer les choses avant de les interpréter, surtout dans un pays où les représentations sont surchargées. Enlever de la mise en scène plutôt qu’en rajouter. Parce que de toute façon, le montage est une interprétation. C’est une mise en rapport de choses qui vont créer du sens.

  • À ce propos, on a presque l’impression que tu avais commandé l’effacement des peintures du boulevard Mohamed V. Dans ce boulevard, sur lequel étaient peints des monuments d’Alger, Maqam Chahid, une femme voilée, etc. Au fur et à mesure qu’on avance dans le film, on voit les peintures s’effacer. Et à la fin, le mur est entièrement blanc. Voilà, ça c’est quelque chose de réel que tu as filmé tel qu’il était, mais qui tout à coup, dans ton film, prend un autre sens. Comme si on disait que toute cette histoire qu’on nous raconte, cette histoire fabriquée, est à effacer. Prenez ce qu’il y a là. Arrêtez de nous faire des peintures grotesques de ce qu’on est.

Oui, je pense qu’il faut recommencer à zéro. Il y a quelque chose qui doit s’effacer avant qu’on puisse voir. Comme s’il fallait se dépouiller de quelque chose. Un vieux langage usé, qui doit laisser la place à un nouveau langage, pour dire une nouvelle réalité.

  • Et donc toi, quand tu fais ton film, Houbla, est-ce que tu as pensé ou peut-être rejeté un héritage ? Si oui, est-ce qu’il a ressurgi ? Est-ce qu’à un moment ou à un autre, tu t’es dit j’ai l’impression de faire quelque chose qui ressemble à…

Franchement non. Pas consciemment. J’étais comme mon personnage, plongé dans une quête de sens. Mais ensuite, j’ai découvert des choses assez extraordinaires. Notamment, par rapport aux peintres algériens et à l’abstraction.

  • Comme Khadda, le groupe Aouchem…

Ceux qu’on a appelé les peintres du signe. Il y a dans leur approche quelque chose que j’ai reconnue rétrospectivement. Et qui était très intuitive pour moi. Très instinctive. Je n’en avais pas du tout conscience. Puis j’ai découvert les manifestes de Khadda, les écrits de Sénac, et il y a eu comme une évidence.

Le plus étonnant c’est que j’y suis arrivé par la bande, d’une autre façon, en empruntant un autre chemin. Je m’interrogeais plutôt sur le regard, ce que ça veut dire de voir, de la nécessité de communion entre celui qui regarde et ce qui est vu. C’est pourquoi j’ai insisté sur la rencontre un peu plus tôt. Même si c’est une montagne, il faut vraiment entrer en communion avec elle. C’est ça aussi le dépouillement. Il ne faut plus peindre la montagne, il faut être la montagne. Il ne faut plus peindre la forêt, il faut être la forêt. C’est un truc presque mystique.

  • C’est ce que fait aussi Nawel dans son travail d’artiste, non ?

Je pense que oui. Par exemple, quand j’ai montré des peintures de Jean de Maisonseul à Nawel, elle a été complètement bluffée. Ça lui a fait tellement plaisir. Elle m’a dit : J’ai enfin trouvé une filiation, je ne viens pas de nulle part !

  • C’est inconsciemment qu’on se dépouille et puis après, une fois qu’on est dépouillé de tout, on devient conscient.

Oui, la tête fonctionne toujours à rebours, elle fabrique une histoire pour rendre les choses logiques. Mais au moment de créer, on ne sait jamais vraiment ce qu’on est en train de faire. On expérimente. Parfois ça marche, parfois pas.

  • Qu’est-ce qui te fait découvrir ensuite ces liens avec l’abstraction ? C’est peut-être aussi les réactions des spectateurs ?

Les réactions des spectateurs par rapport à ce film sont très variées. Il y a des spectateurs qui sont très perturbés, et d’autres qui adhèrent complètement. Et ce ne sont pas forcément ceux qu’on croit qui sont d’un bord ou de l’autre. À mon sens, les moins pertinents ce sont les gens éduqués. Les spectateurs cultivés ou qui croient l’être. C’est incroyable de voir à quel point ils peuvent être obtus et fermés. Pour la simple raison qu’ils croient savoir. Il y a aussi les semi-cultivés. Ceux-là pensent que s’ils ne comprennent pas le film c’est parce qu’ils n’ont pas les codes ou parce qu’ils ne sont pas cinéphiles. En général ce sont des petits bourgeois qui ont grandi dans des familles qui ont baigné dans la culture. En parallèle, il y a des gens comme cette jeune bénévole, aux rencontre cinématographiques de Béjaïa, qui est venue me dire à la fin de la séance qu’elle déteste les films conceptuels mais qu’elle a adoré le film.

À partir du moment où vous vous trouvez face à un langage dont vous n’avez pas l’habitude, vous pouvez être vite déconcerté. Ce qui est bien la preuve que pour voir quelque chose de nouveau, il faut au préalable se dépouiller de quelque chose. Les gens simples, quand ils ne sont pas bêtes, n’ont pas besoin de ça, ils ont la fraicheur de leur regard. Il y a aussi cette catégorie de gens extrêmement cultivés, mais qui arrivent à garder la fraîcheur de leur regard, ainsi qu’une certaine curiosité envers la nouveauté. Étrangement, leur sophistication rejoint une forme de simplicité. Ceux-là sont rares, ils sont très précieux.

  • Cette chose invisible dont tu parles, on la ressent très fort. Moi, quand j’ai vu le film la première fois, même si je ne comprenais pas tout, j’ai tout de suite senti que quelque chose m’avait été transmis. C’est pour ça que je te parlais des retours des gens. Est-ce que tu as à un moment ou un autre confirmé ce que tu dis sur l’invisible ?

J’ai l’impression que les gens en Algérie ont beaucoup vu le côté politique. Pour le coup, c’est la chose la plus visible disons au premier degré. Il ne faut pas oublier que pour le Hirak, on ne sait toujours pas qui a appelé à manifester le 22 février. Ça aussi ça fait partie de l’invisible.

  • J’y ai trouvé aussi beaucoup, je ne dirais pas des influences, mais des similitudes avec des réalisateurs qu’on connait.

Sûrement. Des choses qui remontent à mes goûts artistiques. À des films que j’aime, que j’ai vus, qui m’ont marqués.

  • Tous les personnages sont en apparence innocents, ils ont l’air de flotter dans le monde, mais ils nous racontent des choses très profondes qui nous bouleversent intérieurement. C’est exactement ce que j’ai ressenti dans ton film et que je ressens dans des films comme ceux d’Elia Suleiman. C’est un monde parallèle au monde qui existe, qu’il regarde innocemment, sans jugement, et où il nous retransmet ce qu’il voit. Et puis d’un coup, tout nous éclate à la figure.

Je vois très bien ce que tu veux dire. Les films du réalisateur japonais Ozu par exemple, sont des films extrêmement simples. Même troublants de simplicité. Ce sont souvent des relations père-fille, et c’est presque tout le temps la même histoire. Il y a quelque chose de transparent, de tellement transparent que ça en devient mystérieux. Presque fantastique. C’est très paradoxal. Quand tu regardes le film, tu as vraiment la sensation qu’il y a quelque chose qui n’est pas montrée et qui est extrêmement présente. Quelque chose que tu n’arrives pas à…

  • …totalement saisir. C’est exactement la sensation que j’avais avec ton film.

Oui, tu as raison, je voulais faire un film japonais.

  • Tu nous as sorti un OVNI.

Ah, c’est un vrai compliment ça. Les films Tahya ya Didou, Nahla, La Nouba des femmes du mont Chenoua, ont tous été qualifiés d’OVNI. Si mon film fait partie de cette tradition, alors je me sens extrêmement honoré.