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Abdallah Djaballah : « L’islamisme n’était pas à la hauteur de la démocratie »


Dans son long témoignage au micro de l’émission « Pour l’Histoire » qu’anime Nesrine Djafer sur la web TV El Khabar, le cheikh Abdallah Djaballah, l’une des principales figures du courant islamiste, propose une lecture critique du parcours des islamistes en Algérie au début des années 1990. Selon lui, ils n’étaient pas à la hauteur des exigences de la période.

Lors des élections locales de 1990, le Front islamique du salut (FIS) remporte une victoire écrasante. Djaballah n’est pas surpris par ce résultat, mais il estime qu’il révèle la fragilité de l’expérience islamiste face à la démocratie. « Je dis que le courant islamiste n’était pas au niveau de ce qu’exigeaient les nécessités et les impératifs de la transition démocratique pluraliste ».

Il ajoute avoir tenté à plusieurs reprises de convaincre la direction du FIS de coopérer avec les autres forces islamiques et politiques. « En un an et demi, nous avons tenté plus de vingt démarches… mais malheureusement, il n’y a jamais eu de réponse ».

Or, grisé par ses victoires, le FIS refuse toute coopération. Il exige des autres organisations qu’elles se dissolvent pour rejoindre ses rangs en tant qu’individus. Djaballah qualifie cette attitude de : « Partisanerie blâmable ». L’escalade atteint son apogée avec l’appel à la grève politique illimitée au printemps 1991. Djaballah, qui rencontre alors la direction du FIS, les met en garde. « C’était un appel dangereux, qui pouvait mener à la désobéissance civile… et ouvrir la voie à la violence ».

Mais la direction du FIS s’accroche à sa position, ce qui précipite la confrontation avec le pouvoir et plonge le pays dans une impasse. Lors du premier tour des législatives de décembre 1991, le FIS l’emporte à nouveau. Djaballah dit avoir anticipé la réaction du régime : « Si les résultats sont favorables aux islamistes, le régime se retournera contre eux ».

Effectivement, la décision d’interrompre le processus électoral et de dissoudre le FIS déclenche la violence. Elle anéantit l’espoir d’une transition démocratique. Pour Djaballah, le FIS aurait pu conduire l’Algérie vers un avenir apaisé s’il avait adopté une vision inclusive, intégrant les compétences de toute la nation. « S’ils laissent dominer une vision partisane étroite, ils ne réussiront pas à offrir un modèle de gouvernance utile, efficace et bénéfique ». Mais, dit-il, son enfermement partisan, conjugué à l’intransigeance du pouvoir, provoque l’effondrement de la fragile expérience démocratique.

La relation avec les services de renseignement

Dès le début de la crise, Djaballah se retrouve au cœur des interactions avec le régime. Lors de la grève de 1991, il participe à une délégation de personnalités islamiques reçue à la présidence. Il raconte : « Nous leur avons présenté nos préoccupations et nous les avons appelés au dialogue, en insistant que cette crise ne pouvait être résolue que par le dialogue ». Mais, ajoute-t-il, la délégation avait refusé la demande du pouvoir de faire intervenir le cheikh Sahnoun à la télévision pour appeler à l’apaisement, estimant qu’une telle démarche les ferait apparaître comme alignés sur le régime.

Concernant la relation des partis politiques avec les services de renseignement, Djaballah adopte une position ferme. « Je n’admets pas que les partis soient en contact avec les services de renseignement. Jamais… C’est une erreur. Cela les affaiblit ainsi que leur rôle, et les transforme en simples instruments et vitrines ».

Il insiste : « Cela a contribué à réduire le prestige des partis et à affaiblir leur poids… Je ne l’ai jamais admis et je ne l’admettrai jamais ». Pour lui, un parti doit rester totalement indépendant. « Non… un parti doit être indépendant, et sa direction doit être totalement indépendante… Les décisions d’un parti doivent être prises uniquement par ses propres institutions ».

Au final, le témoignage de Djaballah met en lumière la responsabilité partagée dans l’échec des années 1990. Du côté du FIS : arrogance politique, logique hégémonique et stratégie risquée. Du côté du pouvoir : blocage autoritaire, répression et absence de dialogue réel. Cette double intransigeance a précipité l’Algérie dans la confrontation et détruit la fragile expérience démocratique née à la fin des années 1980.