Condamné à trois années de prison ferme et deux avec sursis en appel en octobre 2025, Mohammed Lamine Belghit ne purgera pas la totalité de sa peine. Gracié par le président de la République, il quitte la prison et retrouve la liberté après sept mois d’enfermement. Le décret présidentiel portant cette grâce a été signé ce lundi 15 décembre 2025, a indiqué la présidence de la République dans un communiqué.
Cette grâce était dans l’air du temps. Elle a été réclamée par ses amis idéologiques. Une pétition pour sa remise en liberté a été signée par des enseignants universitaires au lendemain de sa condamnation à la prison ferme. La demande a été renouvelée, avec insistance, après la grâce accordée à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.
Enseignant d’histoire et polémiste à ses heures perdues, Mohammed Lamine Belghit s’était rendu coupable de positions révisionnistes à l’encontre de la dimension amazighe de l’identité algérienne. Des positions qu’il a exprimées dans une interview sur une chaîne de télévision émiratie, Sky News Arabic. C’était en mai 2025.
Suite à ces déclarations, jugées attentatoires à l’unité et à la cohésion nationales, la machine judiciaire s’est mise en branle. Interpellé, Mohammed Lamine Belghit est présenté devant le juge d’instruction qui, après l’avoir entendu, le place sous mandat de dépôt et l’écroue. Il est inculpé d’« atteinte à l’unité nationale » et d’« incitation à la haine raciale ».
Le 3 juillet 2025, soit après deux mois de vie derrière les barreaux, Mohammed Lamine Belghit est présenté devant le tribunal de première instance. Il est condamné à cinq années de prison ferme. La peine est allégée et ramenée à trois années de prison ferme et deux années de prison avec sursis par la cour d’appel. Le jugement est prononcé le 7 octobre 2025.
Mohammed Lamine Belghit et sa défense ont interjeté appel devant la Cour suprême. L’appel est rejeté. La condamnation devient alors définitive, ce qui donne la possibilité constitutionnelle au chef de l’État de prendre un décret de grâce.
« Pourquoi Sansal et pas Belghit ? »
De la grâce accordée à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui purgeait une peine de cinq années de prison ferme à laquelle il a été condamné en appel en juillet 2025, les amis de Mohammed Lamine Belghit en ont fait un argument de premier ordre pour réclamer la même mesure pour l’enseignant. Les militants de la mouvance dite « novembriste-badissiste » ont été, à ce sujet, particulièrement entreprenants.
Leur requête s’est articulée autour de deux arguments : d’abord que Mohammed Lamine Belghit ne devait pas aller en prison pour ces déclarations, aussi contestables soient-elles, et ensuite qu’il ne devrait plus y séjourner du moment que Boualem Sansal, qui a porté atteinte à l’intégrité du territoire national, en a été gracié.
Dès lors que Boualem Sansal est remis en liberté, il devenait pour le moins agaçant pour les autorités de maintenir Belghit en prison. Surtout que la grâce présidentielle accordée à l’écrivain franco-algérien est intervenue suite à une demande du président allemand Frank-Walter Steinmeier, qui en a prié le président Abdelmadjid Tebboune.
L’intermédiation allemande dans le dossier Sansal a été concluante. La diplomatie française a dû y faire appel, une fois qu’elle a compris qu’elle ne pouvait obtenir la remise en liberté de Sansal d’elle-même. Des va-t-en-guerre comme l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau ont obstrué toutes les voies pouvant mener au dialogue.
La grâce accordée à Boualem Sansal, dont on connaît les circonstances, recommandait celle de Mohammed Lamine Belghit. Car, indépendamment de la substance, différente, de leurs déclarations, l’un comme l’autre ont été condamnés pour des propos exprimés dans des médias. Et puis, ne pas faire bénéficier Belghit de la même mesure de clémence que celle accordée à Sansal laisserait poindre et grossir l’idée — elle a déjà été émise — que, dans certaines situations et dans une certaine mesure, la binationalité protège des déboires judiciaires.
Avec la grâce présidentielle accordée à Mohammed Lamine Belghit, il est coupé court à l’agitation de ceux qui crient aux « deux poids, deux mesures ». En même temps, elle rassure le courant « novembriste-badissiste », que le président de la République voudrait plutôt allié qu’opposant.