Fadéla M’Rabet, pionnière du féminisme en Algérie, biologiste de formation, écrivaine de conviction, est décédée ce mercredi 14 mai à Paris, à l’âge de 90 ans. Elle portait un regard lucide et sans concession sur la condition des femmes dans l’Algérie coloniale et post-indépendance.
Née en 1935 à Skikda, Fadéla M’Rabet, dans une famille de lettrés – son père ayant fait ses études à El Zeitouna et appartenait au Mouvement des Ouléma. Il n’hésitait pas à envoyer ses filles à l’école française. Biologiste diplômée de Strasbourg, elle rentre en Algérie à l’aube de l’indépendance, avec un doctorat. C’était un fait rarissime pour une femme à l’époque. Elle épouse, Maurice Maschino, un intellectuel français militant pour la cause algérienne. Elle enseigne les sciences et anime des émissions radiophoniques à la radio Chaine III.
Mais c’est la publication de « La Femme algérienne » (1965) et « Les Algériennes » (1967), aux éditions Maspero, qui fait d’elle une voix importante – et bientôt muselée. Le régime de Boumédiène n’apprécie guère ses prises de positions. Dans ses écrits, elle dénonce: la mise au ban des militantes, l’institutionnalisation du patriarcat, le mépris des puissants envers les faibles.
Les « nonnes cloîtrées »
Exclue du lycée où elle enseignait, bannie des médias, Fadéla M’Rabet quitte le pays en 1971. Elle s’installe à Paris, où elle devient maître de conférences et praticienne hospitalière. Mais sa plume, continuera d’ausculter l’Algérie, la mémoire, l’exil, les femmes. Dans « Une enfance singulière » (2008), elle raconte l’Algérie coloniale : l’école des « Françaises », la maison des « Arabes », l’abîme entre les deux. « Le monde de l’école et celui de la maison étaient juxtaposés et totalement étrangers », écrit-elle. Deux sociétés se croisaient sans jamais se reconnaître, dans un silence pesant, traversé de mépris réciproques.
Elle évoque les femmes, qu’elle décrit comme des « nonnes cloîtrées » de la société algérienne, qui ne sortaient que pour le cimetière ou « cet autre tombeau qu’était le domicile conjugal ». « Il faut vraiment que les hommes nous méprisent pour inscrire notre nom dans une case du livret de famille avec, en attente d’être occupées, trois autres cases, comme autant de niches à lapines », écrit-elle.