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Énergie : le secteur gazier sous tension entre exigences domestiques et contraintes de production


Le Bilan énergétique national 2024 met en évidence un glissement notable, puisqu’une fraction grandissante de la production gazière est désormais absorbée par la réinjection et par une demande intérieure qui progresse plus vite que les capacités de mise sur le marché. En 2024, la production algérienne brute de gaz naturel a atteint 175,7 milliards m³.

Mais derrière ce chiffre massif se cache un système sous tension, où l’équilibre entre exportations, besoins nationaux et exigences techniques des gisements devient de plus en plus délicat.

Près de 44 % de cette production brute — soit 77,3 milliards m³ — a été absorbée par les « utilisations en amont » du secteur. La part la plus significative est celle de la réinjection, qui représente 49,8 milliards m³, soit 28 % de la production totale. Ce volume dépasse largement le gaz destiné à la transformation ou au transport. Le maintien de la pression dans les réservoirs reste une condition incontournable pour préserver les capacités de production, surtout sur des gisements matures. Autrement dit, l’Algérie brûle aujourd’hui une part de sa richesse gazière non pas pour la consommer ni pour l’exporter, mais pour continuer à la produire demain.

L’impact sur la production commerciale est direct, puisque seules 98,4 milliards m³ ont été effectivement mises sur le marché en 2024. Une réduction structurelle, accentuée par un autre facteur, celui d’une demande nationale en énergie — et en gaz en particulier — qui progresse plus vite que les capacités installées. Les centrales électriques ont prélevé 25,2 milliards m³, en hausse de 7,4 % sur un an. Près de la moitié de la consommation gazière du pays sert aujourd’hui à produire de l’électricité. Cette progression limite mécaniquement les volumes disponibles pour l’exportation dans un contexte où la croissance économique (+4,4 % en 2024) et l’urbanisation renforcent les besoins domestiques.

Exportations : une mécanique qui se grippe

Le secteur aval en ressent déjà les effets. Les unités de liquéfaction ont vu leur charge chuter de 18,1 à 15,9 milliards m³, soit une baisse de 12,4 %, en raison à la fois des opérations de maintenance et du manque de volumes disponibles pour les alimenter. Cette contraction intervient au moment même où l’Europe, principal client, recompose ses importations énergétiques. Pour un pays où le gaz constitue plus de 51 % des exportations d’énergie primaire, la question du maintien des capacités exportables devient stratégique.

Au total, les exportations de gaz naturel ont reculé à 33,8 milliards m³, en baisse de 2 % par rapport à 2023. Ce recul modéré masque pourtant une réalité plus dure, à savoir une concurrence croissante entre usages domestiques et ambitions géoéconomiques. Le pays veut rester un fournisseur fiable des marchés euro-méditerranéens tout en répondant à une consommation intérieure devenue énergivore. Cette équation rend chaque mètre cube précieux.

Plus profondément, c’est la structure même du modèle gazier algérien qui apparaît sous pression. La dépendance à la réinjection illustre la maturité avancée de certains gisements et l’absence de nouvelles capacités de production suffisantes pour relâcher la contrainte. Le torchage, à hauteur de 2,3 milliards m³, reste marginal en comparaison, mais témoigne de marges d’efficience encore perfectibles.

L’année 2024 n’a donc pas marqué un déclin brutal, mais une inflexion stratégique qui rapproche l’Algérie du moment où la gestion des équilibres gaziers deviendra un exercice d’arbitrage permanent. Entre réservoirs vieillissants, demande intérieure croissante et engagements internationaux, la fenêtre d’aisance se réduit.

La question n’est plus seulement de savoir combien de gaz l’Algérie peut produire, mais combien elle peut réellement livrer — et pour combien de temps.