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ENIEM gonfle son bilan, mais l’activité reste en panne


Dans ses derniers états financiers (2023), l’Entreprise nationale des industries de l’électroménager (ENIEM) affiche un visage paradoxal, avec des capitaux propres en plein essor tandis que le chiffre d’affaires s’effondre. Si la solidité bilancielle semble impressionnante, elle repose avant tout sur un effet de réévaluation des actifs, bien plus que sur une performance industrielle retrouvée.

L’année 2023 a vu les écarts de réévaluation de l’entreprise bondir de 137 millions à près de 35 milliards de dinars, une hausse vertigineuse traduisant la revalorisation de certains terrains et immobilisations corporelles. Cette opération comptable, autorisée par les normes SCF, vise à rapprocher la valeur des actifs de leur juste valeur de marché. Elle permet de renforcer les capitaux propres, sans pour autant injecter de nouvelles liquidités ni générer de flux économiques réels.

Ce gonflement patrimonial transparaît dans les comptes, les terrains, évalués à plus de 40 milliards de dinars concentrant désormais l’essentiel de l’actif immobilisé. À première vue, le bilan paraît rassurant, le ratio de fonds propres atteignant 70 % du total de l’actif, un niveau que bien des entreprises privées envieraient. Mais cette robustesse reste largement comptable, elle traduit un repositionnement sur le papier plutôt qu’une consolidation de l’activité.

Derrière ce vernis patrimonial, la réalité économique d’ENIEM s’est sensiblement détériorée. Le chiffre d’affaires s’est contracté de plus de 60 % sur un an, tombant à un peu plus d’un milliard de dinars. Les ventes de produits finis, traditionnel moteur de l’entreprise, reculent fortement, tandis que les prestations de services stagnent à des niveaux marginaux.

Cette chute d’activité tire vers le bas la rentabilité économique, tombée à 1,18 %, un niveau qui ne permet plus de couvrir durablement les charges fixes. L’entreprise semble ainsi s’appuyer davantage sur la valorisation de ses actifs que sur la relance de son appareil productif.

Une stratégie défensive face aux contraintes structurelles

Cette politique de réévaluation n’est pas illégitime, car dans un contexte d’inflation et de dépréciation monétaire, elle permet de présenter un bilan plus représentatif de la valeur réelle du patrimoine. Elle traduit toutefois une forme de repli stratégique, ENIEM choisissant de capitaliser sur ses actifs pour consolider son image financière faute de croissance opérationnelle.

Ce choix confère un répit comptable, mais il comporte le risque de voir la valeur du bilan se détacher de la performance économique réelle. Un actif réévalué n’améliore ni la productivité, ni la compétitivité, ni la trésorerie. Et si la rentabilité n’est pas restaurée, la solidité affichée pourrait s’avérer illusoire à moyen terme.

ENIEM dispose encore de marges de manœuvre. Son faible endettement (0,42 dinar de dette pour un dinar de fonds propres) et son importante assise foncière lui donnent une capacité de financement confortable. Mais la priorité doit désormais se déplacer du bilan vers le compte de résultat.

Autrement dit, l’enjeu n’est plus de valoriser, mais de produire, vendre et innover. Sans redressement commercial, la réévaluation d’actifs ne restera qu’une parenthèse comptable, un miroir grossissant d’une solidité en trompe-l’œil. À l’heure où les entreprises publiques sont sommées de prouver leur viabilité économique, ENIEM illustre la tension entre un patrimoine statique qui se renforce et une dynamique industrielle qui s’érode.

Cette évolution pose une question plus large, celle de savoir si l’on assiste à l’émergence d’un capitalisme d’actifs au sein du secteur public industriel. La tendance à la réévaluation, observée dans plusieurs groupes d’État, peut donner l’illusion d’une résilience financière, tout en masquant la faiblesse de la création de valeur réelle.

À terme, la soutenabilité de ces modèles dépendra moins du poids des bilans que de la capacité à réinventer la production et à regagner des parts de marché. La valorisation d’actifs relève de la comptabilité, la croissance, elle, reste l’unique moteur de l’économie réelle.