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Pourquoi les élections ne résolvent pas la question du pouvoir en Algérie ?

Si on admet que la période allant de l'élection du président Tebboune au référendum sur la Constitution ait valeur de test de sa popularité politique et sociale, il est facile de constater que les Algériens ne sont pas convaincus que les élections telles que présentées par le pouvoir et mises en œuvre par ses appareils puissent être un moyen pour résoudre le problème du pouvoir au sein de la société.


Photo Samir Sid

Malgré l’élan du mouvement populaire du 22 février 2019 contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, revendiquant la reconsidération  des règles qui régissent le champ politique en particulier, et la gestion de l’Etat en général, le pouvoir – balayant ces revendications d’un revers de la main- a procédé à la mise en œuvre d’une feuille de route pour laquelle il a mobilisé les médias officiels et privés. Elle a abouti à l’organisation de la présidentielle du 12 décembre 2019, mettant en lice cinq candidats appartenant à l’élite politique contre laquelle les Algériens se sont révoltés.

Ces élections ont porté Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Etat, avec un taux de participation de 39%, auquel il a obtenu 64% des voix.

En dépit des promesses de Tebboune d’une Algérie nouvelle lors de sa cérémonie d’investiture, les manifestations hebdomadaires se sont poursuivies dans la plupart des villes algériennes, avec les mêmes slogans appelant à une transition démocratique qui mettrait fin à la dichotomie du pouvoir qui a vidé les institutions de leur contenu juridique et politique. Elles ne se sont arrêtées qu’après l’avènement de la pandémie du coronavirus, les manifestants avaient considéré la menace pour la santé publique.

Théoriquement, il semble que la suspension des rassemblements ait constitué un débouché pour le pouvoir, lui laissant le temps de se donner une légitimité sociale en résolvant les problèmes socioéconomiques –puisqu’elle n’a pas résolu le problème de fond, celui du pouvoir–. Mais si l’on tient compte du taux de participation au référendum sur la Constitution proposée par Tebboune comme critère de sa popularité politique et sociale, on notera un recul significatif même avec les chiffres annoncés par les autorités (23%).

Le pouvoir n’a laissé Bouteflika à la présidence pendant toute cette période qu’en raison de sa capacité à annihiler les effets des élections et de toute compétition politique dans la société.

Si on admet que la période allant de l’élection du président Tebboune au référendum sur la Constitution ait valeur de test de sa popularité politique et sociale, il est facile de constater que les Algériens ne sont pas convaincus que des élections telles que présentées par le pouvoir et mises en œuvre par ses appareils puissent être un moyen pour résoudre le problème du pouvoir au sein de la société.

C’est la question que nous traitons dans cet article : pourquoi les élections en Algérie ne constituent-elles pas une solution aux problèmes politiques auxquels la société et l’État sont confrontés ? Et pourquoi la présidentielle du 12 décembre 2019 n’a-t-elle pas réussi à résoudre la crise de légitimité politique dont souffre le système politique au pouvoir ?

L’on suppose qu’il existe un grand contraste entre les perceptions des tenants du pouvoir sur les élections et les partis politiques ainsi que la fonction politique et juridique que la Constitution algérienne avait accordée à ces mécanismes. La culture politique du système politique algérien semble immuable face aux profondes transformations que traverse la société algérienne.

Malgré l’adoption du pluralisme politique il y a trente ans dans la Constitution, les tenants du pouvoir ont continué à le considérer avec méfiance et suspicion, voyant dans les élections transparentes une menace pour l’unité du corps social de la nation et dans les partis politiques un moyen de désintégration du tissu social et une menace contre l’unité nationale.

Cette culture politique trouve son explication dans l’histoire de l’État algérien, marquée par la domination de l’idéologie populiste et par le rôle majeur qu’avait joué l’armée dans la formation et la construction de l’État.

Le populisme comme base idéologique du système politique algérien

Pour des raisons liées aux conditions historiques dans lesquelles l’État algérien a vu le jour, le populisme était l’idéologie politique la plus appropriée pour unir les Algériens contre le colonialisme.

Le populisme se fonde sur une conception de la société et de la communauté politique comme un seul bloc, qui ne serait traversé d’aucune lutte politique, idéologique, culturelle ou de classes, une entité apolitique, en somme.

Dans la culture populiste, la société est perçue comme une grande famille composée de frères et de sœurs, qui ne se battent pas et qui ne se font pas concurrence ni pour le pouvoir ni pour les biens matériels.

La mission de l’armée consiste ainsi à protéger l’honneur et l’unité de cette famille des menaces internes et externes.  Celle du gouvernement est de fournir les besoins matériels et les services dont la société a besoin.

Ce populisme s’est révélé efficace pendant la guerre de libération, unifiant les différentes formations politiques qui existaient pendant l’entre-deux-guerres (PPA/MTLD-UDMA-les Oulémas) en une organisation politique militaire, le Front de libération nationale (FLN), et il a également su gérer les différends et les différences qui traversaient le FLN et l’ALN (l’Armée de Libération nationale) tout au long de la guerre de libération.

Or, après l’indépendance, le système politique au pouvoir a construit des institutions politiques sur la même idéologie populiste. Cela a fait perdre à ces institutions la fonction de base qui leur est assignée dans un l’État moderne.

Le populisme est une idéologie stratégique de bataille contre un ennemi extérieur qui permet de resserrer les rangs et de reporter les conflits internes, mais une fois la menace extérieure disparue, elle devient un obstacle à la construction d’institutions politiques, tant elle contredit le principe de création d’institutions fortes pour un règlement pacifique des conflits.  

Pour les tenants du populisme, les partis politiques sont des outils impérialistes visant à affaiblir l’unité des Algériens. Les Algériens se dispersent, à leurs yeux, en partis politiques opposés, entravant, le fonctionnement de l’État et empêchant les élites dirigeantes de mener à bien leur mission historique de moderniser la société, de rattraper le retard devant l’Occident et d’éliminer la misère causée par le colonialisme.

Les institutions politiques et sécuritaires ont été créées spécifiquement à cet effet, c’est-à-dire pour empêcher l’apparition de divergences politiques dans la société, de peur qu’elles ne soient exploitées par les ennemis de l’Algérie dans le pays et à l’étranger. Surveiller la société et tous les espaces est l’une des tâches fondamentales de la police politique afin de contrecarrer la formation de cellules politiques secrètes, c’est-à-dire d’empêcher la société de pratiquer la politique.

Les organisations de masse qui se sont constituées pendant cette période (l’Union générale des travailleurs, l’Union des paysans, l’Union des étudiants, l’Union des femmes, l’Union de la jeunesse, etc.), avaient pour fonction d’assurer une mobilisation idéologique et de propagande politique pour les projets du pouvoir.

Par ailleurs, les élections dans le cadre d’un parti unique n’étaient qu’un moyen de perpétuer le populisme et d’accentuer l’unité du corps social et la cohésion du peuple avec ses dirigeants révolutionnaires. Les taux de participation et les taux de vote aux différents projets proposés par le pouvoir ont été préparés à cet effet, dans le seul but de souligner l’unité d’une société qui ne serait traversée d’aucun désaccord, horizontalement ou verticalement.

Reconnaissance du pluralisme politique et maintien du populisme

La légitimité révolutionnaire aura été politiquement efficace pendant les trois premières générations suivant l’indépendance, lorsque la mémoire collective était encore fertile pour le populisme. Le flux des recettes pétrolières a également permis au pouvoir en place de mener une politique de dépenses publiques généreuse, avec laquelle il a pu s’imposer grâce à une légitimité sociale.

Au cours de ces années, le pouvoir a tiré sa légitimité politique du fait qu’il incarnait un Etat de justice sociale, qui nourrit, éduque et soigne les Algériens, il combat l’exploitation capitaliste et empêche l’émergence des inégalités sociales en croisant le fer au capital privé et la corruption politique.

C’est une erreur que d’analyser la fraude électorale par le prisme des réseaux clientélistes cherchant à préserver leurs intérêts matériels directs, car c’est là le résultat de perceptions populistes et non pas la raison fondamentale de leur existence.

Houari Boumediene a insisté pour que les hommes d’État choisissent entre la révolution et la richesse, pensant peut-être que cela suffirait à contrecarrer la corruption et l’approfondissement des inégalités sociales.

Cependant, il aura suffi d’une chute des prix du baril de pétrole pour que la crise économique éclate au milieu des années 1980.  L’efficacité du discours populiste égalitaire a décliné, en particulier avec les scandales de corruption qui ont éclaboussé les différents appareils bureaucratiques de l’État. La rhétorique des médias publics n’ pas pu masquer l’ampleur de la crise sociale et économique dans laquelle vivaient les Algériens. La réponse politique de la société algérienne à cette crise s’est exprimée à travers les événements d’octobre 1988

Dans les faits, les événements d’octobre ont annoncé la fin de la légitimité révolutionnaire et forcé le pouvoir à approuver la légitimité électorale dans la Constitution de février 1989. Les élections pluralistes étaient devenues un moyen légal et politique de régler les différends politiques dans la société après avoir été pendant des années un simple outil pour légitimer les options du pouvoir au sein d’un seul parti.

La Constitution de 1989 est considérée comme une reconnaissance par le pouvoir de l’existence de différences politiques, idéologiques et de classes au sein de la société, permettant ainsi la formation de partis politiques pour encadrer cette différence, ainsi que la mise en place d’institutions élues pour résoudre d’éventuels conflits.

Mais le cours des événements a révélé par la suite que le pouvoir réel qui a amené le gouvernement réformiste n’était pas suffisamment préparé à se soumettre à la légitimité électorale, et c’est la raison pour laquelle les élections, même après l’adoption du pluralisme des partis, sont devenues un simple moyen de préservation du pouvoir dans ses niveaux les plus élevés.

La fraude électorale, depuis le retour au processus électoral en 1995, reflète la persistance des perceptions populistes et patriarcales du champ politique et de l’État.

Il est vrai que la Constitution de 1989 a mis fin au populisme – au moins sur le plan juridique -, mais il reste dans la culture politique des élites dirigeantes, cette crainte que les élections, les partis politiques et la lutte pour le pouvoir puissent devenir un moyen de division des Algériens et d’affaiblissement de leur unité. La première expérience d’ouverture politique, qui a tourné à la violence, a contribué à perpétuer cette perception.

La surveillance étroite des partis politiques, par le biais de la police politique et la préfabrication de crises internes au sein des partis opposés au pouvoir, reflètent la persistance des perceptions populistes du champ politique et la persistance de l’image négative du pluralisme des partis.

Si le pluralisme politique dans la culture arabo-islamique a des connotations négatives même dans son sens prémoderne, il porte dans la culture politique algérienne des perceptions négatives dans son sens moderniste.

Le Front de libération nationale est fier d’avoir réussi à arracher l’indépendance nationale après avoir éliminé le pluralisme des partis qui prévalait en Algérie avant la Guerre de libération. Une image négative du pluralisme des partis s’est, depuis lors, ancrée dans la culture politique nationale. Si la génération de la révolution demeure sous l’influence de cette culture et des perceptions historiques du pluralisme, celle d’aujourd’hui est complètement coupée de ces perceptions.

Certes, le pouvoir politique a laissé une marge à la compétition politique au niveau local (élections municipales), mais il a toujours considéré les élections législatives ou présidentielles ouvertes comme une menace directe pour l’unité du corps social et l’homogénéité de l’Etat. Ces perceptions populistes de la politique, de l’État et de la société ont vidé les élections présidentielles et législatives de tout enjeu, les rendant incapables de conférer une légitimité politique au pouvoir en place.

Menace sur la légitimité politique

Les élites politiques au pouvoir croient aujourd’hui que par leur contrôle tribal des élections, elles protègent la société de la menace du pluralisme politique.

Elles ne se rendent cependant pas compte que la société, trente ans après l’adoption du pluralisme dans la Constitution, a intégré les élections comme le seul mécanisme permettant d’accorder une légitimité politique à un pouvoir, quel qu’il soit. Et que la nouvelle génération d’Algériens a des perceptions universelles de ce que devraient être le champ politique et le pouvoir.

Le fait  de contrôler les élections, en falsifiant leurs résultats, ou en restreignant l’activité des partis, est une manière de défier la loi et la Constitution qui régit le fonctionnement de l’État et garantit un minimum de respect de l’État.

Les élites dirigeantes, dont la plupart a suivi une éducation politique unilatérale et populiste, semblent ignorer que ce qui garantit l’homogénéité et l’unité de la société, c’est le respect de la Loi et de la Constitution qui régit la concurrence politique, et non pas l’interdiction aux Algériens d’exercer les droits que leur a conférée la Constitution il y a trente ans. Et que la sociologie de la société algérienne en 2020 est complètement différente de ce qu’elle était en 1995.

En 1995, il n’y avait pas encore eu de véritable adhésion populaire au pluralisme politique et aux élections comme moyen de légitimation du pouvoir et de l’État.

La première expérience du pluralisme qui a viré à la violence, a creusé un terrain d’entente entre les perceptions du pouvoir par les élites dirigeantes et celles du peuple. C’est peut-être ce qui explique les raisons pour lesquelles Liamine Zeroual (1994-1998) a pu obtenir un important soutien populaire lors de la présidentielle de 1995, et il peut en être de même pour Bouteflika durant ses premier et deuxième mandats (1999-2009), car il a pu restaurer le populisme en revenant aux pratiques rentières et à une politique sociale généreuse.

Mais les troisième et quatrième mandats de Bouteflika (2009-2019) ont consommé le solde populiste, incitant la nouvelle génération d’Algériens à exiger le respect du contrat politique prévu par la Constitution. Il s’agit du contrat basé sur l’idée de souveraineté qui appartient au peuple à tous les niveaux, qui se pratique à travers des élections directes et grâce à des partis politiques.

Nous sommes face à un peuple qui réclame le respect de la Loi et de la Constitution, et un pouvoir qui voit dans le pluralisme politique une menace pour l’unité de la société et le maintien de l’État.  C’est une erreur que d’analyser la fraude électorale par le prisme des réseaux clientélistes cherchant à préserver leurs intérêts matériels directs, car c’est là le résultat de perceptions populistes et non pas la raison fondamentale de leur existence.

La feuille de route tracée par le pouvoir pour surmonter la crise politique provoquée par le régime de Bouteflika qui violé la constitution afin de rester au pouvoir malgré son incapacité physique, relève de la même culture politique populiste, considérant le pluralisme comme une menace contre l’État.

L’Algérie est revenue à peu près aux mêmes mécanismes par lesquels le pouvoir a été consacré durant les élections en 1995, avec un processus qui a vidé les élections de leur contenu politique, législatif, ne représentant plus le mécanisme par lequel se règlent pacifiquement les confrontations et les contradictions qui traversent la société.

Le pouvoir n’a laissé Bouteflika à la présidence pendant toute cette période, qu’en raison de sa capacité à annihiler les effets des élections et de toute compétition politique dans la société. Et il ne l’a abandonné qu’après avoir perdu sa vocation de représentant des Algériens, devenant, à ses yeux, une source de colère sociale et politique contre l’unité nationale. Et c’est de la même manière que Chadli Ben Djedid a été éliminé.

Le pouvoir s’est dispensé de Bouteflika parce qu’il n’était plus en mesure d’incarner l’unité nationale et l’unité de la société, c’est-à-dire qu’il n’était plus une source de consensus parmi les Algériens sur la personne que le pouvoir avait choisie pour représenter leur unité.

On peut facilement remarquer l’étendue des contradictions entre les perceptions du pouvoir de l’Etat et de la politique, celles de la société ainsi que les mécanismes prévus dans la Constitution pour résoudre le problème du pouvoir dans la société.

Perturbation des moyens de règlement politique

Alors que la société revendique son droit à la faire politique à travers la libre pratique partisane et la liberté d’expression, le pouvoir insiste pour que les élections soient l’occasion de renouveler le contrat entre les différents groupes formant le pouvoir d’abord et forger un consensus interne entre eux, et pour désigner la personne qui peut représenter les Algériens et prévenir les conflits et les différends.

C’est la raison pour laquelle la présidentielle de 2019 n’a pas résolu le problème du pouvoir en Algérie.

Le pouvoir en place est incapable de comprendre les déviations politiques causées par la perception populiste de l’État et de la politique, qui sont les mêmes déviations ayant conduit à l’effondrement de l’État dans certains pays du printemps arabe.

Le fait de désactiver les moyens juridiques pour résoudre les problèmes politiques, tout en utilisant des moyens non politiques –comme l’activation de la justice contre les opposants, l’utilisation de l’appareil bureaucratique pour falsifier les résultats des élections et le recours à la police politique pour surveiller les partis et les médias, utilisation de la propagande politique–, a conduit à deux résultats: 

·       Les structures politiques qui se sont établies après le pluralisme se sont transformées en réseaux clientélistes, incapables d’encadrer la communauté politique, conduisant les Algériens à fuir la politique sous sa forme officielle.

·       Le mouvement populaire s’est poursuivi même après l’organisation de la présidentielle du 12 décembre, car les structures politiques et juridiques avaient été vidées par le pouvoir populiste de son contenu politique pendant trente ans de pluralisme.

Le pouvoir estime que la propagande politique selon les voies traditionnelles qu’elle suivait à l’époque de l’unilatéralisme est capable de persuader les Algériens –ou du moins y a-t-il des indices de cette croyance dans l’offre qu’elle leur présente– et croit que les Algériens patriotiques doivent être convaincus de sa propagande et de ses offres politiques (selon la feuille de route élaborée).

En fait, l’idéologie populiste divise le champ politique en deux. D’un côté, les Algériens patriotiques qui soutiennent et s’engagent dans les projets de pouvoir, et, de l’autre côté, les Algériens au patriotisme discutable, qui remettent en question les intentions de leurs dirigeants au gouvernement et dans l’armée. Ces derniers devront ainsi être surveillés de près afin de ne pas menacer l’unité de la nation et la sécurité de la patrie.

Le pouvoir n’a pas saisi que la raison pour laquelle les Algériens ne se sont pas soulevés contre le régime de Bouteflika tenait de la poursuite par l’État de sa politique sociale généreuse, et non pas une conviction sociale et populaire de la légitimité du président, surtout pendant ses troisième et quatrième mandat.

En trente ans de ces pratiques de perturbation des moyens de règlement politique, le pouvoir s’est coupé de la société et devenu incapable de comprendre les développements profonds qui s’y déroulaient.

La raison de la poursuite du Hirak au-delà de la présidentielle tient est le fait qu’elle a eu lieu avec les mêmes mécanismes qui excluent la société de la politique dans un contexte révolutionnaire où la société revendique son droit d’exercer la politique.

Malgré la mobilisation de la machine de propagande, celle-là même qui a perdu toute crédibilité, soit parce qu’elle a été vidée du contenu politique et juridique que lui accordait la constitution pluraliste, ou parce qu’elle est concurrencée par les nouveaux médias sociaux.

À l’heure où la société exige, à travers le hirak, de rétablir la reconsidération des moyens politiques et juridiques conférés par la constitution du pluralisme, le pouvoir continue dans la même logique qui voit ces moyens politiques et juridiques une menace pour l’unité sociale et politique de la nation.

Ce contraste entre les perceptions de la société et celles du pouvoir autour de l’État et de la pratique politique fait que l’Algérie est aujourd’hui confrontée à deux logiques contradictoires:

Une logique autoritaire portant une culture politique rigide qui veut donner aux institutions politiques un contenu populiste appartenant à l’ère du parti Unique, et une logique sociale dynamique qui veut donner à l’État et aux institutions politiques un contenu juridique, politique et moral cohérent avec les exigences de construction et de maintien de l’État.

Dans les perceptions du pouvoir, les élections n’ont pas été conçues pour résoudre le problème du pouvoir dans la société, mais pour inhiber la compétition contre lui et fermer le jeu politique. Il suffirait ainsi, à ses yeux, d’arrêter cette compétition pour que le gouvernement, désigné par le pouvoir, puisse résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les Algériens dans divers domaines.

Mais pour ce qui est des perceptions de la société, le pouvoir ne peut être au service de l’intérêt public que s’il découle d’élections ouvertes et transparentes, et qu’il s’exerce dans des conditions politiques et juridiques caractérisées par une justice indépendante et la liberté de la presse. L’Algérie post-février 2019 se situe entre ces deux perceptions contradictoires.

Cette contradiction n’exprime pas la supériorité d’une génération sur une autre, elle exprime plutôt l’incapacité du pouvoir en place à comprendre d’abord les transformations qui se sont produites dans la société, et, ensuite, les déviations politiques causées par la perception populiste de l’État et de la politique, qui sont les mêmes déviations ayant conduit à l’effondrement de l’État dans certains pays du printemps arabe.