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«Tous les juifs ne sont pas sionistes»

Depuis quelques jours, des campements historiques en faveur de la Palestine ont investi les campus américains notamment ceux des plus importantes universités (Ivy League) comme Columbia et Stanford. Plusieurs professeurs et académiques juifs et antisionistes ont pris la parole durant ces campements de solidarité. Twala publie en exclusivité le discours fort d’Ariella Aisha Azoulay, professeur de culture moderne et médias et de littérature comparée à l’université Brown (Providence, Rhode Island), lors du campement à Brown.


« Je remercie les étudiants de m’avoir invitée à venir parler ici, aujourd’hui, dans cette “université” dans l’université que vous avez créée depuis le début du génocide [palestinien, NDLR]. Bien qu’une grande partie de ma recherche au cours des trente dernières années ait porté sur cette région située entre le fleuve et la mer, l’Université où j’enseigne ne m’a jamais contacté pour connaître mon point de vue sur la situation actuelle.

L’administration de l’université a pourtant envoyé plusieurs messages durant les deux derniers mois en indiquant qu’elle avait consulté des membres de la communauté juive de Brown. Il ne s’agissait jamais de ma personne. Qui sont les juifs qu’ils consultent ? Ont-ils une quelconque expertise dans l’histoire de la Palestine ? Ou leur expérience se limite-t-elle à l’histoire euro-américaine du sionisme ?

Sur ces sujets, ils consultent des “Juifs” parce que depuis la fin du XVIIIe siècle en Europe, et après la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis aussi, lorsque l’Occident avait décidé de soutenir le projet sioniste qui était jusqu’à cette époque marginal — oui, marginal ! — ils nous considèrent tous, aussi divers soit-on, comme les membres d’un groupe homogène, donc ayant ses propres représentants. La Ligue anti-Diffamation [Anti-Defamation League], par exemple, est considérée comme l’un d’entre eux. C’est pourquoi ils ont invité leur directeur sur le campus il y a quelques semaines pour nous dire que l’antisionisme est synonyme d’antisémitisme.

Nous n’avons pas de représentants. Les Juifs n’ont jamais eu de représentants. Jusqu’à ce que le mouvement sioniste agisse comme s’il représentait tous les Juifs. Ce n’est qu’après l’Holocauste que les Alliés ont décidé de soutenir ce mouvement marginal, ignoré par la majorité des Juifs, et d’intégrer sa revendication d’un État en Palestine dans le nouvel ordre mondial imposé.

Nous avons toujours été des communautés différentes les unes des autres. Et plus important encore, les Arabes et les musulmans, parmi lesquels maintes communautés juives ont vécu depuis toujours, n’ont jamais été les ennemis des Juifs jusqu’à la création de l’État d’Israël. L’imposition d’un leadership juif sioniste aux communautés juives a servi les intérêts impériaux de l’Occident, c’est-à-dire sa lutte mondiale contre l’Islam et les Arabes.

Nous, les Juifs non sionistes ou antisionistes, dont nos histoires nous ont été volées par les sionistes soutenus par l’Occident, avons longtemps été la majorité silencieuse : des juifs et juives de toutes sortes, de toutes couleurs, de toutes croyances, forcés de s’identifier à des histoires, à des souvenirs et à des actions qui n’étaient pas les nôtres.

Personne ne parlera en notre nom de ce que fait l’Israël financé par l’Occident. Nous voyons un génocide et nous ne nous tairons pas ! Nous sommes ici pour le nommer pour ce qu’il est et protester contre le génocide et la complicité de nos universités dans notre détournement cognitif.

Avons-nous vu un groupe de travail créé par l’université  afin d’étudier ce génocide, ses origines, sa nature et ses enjeux ? Avons-nous entendu un appel urgent à établir un groupe de recherche composé d’universitaires qui enseignent ici et travaillent sur le génocide, la Palestine et toute la région entre le fleuve et la mer ? Avons-nous un doyen engagé pour vous fournir, à vous, nos étudiants, le programme d’études approprié pour comprendre ce génocide ?

Depuis le début du génocide, ils n’ont créé que des groupes de travail pour nous faire taire, pour limiter les manifestations, pour nous priver d’espaces de rassemblement et de réflexion. Ils ont promulgué des politiques qui intimident les professeurs, le personnel et les étudiants, qui les menacent pour ne pas “dire” qu’il s’agit bel et bien d’un génocide. Mais nous n’avons pas peur !

Il s’agit d’un génocide qui n’aurait pas dû se produire. Pas d’excuses. Il ne disparaîtra jamais de nos esprits, de nos cœurs et de notre scolarité, même lorsqu’il prendra fin, si la fin a un sens pour un désastre d’une telle ampleur.

Avec ce génocide contre les Palestiniens, les Juifs sionistes, qui opèrent comme les mercenaires de l’ordre impérial suprématiste blanc depuis 1948, continuent à façonner le monde dans lequel nous vivons; un monde où un tel génocide pourrait se dérouler pendant plus de 200 jours et où les gens sont censés ne pas voir le génocide lorsqu’il y en a un. Mais nous voyons le génocide, et c’est pourquoi nous sommes ici. Nous sommes chaque jour de nouveau horrifiés par lui et par le langage qui est mis en place pour nous dire qu’il n’en est rien.

Que faisons-nous ici lorsque nous demandons à nos universités de “désinvestir” leur (le nôtre en fait !) argent des compagnies d’armement ? Nous demandons la vérité, nous insistons pour que la vérité soit dite et partagée avec les autres – que cette éducation soi-disant progressiste couvre l’investissement de nos universités dans le génocide.

Nous voulons que notre université agisse comme nous pensons qu’une université devrait le faire — faciliter l’apprentissage, soulever des questions sans crainte de sanctions, et exprimer une solidarité inconditionnelle avec d’autres institutions d’enseignement supérieur lorsqu’elles sont détruites comme nous savons qu’elles ont toutes été détruites à Gaza.

Selon nous — ceux et celles qui se réunissent ici semaine après semaine — une université ne devrait pas investir dans les armes ET devrait protéger le système éducatif des intérêts des entreprises d’armement.

En ce sens, par rapport à nos attentes du contrat que nous avons avec l’université, cette institution nous trahit en ce moment critique du génocide — aujourd’hui à Gaza et au Congo, demain ailleurs.

Lorsque nous exigeons le désinvestissement, le divorce entre les universités et les compagnies d’armement, nous obligeons l’université à reconnaître l’évidence — elles ne peuvent pas produire une véritable connaissance du monde comme elles le prétendent tant qu’elles continuent à financer le génocide.

Lorsque nous exigeons le désinvestissement, nous insistons donc sur notre droit à rechercher la vérité dans le cadre de ce qui nous a été promis comme étant la mission de l’enseignement supérieur.

Soyons clairs : il ne s’agit pas de liberté d’expression, il s’agit de dire la vérité. Il y a un génocide à Gaza et toute cette campagne de répression vise à nier qu’il s’agit d’un génocide. Je me demande comment ces universités américaines se sont comportées en 1943, 1944 ou 1945 — quand il était clair que les Juifs étaient exterminés en Europe ?

La question que nous devons nous poser est la suivante : pourquoi devons-nous lutter pour la vérité ? Parce que tout ce que font les universités et beaucoup d’autres institutions depuis le début du génocide, c’est de camoufler la vérité et d’utiliser divers moyens pour rendre difficile de dire l’évidence, d’appeler les choses pour ce qu’elles sont.

Pourquoi des centaines de nos professeurs ne sont-ils pas présents aujourd’hui ? Sont-ils tous aveugles et ne voient-ils pas le génocide ? Non, ils sont intimidés par ces institutions, ils craignent pour leur emploi, pour leur gagne-pain. Sinon, ils se seraient joints à la manifestation de vérité de ces campements.

Ces campements sont donc des campements de la vérité !

Ces campements répondent et amplifient le discours de vérité de centaines de journalistes, photojournalistes et travailleurs des médias à Gaza, les prophètes — qui risquent leur vie pour diffuser la vérité sur ce qui leur est fait et la vérité sur le régime génocidaire qui en est responsable.

Lorsqu’ils consultent les “Juifs” à propos du génocide, ils veulent faire croire au monde que tous les Juifs soutiennent ce régime génocidaire.

Ce n’est pas le cas !

Je suis une juive musulmane fière, juive arabe, juive berbère, juive algérienne, juive palestinienne. Ils veulent éradiquer toutes ces identités indisciplinées afin de faire de nous ceux qui sont représentés par “les juifs”.

Permettez-moi de terminer en citant Rosa Luxembourg qui écrivait de la prison alors qu’elle était emprisonnée pour son militantisme en faveur d’un désinvestissement total des entreprises d’armement, son activisme anti-guerre sans compromis. “Le seul moyen de renaissance est l’école de la vie publique elle-même” — continuez à diriger cette école de la vie publique ! »