Chargement ...

Algérie : l’IA a son école

Fondée en 2021, l’ENSIA incarne l’ambition algérienne dans le domaine technologique. Ici, des étudiants venus de tout le pays — et même de l’étranger — misent sur l’IA pour relever des défis concrets : réduire les erreurs médicales, soutenir l’éducation, ou inventer des solutions de mobilité durable.


Cet après-midi, le ciel de Sidi Abdellah se dégage après une averse passagère. Au pôle universitaire, qui regroupe les cinq écoles de l’intelligence artificielle, de cybersécurité, de mathématiques, de nanotechnologie et des systèmes autonomes, quelques étudiants, dont des étrangers, circulent entre les cités universitaires et les bâtiments. L’ambiance traduit une reprise timide des cours, quelques jours seulement après le début officiel de la nouvelle année universitaire.

À l’ENSIA, Wail Ouaret quitte l’amphithéâtre où il vient d’achever ses cours. À vingt ans, ce natif de Sétif est étudiant en troisième année et se dirige vers un lieu qui occupe une place toute particulière dans sa vie : les locaux d’Afaq Académie, hébergés par l’incubateur d’Algérie Télécom. Afaq, c’est son projet : une plateforme de soutien scolaire en ligne qu’il a imaginée dès le lycée, lorsqu’il devait parcourir plusieurs kilomètres pour suivre des cours de soutien.

« Ma commune était mal desservie par les transports. Chaque fois, je devais prendre le bus pour aller en ville. J’ai alors pensé à une solution à distance qui permettrait aux élèves d’apprendre de chez eux », déclare Wail Ouaret à Twala.

Aujourd’hui, Afaq Académie propose des cours dès le CEM, et sa déclinaison Afaq+ permet aux étudiants d’approfondir des compétences techniques, notamment en design, en informatique et en intelligence artificielle.

C’est une expérience encore plus douloureuse qui se cache derrière son choix de spécialité. Victime d’une erreur médicale à l’âge de dix ans, Wail s’était juré de devenir médecin pour réussir là où ses soigneurs avaient échoué.

« Deux patients sont morts le même jour de la même erreur », se rappelle-t-il. Mais une fois au lycée, il découvre le potentiel de l’intelligence artificielle en santé et change de trajectoire : « Je me suis dit, pourquoi ne pas créer un logiciel qui aide les médecins à réduire les erreurs médicales ? ».

Passionné de programmation, il y voit une nouvelle voie pour concilier sa soif de justice et son goût pour l’innovation. « Le problem solving est l’une des premières choses qu’ils nous apprennent à l’école : comment résoudre des problèmes du quotidien de façon créative. C’est ce que j’essaye de faire avec l’IA », déclare l’étudiant et jeune entrepreneur à Twala.

Choisir l’IA par conviction

Fondée par décret présidentiel en 2021, l’ENSIA est, avec l’École supérieure de mathématiques implantée sur le même pôle universitaire, l’une des premières grandes écoles créées par décision présidentielle depuis 1965, après l’École nationale supérieure vétérinaire et l’École nationale d’administration (1964).

L’accès y est particulièrement sélectif. L’ENSIA exige plus de 18 de moyenne au baccalauréat. Cette année, le seuil a été fixé à 18,59, juste derrière l’École supérieure d’informatique (ESI), première avec un seuil d’accès de 18,69. Cette exigence attire un nombre limité d’étudiants. La première promotion, composée de 200 étudiants, obtiendra ses diplômes cette année après cinq ans d’études. La deuxième en compte également 200, parmi eux des étudiants étrangers venus principalement de pays africains et arabes.

Moussa Boussekine, 21 ans, de Béjaïa, fait partie de la deuxième promotion. À son admission, l’école n’accueillait encore qu’une seule promotion, mais cela ne l’a pas empêché de placer l’ENSIA en premier choix.

« L’ENSIA et l’École supérieure de mathématiques étaient les seules créées par décrets présidentiels. Ma famille et moi savions que c’était une école qui allait prendre de l’ampleur », se rappelle-t-il.

Mais la reconnaissance institutionnelle n’était pas sa seule motivation. « Le fait que les cours soient dispensés en anglais a pesé dans ma décision », affirme Moussa dans un français sans faute.

« J’aime beaucoup la méthode dont les cours sont organisés. Les deux premières années sont préparatoires et consacrées aux mathématiques : algèbre, algèbre linéaire, analyse, logique mathématique, probabilité, statistiques… C’est logique, car l’IA repose sur ces fondements. Nous avions aussi des modules d’informatique comme les algorithmes, les langages de programmation et les bases de données », confie Moussa.

« Sans oublier l’anglais. Puisque les cours sont entièrement en anglais, l’école nous accompagne avec des modules intensifs qui couvrent le speaking, listening et writing, complémentaires à ce que nous avons appris au lycée. C’est un point important qui attire les étudiants, de plus en plus tournés vers l’anglais plutôt que le français », détaille le jeune étudiant.

Au vu de la charge des études, Wail insiste sur l’importance de choisir cette spécialité par passion et conviction. « L’IA ne doit pas être une tendance. Si tu la choisis sans passion, tu seras vite confronté à la réalité : la charge de travail est lourde et l’environnement très compétitif », affirme-t-il.

Entreprendre avec l’IA

L’école va plus loin dans son programme d’enseignement : elle inclut des cours de pensée critique, d’entrepreneuriat et de communication. « L’IA, ce n’est pas seulement une spécialité technique. On nous apprend aussi à parler en public, à négocier, à travailler en équipe », souligne Moussa.

Pour lui, l’ENSIA n’est pas une simple formation académique, mais un tremplin vers l’innovation et l’entrepreneuriat. Avec cinq camarades, il crée l’application de covoiturage Nroho, récemment labellisée startup par le ministère des Startups et des micro-entreprises.

Le projet a d’abord pris la forme d’un site web dans le cadre d’un projet d’études. Le groupe d’étudiants s’est lancé le défi de le développer davantage en le transformant en application, puis en startup. Un défi relevé après huit mois de travail acharné.

« Dans Nroho, l’utilisateur, chauffeur ou passager, doit scanner sa carte d’identité et se prendre en photo : l’IA extrait alors sa photo et vérifie qu’il s’agit bien de la bonne personne. Nous faisons aussi en sorte que les trajets soient personnalisés : les chauffeurs et passagers sont associés selon leurs centres d’intérêt, grâce à un questionnaire. Ainsi, quelqu’un qui n’aime pas parler, fumer ou préfère écouter des podcasts sera dirigé vers un chauffeur partageant les mêmes préférences », explique Moussa.

« C’est une application qui a un impact social, économique mais aussi écologique. La plupart des voitures circulent à vide, alors pourquoi ne pas favoriser le covoiturage ? Nous avons d’ailleurs participé à la 3ᵉ Compétition d’Innovation Startups de la Banque islamique de développement, où nous avons remporté 3 000 dollars que nous avons immédiatement réinvestis dans le capital », se réjouit le jeune entrepreneur.

La cité universitaire, l’autre visage du campus

« Les étudiants sont logés dans la résidence universitaire n°6 qui a une capacité de 1 000 lits. Ils sont hébergés dans des chambres individuelles bien équipées, et bénéficient d’espaces et services communs tels qu’une salle de lecture, une salle informatique, une salle de sport et une cantine sur place », indique le site officiel de l’école.

Comme Wail, Moussa réside à la cité universitaire, à seulement cinq minutes à pied de leurs salles de cours. Tous deux décrivent un logement « agréable et confortable ».

« Si l’on se base sur les critères algériens, les chambres c’est un 11 sur 10 », rigole Moussa. « Elles sont d’environ dix mètres carrés avec deux placards, matelas, lit, deux tables, une hauteur sous plafond de plus de deux mètres, un balcon et des veilleuses intégrées pour étudier le soir. Il y a douze chambres par couloir, des sanitaires dans chaque couloir. Nous avons la chance que tout soit nouveau et neuf, l’État a investi dans ce pôle », confie-t-il.

Et d’ajouter, pour appuyer sa comparaison : « Sur les toitures, il y a même des panneaux solaires, je ne pense pas qu’il y ait ça dans les autres cités. »

Wail renchérit : « Chaque étudiant a droit à une chambre, qu’il vienne d’une autre wilaya ou qu’il réside à Sidi Abdellah même. Les chambres sont confortables et le fait qu’elles soient individuelles nous garantit une meilleure productivité. »

L’ENSIA, vitrine technologique nationale

Les deux étudiants décrivent « une vie communautaire prospère », notamment à travers les clubs scientifiques, à l’image de Skill&Tell.

« Dans notre club, nous nous concentrons sur le développement des soft skills et accompagnons les étudiants dans cet apprentissage : prise de parole en public, communication, négociation, ou encore création d’un réseau. Tout cela contribue à augmenter les chances d’un diplômé de s’insérer dans la vie professionnelle », explique Moussa Boussekine, président du club.

L’ENSIA se présente comme une vitrine du savoir-faire national et de l’ambition algérienne dans les domaines technologiques. Qu’il s’agisse d’Afaq, qui ouvre les portes du savoir aux élèves éloignés des grandes villes, ou de Nroho, qui favorise le covoiturage et réduit l’impact environnemental, ces projets démontrent que l’intelligence artificielle n’est pas confinée aux bancs de l’école. Elle est déjà un outil de changement, porté par une génération déterminée à l’utiliser pour façonner l’avenir.