Le média « Daraj » a pris connaissance du dossier d’Ahmed Hussein Al-Charaa (Abou Mohammed Al-Joulani) au tristement célèbre centre de détention de la branche de Palestine à Damas. En publiant l’histoire d’Ahmed Al-Charaa telle qu’elle apparaît dans ce dossier, « Daraj » n’a pas vérifié ou recoupé les informations, mais a choisi de les présenter telles quelles.
Cette publication vise à éclairer sur la manière dont les services de renseignement d’Al Assad ont traqué leur ennemi, qui est aujourd’hui devenu, du moins dans cette période de transition, l’un des hommes forts de la Syrie.
Jusqu’en 2016, la véritable identité d’Abou Mohammed Al-Joulani était incertaine, oscillant entre Ahmed Hussein Al-Charaa, recherché par les autorités, et plus de quatre autres jihadistes dont les noms figuraient dans le dossier préparé par la « branche de Palestine » à Damas sur l’émir du « Front al-Nosra ».
Ce dossier, dont « Daraj » a pu photographier les pages lors d’une visite de son équipe à ladite branche, révèle en premier lieu une impression marquante : Al-Joulani semblait plus intelligent que ses poursuivants, agents des services de renseignement de l’ancien régime. Ces derniers apparaissent comme une partie d’une machine bureaucratique peu professionnelle, et dont les méthodes sont le prolongement d’un discours systémique que l’on aurait pu s’attendre à voir écarté dans un domaine aussi sensible.

Les rédacteurs du dossier, issus de la machine bureaucratique du tristement célèbre service de sécurité, présentent une liste de noms parmi lesquels celui d’Al-Joulani est supposément inclus.
Ironiquement, le nom d’Ahmed Al-Charaa figure en bas de la liste. En tête, on trouve le nom d’Anas Khattab, de nationalité irakienne, suivi par Oussama El Haddawi, un Syrien originaire de la ville d’El Chahil. Le rapport évoque ensuite la possibilité qu’Al-Joulani soit un parent du Jordanien Abou Musaâb El Zarkaoui, ayant résidé au Koweït avant de rejoindre l’organisation al-Qaïda. Enfin, le nom d’Ahmed al-Charaa est mentionné comme dernière hypothèse.
Ce qui renforce l’idée que les services de renseignement syriens ignoraient la véritable identité d’Al-Joulani, c’est l’incohérence des informations à son sujet entre l’introduction et le corps du rapport. Par exemple, l’introduction indique qu’Al-Charaa est né en 1983, avant de corriger cette information plus loin dans le rapport, précisant qu’il est en réalité né en 1982, une rectification rendue possible après que les auteurs du rapport aient obtenu un acte de naissance auprès des registres d’état civil.
Parcourir les rapports au sein de la branche de Palestine donne l’impression qu’une vaste machine bureaucratique est chargée de la rédaction des dossiers des personnes recherchées et détenues par cette unité. Le dossier d’Al-Joulani s’étend sur environ une centaine de pages. Les fautes linguistiques y sont rares, et l’agencement des pages reflète une structure rigoureuse, où la formalité et l’organisation semblent primer sur la précision des informations.
Les agents des renseignements syriens ont été affectés par la même léthargie qui a frappé la plupart des institutions de l’État, leur travail se résumant principalement à la violence, puis à l’adhésion à des règles bureaucratiques qui, vraisemblablement, ne sont plus adaptées aux nouvelles missions.
Sur le plan des informations, le chapitre consacré à l’analyse du dossier révèle une compétence moyenne chez les services de renseignements à suivre les évolutions du parcours d’Ahmed Al-Charaa, depuis son affiliation à l’État islamique (Daech) jusqu’à la création de Hayat Tahrir El Cham. Son pragmatisme, mis en évidence dans le rapport, lui a permis de traverser les multiples scissions auxquelles il a participé.
Le rapport suggère qu’Al-Joulani a réussi à déjouer les services de renseignement syriens, qui ont mêlé les informations qu’ils détenaient sur son groupe avec celles concernant d’autres « djihadistes ». Il y est écrit :« En 2006, Al-Joulani a quitté l’Irak pour le Liban, où il a supervisé l’entraînement de l’organisation Jound El Cham, affiliée à al-Qaïda. Par la suite, il est retourné en Irak, où il a été arrêté par les forces américaines et incarcéré à la prison de Bucca avant d’être libéré en (année à compléter) »
Ahmed Al-Charaa n’a jamais mis les pieds au Liban. C’est ce sur quoi s’accordent ceux qui ont suivi son parcours. Cependant, la mention de cet « événement » dans le dossier semble résulter de son habileté à dissimuler son identité. Il apparaît que la chaîne qatarie Al Jazeera a joué un rôle dans la révélation de son profil, comme en témoigne une information mentionnée dans le rapport :
« Des informations diffusées par la chaîne satellitaire qatarie Al Jazeera ont, pour la première fois depuis l’annonce de la création de la branche syrienne d’al-Qaïda au début de l’année 2012, révélé la véritable identité du terroriste Abou Mohammed Al-Joulani (chef de l’organisation terroriste Front El Nosra). Ces informations, autorisées par le terroriste lui-même, indiquent qu’il s’agit d’Oussama Al Absi Al Wahdi, né en 1981 à El Chahil, dans la région de Deir ezzor, au sein d’une famille originaire d’Idlib ayant déménagé à Deir ezzor. Il avait intégré la faculté de médecine de l’université de Damas, qu’il a quittée après deux ans pour se rendre en Irak lors de sa troisième année universitaire. Là, il a rejoint la branche d’Al Qaïda en Irak après l’invasion américaine en 2003, opérant sous le commandement du défunt terroriste Abou Musaâb El Zarkaoui, et a déclaré son allégeance à Oussama Ben Laden. Il est rapidement devenu un cadre dirigeant du groupe et un membre proche du cercle de Zarkaoui. Après l’assassinat de ce dernier lors d’un raid américain en 2006, Al Joulani aurait quitté l’Irak pour le Liban, où il aurait supervisé l’entraînement de l’organisation Jound El Cham, affiliée à al-Qaïda ».
Ainsi, c’est bien Oussama El Absi Al Wahdi qui s’est rendu au Liban, et non Ahmed Al-Charaa, dont l’identité restait, à ce moment-là, incertaine pour les services de renseignement syriens.

À une époque antérieure, au début dudit « djihad » en Irak, Ahmed Al-Charaa disposait déjà d’un dossier auprès des services de renseignement syriens, bien qu’il ne soit pas encore devenu Al-Joulani. Le rapport indiquait :
« Ahmed Hussein Al-Charaa, fils de Wadad, né en 1982, résidait à Damas – El Mazzeh, villas orientales. Portant une barbe, il s’était rendu en Irak dans le but de participer au djihad pendant la guerre américaine. Il y est resté dix jours avant de revenir en Syrie. À son retour, un différend a éclaté entre lui et son père, à la suite duquel il a quitté le domicile familial sans jamais revenir. On ignore s’il se trouve actuellement en Syrie ou à l’étranger (informations datant de 2005). Il était étudiant… »
Le rapport s’interrompt ici, laissant entendre que son parcours ultérieur restait alors flou pour les autorités syriennes.
Feuilleter les pages du dossier révèle que les services de renseignement du régime d’Assad traquent un homme plus rusé qu’eux. Un homme aux multiples noms, visages et lieux, insaisissable même après l’identification finale de son identité. La méfiance envers son parcours imprègne chaque étape de l’analyse menée par les officiers sur les revirements d’Al-Charaa.
Le dossier contient également des photos des visages de ses proches, tués, accompagnées de leurs noms. En parcourant ces images, une question s’impose : quel est le secret de la survie de cet homme au milieu de tant de morts qui l’entourent ?
Le dossier contient des chapitres suggérant que, dès 2016, les services de renseignement du régime syrien suivaient les transformations d’Al-Joulani, bien qu’ils aient confusément amalgamé les parties qu’ils accusaient de le soutenir. On peut lire : « Il est certain que le groupe terroriste Front El Nosra cherchera, dans la période à venir, à modifier une partie de ses comportements envers la société, tentant de s’en rapprocher, que ce soit en offrant un soutien militaire à d’autres factions ou en élargissant ses activités humanitaires. Par ailleurs, il s’efforcera de se rapprocher davantage des puissances régionales (Arabie saoudite, Turquie et Qatar), tout en présentant des garanties verbales concernant sa rupture avec l’organisation terroriste al-Qaïda » .
Ce passage illustre une lecture non professionnelle des dynamiques en jeu et une interprétation approximative des alliances supposées du groupe.
Dans ce contexte, le chercheur syrien Houssam Jazmati déclare au site « Daraj » qu’il ressort clairement du rapport que « les auteurs n’avaient à l’époque aucune compréhension de la personnalité d’Abou Mohammed Al-Joulani ni des raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte. Al-Joulani a rompu avec al-Qaïda parce que l’organisation ne lui était plus utile. À l’origine, il n’avait eu recours à cette affiliation qu’en raison d’une contrainte, comme nous le savons tous, afin d’obtenir une légitimité face à l’État islamique en Irak. Une fois cette étape franchie, il a immédiatement cherché à s’émanciper de cette relation, pour d’autres raisons ».
Il ajoute que Al-Joulani « aspirait, dès le début, à l’indépendance de son propre groupe. Lorsque l’annonce de la rupture avec al-Qaïda a coïncidé avec son apparition publique à visage découvert, cela équivalait à une déclaration d’affirmation de soi et de son organisation, confirmant qu’il ne voulait aucune autorité au-dessus de lui. Même sa relation avec Al-Qaïda se faisait sans coordination avec Zawahiri, et la rupture a également été effectuée sans consultation avec lui. Durant la période de lien organisationnel, Al-Joulani ne suivait pas les directives de Zawahiri, n’envoyait aucun rapport, et ne respectait aucun engagement structurel ».
Le dossier conclut sur une identité finale d’Abou Mohammed Al-Joulani que nous connaissons désormais tous, tout en évoquant un épisode marquant : son enrôlement dans une mosquée du quartier de Mazzeh (Villas est), sous l’influence d’un certain Laith Mohammed Issam Al Abbas (dont la mère s’appelle Fadda, né en 1978, résidant à Damas dans la rue Mazzeh, près de Dar El Baath, ayant auparavant voyagé en Arabie saoudite pour travailler…). Ce dernier cherchait à recruter de jeunes hommes pour le compte du mouvement wahhabite dans la région d’El Qaryatayn et entretenait des relations organisationnelles avec Maher Marwan Idlibi pour faciliter l’envoi de combattants vers l’Irak.
Ahmed Al-Charaa, qui avait induit en erreur les services de renseignement du régime précédent, semble avoir utilisé ses compétences pour duper successivement Daech, puis al-Qaïda. Cependant, les anciens services de renseignement syriens ont tardivement identifié ses capacités et commencé à le surveiller, alors que ses actions commençaient à affecter son groupe de djihadistes au sein des deux organisations. C’est du moins ce que révèlent les documents du dossier.
Ironiquement, Al-Charaa lui-même avait été interrogé en 2003. Il avait comparu devant la branche 235 « le 10 novembre 2003 pour vérification concernant son départ illégal vers l’Irak dans le but de mener un djihad contre l’occupation américaine… Il a été interrogé par la branche 243 pour son entrée illégale en Syrie et sur les circonstances de son départ en Irak pour combattre aux côtés du peuple irakien. Il a ensuite été libéré, niant toute appartenance à des partis politiques ou à des organisations religieuses extrémistes ».
Le chercheur jordanien spécialiste des mouvements islamistes, Hassan Abou Hanieh, a déclaré dans une interview pour le site Daraj : « Al-Joulani était une figure inconnue, même pour de nombreuses personnes dans son entourage. Même les services de renseignement irakiens ne connaissaient pas sa véritable identité, bien qu’il ait été emprisonné chez eux pendant de longues années. Lorsqu’il a été libéré en 2011, il avait été détenu sous le nom d’un Irakien appelé Adnan Ali El Hadj, ce qui les a poussés à croire que c’était son véritable nom ».
Les Syriens non plus ne disposaient pas d’informations précises sur lui. Les noms circulant, comme Oussama Al Absi, indiquaient qu’il était originaire de Chahil, mais il n’y avait pas de véritable connaissance de l’homme derrière le personnage d’Abou Mohammed Al-Joulani. Parfois, il était même perçu comme une figure fictive, qui n’existerait pas réellement.

La famille Al-Joulani
Le père d’Ahmed Al-Charaa, Hussein Ali Al-Charaa, était employé au sein de la présidence du Conseil des ministres à Damas. En 1980, il a émigré en Arabie saoudite pour travailler au ministère du Pétrole, avant de revenir en Syrie en 1995 et de réintégrer son poste à la présidence. Après un différend, il a rejoint le ministère de la Planification, avant de démissionner en 1999 pour ouvrir un bureau immobilier dans le quartier de Mezzeh, à Damas.
Après son retour d’Irak, Ahmed Al-Charaa aurait eu une dispute avec son père, le poussant à quitter définitivement le domicile familial. Quant à son père, son emplacement reste également inconnu selon le rapport.
Al-Joulani a plusieurs frères et sœurs, dont son frère Maher Al-Charaa, médecin gynécologue formé en Russie, marié à une Russe. Le rapport mentionne une demande des « amis russes » pour obtenir davantage d’informations à son sujet. Par ailleurs, son beau-frère Khaled Hachich Salama, époux de sa sœur Chahenda, était employé dans une branche du parti à Deraa. Il a été arrêté par la branche 265 pour possession de munitions militaires, puis libéré en avril 2013. Plus tard, en février 2014, il aurait été enlevé par un groupe armé et son sort reste inconnu.
Des personnalités jordaniennes essentielles
Dans le dossier Al-Joulani, consulté par Daraj, figurent également les noms de deux Jordaniens qui ont joué un rôle clé auprès de lui. Cependant, lorsque le Front al-Nosra a réorganisé ses rangs, il a déplacé et écarté certains de ses principaux dirigeants militaires et religieux dans le sud (Deraa et Quneitra). Parmi eux :
- Le juge religieux général du Front al-Nosra, le Dr Sami Al Aridi.
- Le chef militaire, Iyad Al Toubassi, alias Abou Jleibib, de nationalité jordanienne.
Le rapport mentionne également la Jordanie comme un pays susceptible d’offrir un soutien direct au Front Fatah Al Cham (nouvelle appellation après la rupture avec al-Qaïda), soulignant les tensions persistantes et le manque de confiance entre la Jordanie et l’ancien régime syrien.
Dans un entretien pour Daraj, Hassan Abou Hanieh explique :
« Abou Jleibib faisait partie des premiers à avoir rejoint l’État islamique en 2011. Il a rapidement collaboré avec Abou Mohammed Al-Joulani, devenant émir du sud pendant une longue période. Sami Al Aridi, quant à lui, n’était initialement pas membre d’al- Qaïda ni de l’État islamique, mais se trouvait en Jordanie avant de les rejoindre. En Jordanie, Abou Anas Al Sahaba (de son vrai nom, Mostafa Saleh Abdel Latif), qui était le responsable militaire du Front al-Nosra, les a également rejoints. Cependant, après une dispute avec l’État islamique, Abou Anas a intégré Daech, tandis qu’Abou Jleibib et Sami El Aridi sont restés fidèles à al-Qaïda ».
En 2018, Abou Jleibib a été tué en tentant de revenir dans le sud pour relancer une structure affiliée à al-Qaïda. Certains affirment qu’il a été éliminé par les forces syriennes, tandis que d’autres soupçonnent Al-Joulani d’avoir orchestré son assassinat en raison de son opposition à la rupture avec al-Qaïda. Sa famille a ensuite été arrêtée. Sami Al Aridi a également été capturé, mais il a été libéré par la suite et continue de militer au sein du groupe Hourras el dine, selon Abou Hanieh.
Le différend entre Al-Joulani et Daech
Le rapport souligne aussi le différend entre Al-Joulani et Daech : Ahmed Al-Charaa avait refusé l’ordre d’Abou Bakr El Baghdadi de dissoudre le Front al-Nosra et de fusionner dans une entité unique appelée État islamique en Irak et au Levant (Daech). Selon le rapport, l’allégeance déclarée par Al Joulani à Ayman Al Zawahiri, chef d’al-Qaïda, constituait pour lui une échappatoire à cette pression, évitant ainsi une réplique de l’État islamique irakien en Syrie.
En 2016, le rapport analyse les transformations du Front al-Nosra, devenu le Front Fatah el Cham, et met en lumière la compréhension d’Al-Joulani des spécificités de la région du Levant, différente des autres fronts du djihad. Le Front faisait preuve de flexibilité dans l’application des intérêts et des règles religieuses, ne cherchant pas à monopoliser l’allégeance des factions ou à imposer son contrôle. Al-Joulani aurait tenté d’établir un conseil consultatif pour éviter une centralisation excessive du pouvoir.
Cependant, le régime syrien n’anticipait pas l’ampleur des changements au sein du Front. Malgré ses efforts pour adopter un comportement plus conciliant avec les communautés locales et les factions voisines, notamment par des aides militaires limitées et des activités humanitaires, le rapport prévoyait un retour inévitable aux conflits armés. Cela en raison de la structure idéologique rigide du Front, qui empêcherait des compromis durables avec les autres groupes, et de son incapacité à renoncer à des pratiques considérées comme contraires à ses principes religieux.
Le rapport mentionne également le désaccord qui prévalait entre Al-Joulani et Daech. Puisque le tribunal a rejeté l’annonce de la dissolution de Jabhat al-Nosra par al-Baghdadi, et elle fut ainsi intégrée dans une seule organisation appelée L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Il serait fort probable que la déclaration d’allégeance d’al-Joulani au chef d’al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, ait été considérée comme la seule issue pour le Front al-Nosra de contrer l’appel d’al-Baghdadi, et le seul moyen pour Al-Joulani d’éviter le clonage de L’État islamique en Irak (EII) en Syrie.
Cependant, malgré la flexibilité perçue dans le fonctionnement de Jabhat Feth El Sham, le régime ne pouvait imaginer que cette dernière en atteindrait de tels niveaux, considérant de l’ordre de l’impossible le fait de parler d’un Front nouveau avec des pensées et des orientations complètement différentes de l’ancien front.
Il était plutôt évident que Le Front al-Nosra (Fatah al-Sham) cherchera dans la période qui allait suivre, à modifier quelque peu sa ligne de conduite, auprès de la communauté locale, des citoyens ainsi que des autres factions, pour tenter ainsi de s’en approcher, que cela soit en fournissant un soutien militaire limité à certaines factions, ou en élargissant leurs zones d’activités de secours ou en assouplissant leurs restrictions religieuses sur la population, ou encore en essayant davantage de se rapprocher des forces régionales (Arabie saoudite, Turquie et Qatar), en offrant des garanties verbales quant à son retrait d’al-Qaïda.
Or, la nature même de la structure intellectuelle et organisationnelle du Front constituera un obstacle qui l’empêchera de poursuivre dans la voie des rapprochements et des concessions déjà faites aux autres factions terroristes.
Son caractère religieux l’empêchera d’accepter des pratiques qu’il considère, à la base, comme blasphématoires ou polythéistes. Il ne faudrait pas longtemps avant qu’il ne se réengage dans des conflits avec la population et les autres factions terroristes. Son parcours, marqué par de nombreux affrontements armés, souvent extrêmement violents, a causé la mort de nombreux civils ainsi que de membres d’autres factions terroristes, tandis que beaucoup d’autres ont été faits prisonniers.
Rôle Turc
À l’époque, le régime syrien a entrevu dans l’analyse contenue dans ce rapport (2016) que la Turquie avait poussé à la rupture du « Front» avec « al-Qaïda », en guise de réaction « à la tentative de coup d’État manquée qui a eu lieu sur son sol, cherchant ainsi, à mettre en avant les dossiers régionaux, suite à l’immense déception qu’Erdogan a connue face aux alliés occidentaux.
Mais également pour confirmer son rôle, sa puissance régionale et son influence, ainsi que pour consolider un certain nombre d’ententes entre les puissances régionales soutenant les factions terroristes en Syrie (Arabie saoudite, Turquie et Qatar), tout en contraignant Al-Nosra à y participer. L’objectif est de favoriser l’émergence de nouvelles dynamiques en Syrie, promues par ces puissances et susceptibles d’obtenir un soutien international.
Cependant, l’objectif le plus prégnant, selon le rapport, demeure celui d’adresser un message aux puissances extérieures « quant au désir du Front de s’ouvrir à de nouvelles relations qui légitiment sa présence en Syrie », et c’est bel et bien la stratégie suivie par al-Joulani depuis lors, jusqu’au renversement du régime de Bachar al-Assad, en sa qualité de commandant des opérations militaires et de la libération du Levant.
Nos confrères Zahi Naddour et Jana Barakat ont contribué aux recherches pour la réalisation de cet article. Nous le publions en partenariat avec Daraj.