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L’opposition algérienne entre deux urnes


Après avoir juré qu’ils ne remettraient plus jamais les pieds dans un isoloir tant que le système resterait le système, les partis dits de « l’opposition démocratique », le FFS, le RCD et le PT notamment, ont finalement décidé de participer aux législatives de 2026. Non par enthousiasme, ni par conviction nouvelle, mais parce qu’en politique, l’inaction répétée finit par ressembler à une ligne idéologique — et que celle-ci, en Algérie, ne rapporte plus grand-chose.

Les voilà donc de retour. Un pied dans l’hémicycle, l’autre toujours sur le trottoir de la contestation. Le regard tourné vers les institutions, mais l’oreille encore collée à la rue, au cas où elle se remettrait à parler. Une posture inconfortable, mais familière, faite d’hésitations et de temporisations, où l’on participe sans y croire vraiment et où l’on boycotte sans jamais bloquer quoi que ce soit.

Car le dilemme est ancien et n’a rien perdu de son acidité. Participer, c’est accepter les règles d’un jeu dont on conteste l’arbitre, le terrain et parfois même le score avant le coup d’envoi. Boycotter, c’est dénoncer la partie… tout en laissant les autres jouer seuls. Dans les deux cas, l’opposition conserve sa cohérence intellectuelle, mais finit presque toujours par perdre la partie.

Le rapport de force, lui, n’a pas bougé. Le pouvoir continue d’avancer à pas comptés, sans projet mobilisateur ni audace particulière, tout en faisant preuve d’une constance que ses adversaires lui envient. Il déroule son agenda comme on déroule un tapis usé — peu élégant, mais solidement accroché au sol. Élections après élections, faible participation après faible participation, il a fini par comprendre l’essentiel, à savoir que, dans un système verrouillé, le vide peut devenir une ressource politique à part entière. Et ce vide, l’opposition a longtemps contribué à l’élargir.

C’est là que le bât blesse, car en entrant dans les institutions en 2026, ces partis ne modifient pas réellement leur stratégie et reconnaissent surtout l’épuisement de la précédente. Le boycott, naguère présenté comme un acte de rupture historique, s’est finalement apparenté à une grève reconductible menée par défaut plus que par choix. À force de refuser d’entrer dans l’arène, ils ont fini par en disparaître, laissant le champ libre à des formations sans adversaires, mais pas sans sièges.

Le problème n’est pas tant qu’ils participent aujourd’hui. Le problème est qu’ils le fassent sans récit nouveau. Ils entrent dans les institutions comme dans une pièce mal éclairée, progressant à tâtons, davantage préoccupés d’éviter la chute que de savoir ce qu’ils sont venus y faire. Ils promettent désormais de peser de l’intérieur ou, pour reprendre la formule du RCD, « porter le changement là où se prennent — ou se confisquent — les décisions », une formule suffisamment vague pour signifier avant tout qu’il s’agit de faire ce qui est possible, puisque le reste ne l’est pas.

Or, l’électeur algérien — souvent convoqué, rarement séduit — se méfie des demi-mesures et des ambiguïtés stratégiques. En 1991 déjà, il avait sanctionné le FLN en se tournant vers un populisme bien plus périlleux, incarné par le FIS dissous, avec les conséquences tragiques que l’on sait aujourd’hui. Il se souvient que ces mêmes partis expliquaient, hier encore, que participer revenait à légitimer un système verrouillé. Les voilà aujourd’hui expliquant que l’absence prolongée des institutions était une erreur. L’évolution est humaine, mais l’argumentation l’est nettement moins.

Ce va-et-vient tactique n’est pas sans coût, et c’est la crédibilité qui en paie le prix. À force de naviguer entre boycott moral et participation résignée, l’opposition donne l’image de formations qui subissent plus qu’elles ne choisissent et qui s’adaptent plus qu’elles ne proposent. Elles apparaissent moins comme des alternatives que comme des survivantes politiques, cherchant un espace respirable dans un paysage saturé.

Certes, entrer au Parlement permet de parler, d’interpeller, de déposer des textes, d’occuper un espace médiatique minimal. Mais personne ne feint plus d’ignorer que le centre de gravité du pouvoir se situe ailleurs. En Algérie, les institutions ont leur utilité, mais le cœur du pouvoir bat en dehors d’elles. Y entrer sans capacité de mobilisation sociale revient à s’installer dans une salle d’attente où l’on ne décide ni de l’heure, ni de l’ordre de passage.

Le paradoxe est cruel, car en boycottant, ces partis s’effaçaient progressivement, tandis qu’en participant, ils risquent désormais de se banaliser. Dans les deux cas, ils peinent à incarner une alternative crédible. Leur retour dans les institutions ne fissure pas le rapport de force, il le confirme. Il signale que, faute de mieux, on joue avec les cartes distribuées — même quand on conteste le jeu.

Reste une question que ces partis évitent soigneusement, celle de savoir à quoi sert une opposition qui ne croit ni à la rue ni aux urnes, tout en continuant de fréquenter les deux sans jamais s’y ancrer pleinement. Tant qu’elle n’y répondra pas, elle oscillera entre protestation morale et participation administrative, entre discours radical et pratique prudente.

Le système, lui, n’en demande pas tant. Il sait attendre. Et pendant que l’opposition hésite entre sortir et rester, il continue, imperturbable, à occuper tout l’espace.