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Khalida Toumi : « Hagrouni ! »

L’ancienne ministre de la Culture a versé des larmes au bout de son second procès qui s’est déroulé le 25 décembre 2022 à la Cour d’Alger. Elle dit avoir été sanctionnée pour des raisons politiques, à causes de ses positions.


Photo DR.

Rejugée après cassation, l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, a comparu pour la seconde fois devant la chambre pénale près la Cour d’Alger, en compagnie de son ex-ordonnateur financier, Abdelhamid Benblidia, mais en absence de l’ancien directeur de la Culture de Tlemcen, Miloud Hakim.

Dans cette troisième manche du procès, la juge a d’emblée souligné qu’elle allait se limiter aux points de droit soulevés par la Cour suprême dans son arrêt de cassation.

Or, les trois co-prévenus ont été condamnés, le 6 juillet 2022, respectivement à 4 ans et 2 ans de prison ferme et 18 mois de prison avec sursis pour « abus de fonction », « dilapidation de deniers publics » et « octroi d’indus avantages » pour leurs rôles dans des manifestations culturelles organisées entre 2007 et 2011, à savoir « Alger, capitale de la culture arabe », « le Festival panafricain » et « Tlemcen, capitale de la culture islamique ».

Mais, la Cour suprême a estimé que ces condamnations étaient « dépourvues de base légale ». La Cour suprême a noté qu’aussi bien pour la décision du tribunal de première instance (pôle financier de Sidi M’hamed) que pour celle de la chambre pénale près la Cour d’Alger, les juges n’avaient ni « relevé les éléments constitutifs des délits pour lesquels la ministre avait été condamnée » ni « débattu raisonnablement les faits » qui lui sont reprochés.

Selon l’arrêt de la Cour suprême, le juge de première instance s’est contenté d’énumérer les faits sans les motiver et les magistrats d’appel n’avaient fait que confirmer la décision du premier sans aucun débat.

En effet, il est obligatoire au vu de la loi que toute décision ou verdict comporte les motivations sur lesquelles il repose. Les magistrats de fonds doivent démontrer la présence des éléments constitutifs du crime pour lequel ils condamnent. 

« Adjani était l’invitée du Président, qui l’hébergeait et lui assurait la protection rapprochée. Il a demandé à Khalida Toumi de la faire travailler dans une production. Elle l’a envoyée à la société concernée qui lui a fait un contrat. Toumi est en prison et Adjani était l’invité des festivités du dernier 1er novembre ».

Me Boudjemaa Ghechir

Selon l’arrêt de la Cour suprême, les enquêteurs de l’Inspection générale des finances (IGF), qui sont des experts comptables, n’avaient pas à interférer dans les questions juridiques alors que la Chambre pénale d’appel avait adopté leur exposé sans démontrer les éléments constitutifs des inculpations.

« Les comptes spéciaux ne relèvent pas de la comptabilité du ministère de la culture et sont régis par l’article 89 de la loi de finances pour 2000. Aussi, les experts ont-ils cité des questions juridiques qui ne relèvent pas de leurs compétences, les textes relatifs aux manifestations ne rendent pas la prévenue ordonnatrice dans toutes les manifestations, à l’exception de celle de Tlemcen. Mais, dès lors qu’il y’a création d’une commission exécutive et la désignation d’un commissaire ordonnateur, il ne lui reste aucun rôle administratif ou financier dans l’évènement ».

« Les magistrats de la Cour auraient dû faire la part de l’intention criminelle qui a conduit au fait puni par la loi et la décision qui vise à débloquer une situation », a encore souligné l’arrêt de la Cour suprême.   

Bref, à la juge qui a demandé à Khalida Toumi ce qu’elle pense de ce que lui reproche la police judiciaire et les magistrats instructeurs quant à l’abus des « gré à gré » et du « passer-outre », l’ancienne ministre a eu cette réplique : « J’ai déjà démontré au juge-conseiller de la Cour suprême, à celui du tribunal de première instance et aux magistrats de la Cour que les faits ne sont pas constitués. Je ne suis pas de ceux qui rejettent la responsabilité sur les autres ».

S’agissant de la gestion des fonds, Khalida Toumi a indiqué qu’elle n’était pas l’ordonnatrice financière des manifestations culturelles en vertu de l’article 89 de la loi de finances 2000 et qu’elle n’avait pas eu à gérer les enveloppes qui leur sont allouées. « J’étais ministre et non pas gestionnaire. Je ne fuis pas mes responsabilités », a déclaré Khalida Toumi.

Et de souligner : « J’ai désigné un ordonnateur financier qui gère ces fonds. Lorsqu’il rencontre un problème qui bloque les procédures d’exécution, il me fait appel. J’interviens en vertu de la loi ». Elle a ajouté que l’ordonnateur n’avait pas de tâches administratives : « Je n’ai pas donné de délégation de signature mais, de pouvoir ».

Le procureur l’a interrompu : « Puisque Benblidia est un ordonnateur financier, il peut faire ce qu’il veut selon vous ». Et à Khalida Toumi d’insister : « Il a travaillé dans le cadre de la loi et des arrêtés interministériels ». Elle a ajouté que l’ordonnateur n’avait pas de tâches administratives : « Je n’ai pas donné de délégation de signature mais, de pouvoir ». L’arrêt de la Cour suprême a d’ailleurs noté l’absence d’un document qui prouve que Abdelhamid Benblidia détenait une délégation de signature.

Niant toutes les inculpations, Benblidia a déclaré qu’il avait « pris le train en marche » et qu’à sa nomination en avril 2006,« les marchés étaient déjà conclus conformément à la loi et les règlements consacrés à chaque manifestation ».

Il a également déclaré qu’il suivait les instructions de la ministre dans le cadre de sa mission ainsi décrite : « En tant qu’ordonnateur financier, je travaille sous la supervision du contrôleur financier. Ce dernier est habilité à suivre et à contrôler tous mes actes. Je ne peux rien faire sans son visa, et c’est lui qui ordonne le paiement.  Mon rôle se limite à lui préparer le dossier. C’est lui qui valide le transfert de l’argent ».

« Les accusations reposent sur des préjugés faux et attentatoires »

Se basant sur la déposition d’Abdelhamid Serrai, membre du comité exécutif de la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe », qui a attesté que le choix des entreprises et le recours au gré à gré se faisaient sur instruction de la ministre, la juge a demandé si c’était le cas ?

Et à Khalida de répondre : « La réglementation prévoit ce qu’on appelle les exceptions, c’est-à-dire le gré à gré simple ou la consultation. Toutes les manifestations ont obtenu des exceptions en raison des délais impartis pour leur organisation et leur particularité. Je fais confiance à mes cadres. Serrai a menti ! Peut-être pour se protéger… ».

Aux questions du représentant du ministère public, l’interrogeant sur le recours au « gré à gré » dans la passation des marchés, l’ancienne ministre de la culture a convoqué les Jeux méditerranéens d’Oran, à titre de comparaison, pour se défendre : « Les Jeux méditerranéens ont été organisés suivant les mêmes procédures. Or, Oran a commencé en 2015 la préparation des Jeux méditerranéens de 2022. Ce n’était pas le cas pour nous. Nous avions juste un an et deux mois pour nous préparer. L’organisation de ces manifestations est un engagement de l’Etat vis-à-vis de ses partenaires ».

En effet, Khalida a rejeté toute responsabilité dans les anomalies constatées dans la gestion des marchés liés aux manifestations objet de l’inculpation : « Les enquêteurs de l’IGF ont fait des jugements, considérant tout ce qui a été fait comme illégal, y compris un décret exécutif ».

Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public est revenu sur quelques faits , évoquant un « trou financier » lié aux trois manifestations « Alger, capitale de la culture arabe », le « Festival panafricain » et « Tlemcen, capitale de la culture islamique ».

Il a cité, à titre d’exemple, le biopic de l’Emir Abdelkader dont l’idée est née lors de la manifestation « Alger, capitale de la culture arabe » en 2007 et dont le projet est confié au réalisateur américain Charles Burnett avant d’être gelé ainsi que le cachet de l’actrice française Isabelle Adjani qui devait jouer un rôle majeur dans le film « Parfums d’Alger » de Rachid Benhadj.

L’actrice française avait empoché une partie de son cachet en euros avant de venir en Algérie et abandonné le tournage peu de temps après, sans jamais revenir. L’inculpation reproche à la ministre Toumi de l’avoir imposé au réalisateur.

Ainsi, le représentant du ministère public a-t-il requis une peine de 5 ans de prison assortie d’une amende d’un million de dinars à l’encontre de la ministre. Cela lui a valu une plaidoirie courroucée de Me Miloud Brahimi, avocat de la ministre.

« J’ai compris que le jugement a été cassé pour insuffisance de motifs, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a tout simplement pas de motivations. Avec une ordonnance de renvoi de 428 pages, les juges sont invités à construire les éléments de culpabilité ! Le représentant du Trésor public parle d’un préjudice estimé à 100.000 au bout de 12 ans de gestion à la culture. C’est une honte ! Ce sont des griefs qui n’ont ni tête ni queue. Où sont donc les bénéficiaires de ces indus avantages. Ils ne sont pas connus ? », a asséné Me Brahimi.

Et de rappeler que la télévision publique avait annoncé la mise sous mandat de dépôt de sa cliente à 19h alors qu’elle était devant le magistrat conseiller près la Cour suprême pour un interrogatoire qui a commencé à 17h et s’est terminé à 23h30. « Nous demandons l’application de la loi et la relaxe », a-t-il conclu.   

« Khalida Toumi n’interférait pas. Elle dirigeait. J’étais jalouse de mon travail. Je n’ai jamais accepté qu’on empiète sur mon travail et tout le monde le savait. Je donnais des instructions pour que les programmes soient exécutés dans les délais »

Khalida Toumi

Abondant dans le même sens, Me Boudjemaa Ghechir, lui, est revenu sur les faits, notant que l’affaire a commencé à la suite d’une lettre anonyme adressée à l’Office de la répression de la corruption en 2016. Cette lettre a été mise de côté et déterrée lors des évènements politiques qui ont secoué le pays en 2019.  

« Le procureur du Tribunal de Tlemcen a annoncé dans un communiqué l’ouverture d’une enquête contre Khalida Toumi en déclarant qu’elle était en fuite en France. Cela a déclenché une campagne odieuse contre elle. Quelque temps après, il s’est rappelé la commission rogatoire de 2016. Il l’a entendu puis renvoyé le dossier devant la Cour suprême qui d’ailleurs a refusé de prendre en compte tous les documents présentés », a-t-il indiqué.

Et de dénoncer les enquêteurs de l’IGF : « Les experts de l’IGF ont commis des crimes passibles de poursuites. Pour ce qui est du film sur l’Emir Abdelkader, ils disent que la préparation à été faite au temps de Khalida Toumi mais, la ministre qui l’avait remplacé a tout annulé. Khalida Toumi n’a dépensé aucun centime dans ce projet », a-t-il dénoncé.

Quant à Isabelle Adjani, Me Ghechir était plus précis : « Adjani était l’invitée du Président (Bouteflika, Ndlr), qui l’hébergeait et lui assurait la protection rapprochée (DGSPP, Ndlr). Il a demandé à Khalida Toumi de la faire travailler dans une production. Elle l’a envoyée à la société concernée qui lui a fait un contrat. Toumi est en prison et Adjani était l’invité des festivités du dernier 1er novembre ».

Invitée à dire son dernier mot à la cour, Khalida Toumi a tenté de lire une déclaration qu’elle a préparée, en vain. Elle a fini par improviser. Elle tremblait en disant : « Les accusations reposent sur des préjugés faux, attentatoires et contraires à l’éthique. Hagrouni (ils m’ont fait du mal, Ndlr), et ont fait du mal à tout le secteur ».

Et de souligner : « Khalida Toumi n’interférait pas. Elle dirigeait. J’étais jalouse de mon travail. Je n’ai jamais accepté qu’on empiète sur mon travail et tout le monde le savait. Je donnais des instructions pour que les programmes soient exécutés dans les délais ».

Poursuivant sa déclaration avec une voix étouffée, les larmes aux yeux, Khalida Toumi a expliqué ses déboires en ces mots : « J’ai été accusée parce qu’à partir de 2014, j’ai quitté le gouvernement pour des raisons politiques. J’ai été sanctionnée à cause de mes positions. Les cadres ont payé pour moi. C’est une injustice ».

Et de conclure après un temps d’arrêt pour essuyer ses larmes. « La Cour suprême m’a réconcilié avec mon pays. Je vous demande de me réconcilier avec la justice », a-t-elle dit, éclatant en sanglots.  

L’affaire est mise en délibéré. Le jugement sera rendu 8 janvier 2023.