« L’administration américaine est en colère contre le ministre des Affaires étrangères jordanien, Ayman Safadi, en raison de ses positions belliqueuses concernant ce qui se passe à Ghaza ! ». Lorsque vous entendez cela de Washington, vous devez d’abord vous demander s’il y a une distinction entre Safadi et le roi Abdallah II, surtout que la voix forte de Safadi ne dépasse pas les positions exprimées par la reine Rania, épouse du roi jordanien, dans plus d’une interview télévisée.
Oui, il y a un changement perceptible en Jordanie, passant d’une position traditionnellement « modérée » à une posture « radicale » dans le conflit israélo-arabe, allant jusqu’à envisager une « révision de l’accord du Wadi Araba », selon ce qui transparait d’Amman. Si cette menace fait partie des pressions jordaniennes sur Tel-Aviv, elle est accompagnée d’actions telles que le rappel de l’ambassadeur jordanien en Israël, la suspension de l’accord de fourniture de gaz israélien en échange d’une alimentation en énergie pour Tel-Aviv, qui était censé être supervisé par les Émirats.
Si les mouvements populaires observés dans les villes jordaniennes, protestant contre les massacres commis par Israël à Ghaza, ont eu lieu de manière spontanée, avec des émeutes et des tentatives d’attaque de l’ambassade israélienne, entraînant l’arrestation de centaines de manifestants, leur libération a été ordonnée directement par le Palais royal. C’est l’un des signes du tournant jordanien.
La Jordanie a le sentiment d’être ciblée dans la guerre contre Ghaza, tout comme les Palestiniens. Les indices de ciblage pour eux sont l’idée de « transfert » et du « pays alternatif » ancrées dans la conscience israélienne pendant les périodes du Likoud. Ce qui se passe aujourd’hui en Cisjordanie avec des actes de vengeance contre les Palestiniens, menés par les colons, transforme les craintes jordaniennes en réalités qui nous dirigent directement vers des étapes pratiques d’un « pays alternatif ».
Cela ne s’arrête pas là, car à Amman, des plans « documentés » circulent sur la vision israélienne des voies de « transfert ». Selon ces cartes circulantes, conçues par les colons, selon de nombreux Jordaniens, les habitants de Tulkarem, par exemple, devraient se diriger vers la ville jordanienne d’Ajloun (leur prétendue terre ancestrale), et les habitants de Ramallah devraient s’installer à Amman, tandis que ceux d’Hébron iraient dans la province jordanienne de Karak.
Bien que ces cartes ne soient pas des plans pour une exécution directe, elles reflètent le désir de la droite israélienne et de ses bras coloniaux en Cisjordanie. Mais plus important encore, ces cartes abordent des craintes jordaniennes souvent éprouvées lors des guerres, car la Jordanie est le premier pays d’accueil, ayant déjà été confrontée à l’idée d’expulser les Palestiniens de leur pays vers le sien, sachant que cette idée continue de circuler dans la droite israélienne.
Cela rappelle la déclaration du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, avant la guerre et pendant sa « célébration » de la normalisation avec l’Arabie saoudite : « Les Palestiniens ne sont plus un préalable à la paix avec les Arabes », ce qui pour les Jordaniens, tout comme pour les Palestiniens, signifie la reprise des aspirations à expulser les Palestiniens vers l’est du Jourdain !
La Jordanie ressent que l’histoire du « pays alternatif » occupe désormais dans la conscience israélienne un espace qu’elle n’avait jamais occupé auparavant, et l’élément fondamental de cette idée est le « transfert ».
La guerre à Ghaza est au cœur de cette idée, et le succès de Netanyahu, même partiel dans sa mise en œuvre, signifie une transformation immense dans la structure sociale et politique du Royaume. Il est vrai que nous parlons du « transfert » de Ghaza vers l’Égypte, mais s’il se produit, son succès pourrait servir de modèle pour la Cisjordanie, où la question prend une priorité dans la conscience israélienne.
Dans ce qu’ils appellent « Judée et Samarie », la question palestinienne est tuée, et là aussi, les colons extrémistes prospèrent, tandis que le million et demi de Palestiniens y résidant seraient l’obstacle qui empêche la résolution du problème !
À Amman, ces préoccupations ne sont pas seulement des craintes persistantes parmi les cercles dirigeants du Royaume, mais le Roi les perçoit comme des faits réels qui évoluent et nécessitent une action. L’engagement sans précédent du gouvernement jordanien à faire face aux conséquences de la guerre à Ghaza n’est qu’un aspect de « la mission jordanienne ».
La hâte de la Jordanie à envoyer un hôpital de campagne à Rafah s’accompagne de l’installation de trois hôpitaux de campagne en Cisjordanie, indiquant ainsi qu’Amman considère que les besoins en secours en Cisjordanie ne sont pas moindres que ceux de Ghaza.
Ce qui accentue les craintes réalistes jordaniennes, c’est que Washington ne semble pas les comprendre, même si Amman a souvent trouvé des oreilles attentives au sein des administrations démocratiques plus que dans les administrations républicaines. Les assurances du secrétaire d’État américain, Antony Blinken, quant à la vigilance de Washington pour ne pas permettre le « transfert » ne s’accompagnent d’aucune mesure concrète pour réduire la violence israélienne à Ghaza et en Cisjordanie. Les pressions américaines sur Israël se limitent à empêcher l’élargissement de la guerre, en particulier avec le Liban.
La Jordanie a souvent divergé de sa position dans des tournants similaires, où les préoccupations internes l’ont emporté sur les préoccupations des choix traditionnels du Royaume. Cela s’est produit pendant les guerres du Golfe, et ses conséquences coûteuses qu’elle a comprises par la suite. Cette fois-ci, le tableau semble plus clair, et la voix forte d’Ayman Safadi dans les coulisses diplomatiques n’est qu’un écho des inquiétudes émanant du Palais royal. La Jordanie semble cette fois-ci plus consciente des enjeux et des menaces qui pèsent sur elle.