L’arrivée de la 5G en Algérie est attendue comme une révolution numérique, capable de transformer non seulement le secteur des télécommunications mais aussi l’ensemble de l’économie. Plus qu’une évolution technique, elle promet des débits jusqu’à dix fois supérieurs à ceux de la 4G, une latence quasi nulle et la possibilité de connecter simultanément des millions d’objets.
Pour les consommateurs, cela signifie un internet mobile beaucoup plus fluide, des vidéos en ultra haute définition et de nouveaux usages comme la réalité augmentée. Pour l’industrie, la santé, la logistique ou encore l’éducation, il s’agit d’un saut vers une nouvelle ère de productivité et de services connectés.
Mais cette promesse a un prix. Déployer la 5G implique des investissements massifs dans les antennes, la fibre optique et les systèmes de gestion du trafic. Chaque opérateur devra moderniser son réseau, installer de nouvelles stations de base et densifier la couverture. À l’échelle mondiale, les grands acteurs du secteur mobilisent des milliards de dollars pour cette transition. En Algérie, où le marché est moins dynamique et les marges de manœuvre financières plus réduites, la question de la capacité d’investissement est centrale.
Dès lors, l’état des finances des deux principaux opérateurs devient un enjeu stratégique. Leur solidité, leur rentabilité et leur trésorerie conditionnent non seulement la vitesse du déploiement mais aussi l’ampleur des services proposés. La 5G ne sera pas seulement une vitrine technologique : elle déterminera la place de l’Algérie dans la compétition régionale et mondiale du numérique.
Mobilis : solide mais en quête de croissance
Avec un chiffre d’affaires de 150 milliards de dinars en 2023, en hausse modeste de 4 %, Mobilis reste le leader par la taille. Cette progression limitée reflète un marché national arrivé à maturité, où la concurrence et la régulation freinent l’expansion.
L’opérateur compense ce ralentissement par une nette amélioration de sa rentabilité : son résultat net a bondi de 49 % pour atteindre 18,5 milliards de dinars. La marge nette grimpe à 12 % du chiffre d’affaires, preuve d’une meilleure maîtrise des charges d’exploitation et d’une baisse des coûts financiers.
Côté bilan, Mobilis affiche une structure enviable : 183 milliards de capitaux propres (57 % du passif), un endettement bancaire quasi nul (2,8 milliards) et une trésorerie renforcée de 33 milliards.
Ces atouts lui donnent une capacité de financement confortable. Mais des fragilités demeurent : près d’un tiers de son passif repose sur le crédit fournisseur (55 milliards), ce qui traduit une dépendance vis-à-vis des partenaires commerciaux.
En résumé, Mobilis est robuste et autonome financièrement. Mais pour financer la 5G, il devra trouver de nouvelles sources de croissance afin de justifier des investissements lourds, estimés à plusieurs dizaines de milliards de dinars.
Djezzy : rentable mais sur un fil
En 2023, Djezzy a généré 91,5 milliards de dinars de revenus (+5 %) et un bénéfice net de 14,1 milliards (+21 %). Avec une marge nette de 15 %, l’opérateur affichait une rentabilité supérieure à celle de Mobilis.
Mais cette performance contrastait avec un bilan fragilisé : les capitaux propres ont chuté de 602 à 414 milliards de dinars (-31 %), sous l’effet d’ajustements comptables et d’une moindre part consolidante. L’actif restait dominé par un goodwill massif de 361 milliards, représentant plus des deux tiers du total, tandis que les immobilisations corporelles nettes ne dépassaient pas 37 milliards – un niveau faible pour un secteur capitalistique comme les télécoms. La trésorerie disponible reculait à 8,7 milliards, contre 54 milliards de dettes courantes, traduisant un ratio de liquidité (0,95) en dessous du seuil prudentiel.
L’exercice 2024 a cependant marqué un tournant. Le chiffre d’affaires a bondi à 112,7 milliards (+10 %) et l’EBITDA a progressé de 12,7 % à 51,4 milliards, portant la marge à 45,8 %. Les investissements, en forte hausse (25,6 milliards), ont soutenu l’extension de la couverture 4G et l’élargissement de la base clients, qui atteint 17 millions d’abonnés (+6,8 %). L’opérateur revendique ainsi son meilleur résultat financier depuis sept ans et une croissance inédite de l’usage data.
En clair, si Djezzy restait en 2023 prisonnier d’un déséquilibre structurel, il semble avoir retrouvé en 2024 une dynamique plus robuste. La question demeure : cette embellie conjoncturelle suffira-t-elle à consolider ses fondamentaux et préparer sereinement l’entrée dans l’ère de la 5G ?
Mobilis mieux armé que Djezzy
Selon les standards internationaux, un déploiement national de la 5G se chiffre en centaines de millions de dollars. Pour l’Algérie, cela représente un effort colossal dans un marché où les recettes progressent faiblement.
Mobilis, avec une trésorerie solide et un endettement quasi nul, semble en mesure de lever facilement des financements bancaires ou obligataires. Djezzy, malgré sa rentabilité, affiche un actif largement intangible et une trésorerie limitée, ce qui restreint ses marges de manœuvre.
En clair, Mobilis paraît avoir la capacité financière directe pour engager les investissements nécessaires, quitte à recourir davantage à l’endettement. Djezzy, lui, devra compter sur des solutions plus complexes : apports en capital, partenariats stratégiques ou soutien étatique.
Au-delà des bilans, la 5G est aussi une question de souveraineté. L’Algérie cherche à rattraper son retard technologique, mais le succès dépendra de la solidité financière de ses opérateurs publics.
Mobilis pourrait être privilégié par l’État pour assurer la couverture nationale. Djezzy, également sous contrôle public, devra assainir ses comptes pour rester dans la course.
Sans bases financières solides, la 5G risque de se déployer lentement et partiellement, laissant l’Algérie en retrait face à ses voisins.
L’année 2023 confirme le contraste entre les deux opérateurs. Mobilis, stable et bien doté en fonds propres, aborde l’avenir avec confiance, mais doit stimuler sa croissance pour absorber ses futurs investissements. Djezzy, rentable mais affaibli par un bilan déséquilibré, devra renforcer ses fondations financières avant de s’engager pleinement dans la 5G.
La bataille de la 5G en Algérie se jouera autant sur les antennes que dans les bilans. Car au-delà de la technologie, c’est la capacité à investir massivement et durablement qui déterminera le véritable vainqueur.