Par ces temps incertains, cela fait 30 ans que Azzeddine Medjoubi fut assassiné le 13 février 1995, à l’impasse Molière, à la sortie des artistes du Théâtre national algérien (TNA) dont il était le directeur depuis deux mois à peine, après une insistante sollicitation du ministère de la culture, quittant ainsi le théâtre régional de Bejaia en tant que metteur en scène.
Il avait arpenté les planches de la scène du TNA durant des décennies avec maestria jamais égalée, sa présence remplissait totalement l’espace scénique et le grain de sa voix grave résonnait avec puissance dans la salle. Mais hélas ! Ce grain de sa voix grave n’a plus essaimé nos rêves depuis ce jour. Une rafale de sept balles a été tracée sur sa poitrine.
A terre, sa dernière réplique a été « wech dertelkoum ya khaouti ? » qui veut dire : « Que vous-ai-je fait mes frères !!!».
Une poitrine d’où sortaient tant et tant de répliques de pièces de théâtre de nos dramaturges et celles du patrimoine universel. Son rôle dans la pièce de théâtre « hafila tassir » une adaptation d’une nouvelle de l’Égyptien Ehsan Abdelkodous, adaptée par Boubekeur Makhoukh et mise en scène par Ziani Chérif Ayad, réalisée il y a plus de trois décennies, Azzeddine avait fait une grande performance d’acteur avec un immense succès populaire mérité.
Pendant et après le Hirak plusieurs passages de cette pièce ont fait le buzz sur la toile, postés par des jeunes qui n’étaient pas encore nés lors de la sortie de cette pièce, preuve tangible que l’art dramatique a une fonction sociale avérée quand il parle de la crise qui traverse la société et qu’il est en crise lui-même quand il s’en éloigne.
Son souffle, à jamais réduit au silence sidéral avait tant et tant de fois aussi porté le souffle de la poésie en déclamant des rafales de poèmes dans l’émission radiophonique culte de Djamel Amrani : « Psaumes dans la rafale ».
Tous les deux connaissaient « la force des mots tocsins » disait Maïakovski, ce nuage en pantalon parlant de lui-même.
Djamel Amrani, « avec des épines d’acacia au cœur et la bouche tordue par la mort », avait fait paraitre dans El Watan du 19 février 1995, un poème écrit le lendemain de l’assassinat de Azzeddine (le poème suivra cet article). Ce poème évocateur, titré « d’encens et de mémoire s’écrit ton nom, Azzeddine Medjoubi » défit le temps et les ténèbres avec douleur, compassion et grâce. Il restera comme un blason sur le fronton de la mémoire citoyenne envers les meilleurs de ses enfants, parmi beaucoup d’autres qui ont créé, chanté, et se sont battus sur terre d’Algérie durant toute la marche des siècles.
« L’espoir, l’espoir est en l’homme » disait Malek Haddad, cet autre poète. Et pour ne pas désespérer des hommes réenchantons nos jours de poésie et d’espérance en lisant ce sublime poème de Djamel Amrani pour Azzeddine Medjoubi:
Plus loin que la mémoire…
La mort cruelle
la mort faucheuse
alors que tu étais plus candide
que la poésie qui tremblait sur tes lèvres
Le jour sans voix
le temps confondu
le cœur dégorgé
des balles dans ta chair déjà meurtrie
et la plaie mise à nu
alors que tu étais plus candide
que la poésie qui tremblait sur tes lèvres
Des matins cernés comme la mer
qui remuent dans la mémoire
et vieillissent comme une image
A mettre la nuit nourrice
tu as bu jusqu’à la lie
ta coupe d’affliction
et le rêve d’un sommeil crucifié
Le mot se fige d’imperceptible colère
ou d’imperceptible accalmie
Le temps comme la brise sur les frimas
achèvera ses mémoires :
l’espoir vertical du limon
et une destinée rebelle qui se dérobe
alors que tu étais plus candide
que la poésie qui tremblait sur tes lèvres
Il faut réveiller la rose
sinon plonger dans l’incommensurable abîme
Et que germe le blé touffu :
la houle dans le chuchotement de la pluie
Ta pensée s’est ruée vers l’espoir
et j’écris parce que ma voix est sèche
ma langue amère
j’écris dans le froissement du jour
avec des épines d’acacia au cœur
j’écris la bouche tordue par la mort
A travers le cheminement nouveau du sang
s’élève ta voix profusément fleurie
La mort a tué l’exaltation du rêve
dans la plus haute écume de mer
Quel fruit matinal prendra forme
à partir de toi ?
Multiple innommable feu d’hiver
dont tu es l’éclair
sur chaque sanglot de luth
sur chaque alinéa qui vivifie le poème
sur chaque brindille dressée en avenir précis
sur chaque fleur épanouie et souveraine
sur chaque verbe
chaque souhait
qui nous rassemble
qui nous assemble
alors que tu étais plus candide
que la poésie qui tremblait sur tes lèvres
Et le ciel vendangé
nous raconte les hommes
l’étoile passe d’une vie
au secret d’une vie
et l’heure rompt ses rets
dans l’adulation du soir
Tu es la face libre de l’Algérie
tu es la franchise du maïs
l’offrande de l’olivier
la parole d’abondance
la pierre levée à l’épure du soleil
Ah ! ce vent de folie
Le fleuve promulgue ton sacrifice
chante ta douceur comme un apaisement de houle
chante ta voix plus haute que la mer
chante ton eau-vie à ras d’espoir
L’aube cactée s’attarde
le soleil s’est emballé avant la foudre
le poème s’affûte dans nos gorges altérées
et ton souffle renaît des palpitations d’abeilles
« Que serait la vie sans l’espérance ! »
nous disait Hölderlin
Azzedine
je t’annonce
à la célébration du jour
à l’herbe neuve des sources
au flanc des femmes violées
à l’orge du pain secret
au fond du ciel à jeun
aux conques de l’océan
à la césure du silence
à l’insurrection de l’esprit
à l’épouse nocturne de l’aurore
au petit-lait du siècle
car tu étais plus candide
que la poésie qui tremblait sur tes lèvres
Azzeddine Medjoubi
d’encens et de mémoire
s’écrit ton nom