Alors qu’au sud la moisson de blé bat son plein, à Oued Lili (Tiaret), le désarroi des agriculteurs est grand. Leurs parcelles sont sinistrées, en cause de la sécheresse et la difficulté des services agricoles à proposer des alternatives.
En cette fin mai, ils sont une quinzaine à s’être réunis dans une classe d’école avec les représentants de l’Union nationale des paysans algériens dont le coordinateur de wilaya. Une scène rapportée par la Web TV Midan News.
Parmi l’assistance, Tahar un agriculteur de Tagdemt s’adresse à la délégation et les remercie de leur venue. Particulièrement remonté de ne pouvoir rien récolter, il lance : « Nous ne sommes pas des fauteurs de trouble. On demande où devons-nous pleurer et où demander nos droits ? » et il donne la réponse : « Chez le président de la république. »
Il ajoute à propos d’irrigation des cultures : « Vous devez trouver des solutions, on n’a ni le droit d’approfondir les puits, ni celui de réaliser des forages ».
L’agriculteur poursuit : « Protégez-nous de l’administration. Nous sommes oubliés. Il y a des agriculteurs qui ont déposé des dossiers pour des autorisations de forage mais qui n’ont jamais reçu de réponse ».
Conscient du faible niveau des nappes d’eau, il ajoute : « S’il n’y a plus d’eau dans la région qu’ils nous en amènent d’ailleurs », faisant référence aux transferts d’eau réalisés dans la région. Des transferts d’un montant de 200 millions de dollars à l’initiative des pouvoirs publics pour alimenter la ville de Tiaret à cause de l’insuffisance d’eau dans le barrage de Bekhedda.
Demandes d’autorisation de forage
Un délégué explique : « Entre agriculteurs, il faut être unis pour faire entendre nos revendications et unis pour faire des douas », des invocations à la puissance divine.
Avant la réunion, la délégation est allée voir la situation sur le terrain. En bordure de champ à proximité d’un véhicule Hilux, un délégué de l’Union des paysans détaille : « Nous sommes dans la commune de [on lui souffle] Gartoufa. Nous n’avons jamais vu une telle situation ».
Il précise : « Depuis 2017, nous avons connu 5 années sèches et 2 moyennes ». Il désigne la parcelle où la couleur ocre de la terre domine et où quelques plants de blé chétifs sont disséminés ici et là. Il se saisit d’un plant avec quelques feuilles et une tige d’une trentaine de centimètres terminée par un épi rachitique.
Manifestement, il s’agit d’une culture extensive de blé dont la conduite ne répond pas aux normes modernes de culture en zone semi-aride.
Dans la région les parcelles souffrent pratiquement toutes de la sécheresse, certaines plus que d’autres. Face à des parcelles totalement sinistrées, un agriculteur lance : « On dirait que certains champs n’ont été cultivés. En fait, ils ont été labourés et semés » explique-t-il.
La plupart des agriculteurs ont contracté des prêts auprès des banques. En l’absence de récolte, il leur est impossible de les rembourser. Outre les indemnisations sous forme de gratuité des semences et d’engrais, les agriculteurs touchés par de précédentes sécheresse ont bénéficié du ré-échelonnement de leur remboursement. Cependant pour certains, les échéances sont proches. Un agriculteur demande « l’intervention des plus hautes autorités face au problème de la sécheresse ». « On n’en peut plus. La banque me réclame 23 millions de centimes ».
L’alternative de l’agriculture de conservation
Les parcelles sinistrées concernent également des terrains en pente. Dans cette région vallonnée les collines sont nues. Pas la moindre végétation, telles des haies pouvant retenir l’eau des pluies. Celle-ci a creusé des ravins. Depuis longtemps l’Institut national de la recherche forestière suggère l’édification d’obstacles dont des murets dans ces ravins pour favoriser l’infiltration des eaux de pluie vers les nappes souterraines.
Aux yeux de ces agriculteurs, la solution serait de se tourner vers l’agriculture de conservation et d’arrêter le labour pour le remplacer par le semis direct du blé. Cette stratégie qui consiste en outre à restituer au sol une partie des résidus de récolte et de réaliser la rotation des cultures permet de réduire les coûts et assure une meilleure rétention de l’eau dans le sol. De quoi permettre au blé de résister jusqu’à 3 à 4 semaines au manque de pluie.
Comment éviter les dérives telle la plantation d’arbres nécessitant annuellement 1 200 mm d’eau alors que les pluies apportent au plus 400 mm/an ?
Un semoir de type nouveau est nécessaire avec des dents qui travaillent le sol juste à l’endroit où les semences sont déposées dans la terre. Avantages: une réduction des doses de semences et une meilleure germination, gage d’une levée vigoureuse. Chose qui manque manifestement à Oued Lili. Ces semoirs sont produits à Sidi Bel-Abbès, mais le dossier de l’agriculture de conservation semble s’être perdu dans les rouages de l’administration, puis l’heure est à l’agriculture irriguée. L’agriculture en sec semble oubliée. Dès que les premiers mois manquent de pluie, les services publient des alertes à l’irrigation. Mais avec quels moyens irriguer 7 millions d’hectares et avec quelle eau en période de sécheresse ?
Le drame est que personne n’est venu expliquer aux agriculteurs d’Oued Lili les adaptations nécessaires face au réchauffement climatique.
Aussi n’ont-ils en tête que la solution de forer des puits. Avant la colonisation française, l’araire des fellahs travaillait le sol en surface épargnant les couches plus profondes riches en humus garantissant ainsi la rétention de l’eau des pluies. L’intrusion de la charrue d’acier apportée par les colons a permis d’exploiter à leur profit ce capital unique qu’est l’humus. Un capital aujourd’hui disparu et difficile à reconstituer d’autant plus qu’aucune paille n’est restituée au sol.
La paille, une denrée qui vaut de l’or pour les éleveurs de moutons. Dès le passage de la récolte, elle est ramassée et vendue, quant aux chaumes, les parcelles sont louées aux éleveurs. L’emploi des charrues en acier se perpétue. L’entreprise publique CMA a conclu un partenariat avec la société portugaise Galucho pour produire plus de charrues.
L’illusion de l’arboriculture
À Oued Lili, les terrains présentent pour la plupart en surface une croûte. Un signe flagrant de manque d’humus. Une alternative serait de se tourner vers l’agriculture de conservation aussi appelée « agriculture régénérative ». Une technique enseignée dans les instituts agronomiques du pays.
Mais il semble que cette technique salvatrice ne soit pas arrivée jusqu’aux agriculteurs d’Oued Lili. Assis à ces tables d’écoliers, aussi réclament-ils la possibilité de pouvoir forer des puits.
« On s’y perd entre ces zones rouges ou bleues », lâche perfidement l’un d’entre eux. Chacun sait que les zones rouges sont celles correspondant aux périmètres où il est interdit de prélever l’eau réservée à l’adduction en eau potable des villes.
« Oui mais, indique un agriculteur, il y en a qui ont pourtant des puits en fonctionnement ». Et d’un air bravache, il ajoute : « Si j’avais les moyens financiers, je forerais un puits en cachette ». Une pratique courante en Mitidja où le matériel de forage est installé à l’abri des regards au milieu des vergers d’agrumes ou dans des serres.
La solution pourrait passer par la vulgarisation active du semis direct avec l’octroi de subventions à l’achat de semoirs et l’ajout d’une dose de conditionnalité : octroi gratuit de semences et engrais sous réserve que l’agriculteur teste sur 5 à 10% de ses terres le semis direct.
Un agriculteur tente de justifier la demande d’autoriser des forages par le fait que la diversification des cultures comme les arbres fruitiers permettrait de répartir les risques en cas de sécheresse affectant les céréales. Mais comment éviter les dérives telle la plantation d’arbres nécessitant annuellement 1 200 mm d’eau alors que les pluies apportent au plus 400 mm/an ?
La diversification des revenus pourrait passer par la valorisation du blé dur à travers la production de semoule et de pâtes alimentaires à la ferme. À Oued Lili, l’agriculture est à réinventer.