Le monde regorge de pseudo-mouvements politiques cherchant l’indépendance. Certains ont une armée, d’autres une base populaire, d’autres encore une géographie crédible. Et puis il y a le MAK, curieuse micro-entreprise identitaire dont le business model tient davantage de la start-up en faillite permanente que du projet national. Un objet politique si léger qu’il flotte au gré des courants diplomatiques, tel un ballon de baudruche gonflé à Paris, Rabat et Tel-Aviv — et condamné à exploser dès qu’un souffle kabyle réel s’en approche.
Car la Kabylie, elle, ne s’embarrasse pas de ce folklore. L’idée d’autonomie y est classée dans la rubrique « blagues de comptoir » ou un running gag qu’on ressort pour rire gentiment de ces experts autoproclamés du Quartier latin de Paris persuadés d’avoir percé le secret des montagnes kabyles à coups de plateaux télé et de cafés crème.
Pendant ce temps, Ferhat Mehenni, CEO autoproclamé de Kabylie Ltd, appelée communément Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, navigue dans un exil luxueusement improductif, qui lui sert davantage de bureau que de terrain politique. Il entretient une boutique politico-administrative où l’on distribue cartes, attestations et récits héroïques à des migrants en quête d’arguments pour dossiers d’asile. Une sorte de service après-vente pour clandestins économiques, avec option « oppression sur catalogue ».
L’ironie, bien sûr, est que cette entité sans militants visibles et sans ancrage réel bénéficie d’une célébrité internationale inversement proportionnelle à sa consistance. On la cite, on l’invite, on la dépoussière, comme on le ferait d’un objet curieux trouvé dans un grenier, intrigant, exotique, mais fondamentalement inutile.
L’on dit que Ferhat Mehenni s’apprête, encore une fois, à proclamer quelque chose mi-décembre. D’où vient cette soudaine surexposition ? Certainement pas d’un enthousiasme populaire en Kabylie — la région rit encore rien qu’à l’idée. Pas davantage d’une base militante, inexistante. Ni d’une quelconque dynamique de terrain. Non, l’effervescence autour du MAK est un produit d’exportation géopolitique, fabriqué sur mesure dans quelques capitales désireuses de titiller Alger à bas coût.
La France apprécie cet outil flexible, rappelant à l’Algérie que certains leviers ne sont jamais complètement rangés au placard. Le Maroc, lui, applaudit tout ce qui chatouille son voisin. Israël, pareil, ne boude jamais une occasion d’ajouter un petit irritant supplémentaire dans la zone. Ainsi, le MAK est une application mobile géopolitique. L’on clique, un communiqué apparaît, Alger s’agace, et tout le monde passe à autre chose. L’Algérie, lassée, a même fini par classer le mouvement comme organisation terroriste. Une façon polie d’annoncer que la plaisanterie était terminée.
Sur le terrain, en Kabylie, la vie avance tranquillement sans Mehenni. On parle pluie, emploi, football, avenir des enfants. On construit l’Algérie, comme toujours. Imaginer que cette région — cœur battant du pays, productrice de ministres, d’ingénieurs, de professeurs, d’artistes et d’entrepreneurs — accepterait de se replier sur un un micro-État fictif relève du pur comique. Les Kabyles ne sont pas une minorité affamée de reconnaissance. Ils sont, partout, dans chaque rouage de l’État algérien, dans chaque ville, dans chaque secteur. Leur demander de se confiner sur un lopin de montagne austère serait l’équivalent politique de demander à un cadre supérieur de quitter son entreprise pour gérer un bureau de tabac.
Le contraste entre la Kabylie rêvée par le MAK — un Wakanda administratif sans population — et la Kabylie réelle — vibrante, nationale, omniprésente — constitue l’un des plus beaux non-sens géopolitiques contemporains. Une fiction tournée depuis un studio parisien, avec Mehenni en figurant principal d’un film que personne en Kabylie n’a demandé.
Il faut être clair, le MAK fonctionne surtout comme une source de revenus pour l’ancien chanteur Ferhat Mehenni, engagé dans un congé sabbatique permanent et soutenu par des financements marocains et israéliens qui voient dans cette micro-structure un gadget diplomatique pratique. Rien de plus, rien de moins qu’un outil jetable dans le grand tiroir des irritants pour usage extérieur.
L’Algérie, elle, observe ces gesticulations comme on suivrait un feuilleton d’été, avec un soupir, un sourire en coin et la certitude tranquille que la Kabylie ne se séparera jamais d’une nation qu’elle contribue à façonner depuis des siècles.
Aucune enveloppe, aucun micro, aucun plateau télé n’y changera quoi que ce soit.
Ainsi va le MAK, mouvement qui n’existe que là où la Kabylie n’est pas, devenu sujet d’étude pour politologues sans colonne vertébrale, jouet de diplomaties en mal d’inspiration et abstraction parfaite pour des médias en quête d’exotisme.
En somme, c’est une structure sans ancrage, construite depuis l’étranger et ignorée par la réalité kabyle. Une compagnie offshore, immatriculée ailleurs, utile à d’autres, dépourvue de substance, mais toujours prête à servir de paravent géopolitique.