La Kouitra, également connue sous le nom de « oud andalou », est un instrument de musique ancestral qui occupe une place centrale dans le patrimoine musical andalou algérien. Véritable symbole de la rencontre entre les cultures arabes et méditerranéennes, la Kouitra fascine par son histoire, son jeu atypique et ses sonorités enchanteresses.
L’instrument est l’un des héritiers directs du oud, luth arabe introduit dans la péninsule ibérique au IXe siècle par Ziryab, cet érudit aux multiples facettes qui a révolutionné la pratique musicale en Andalousie.
La Kouitra, connue comme un instrument emblématique de la musique classique algérienne dite arabo-andalouse, pourrait tirer son nom et son essence d’une appellation plus ancienne : la Kitara. Cette hypothèse est confortée par la tendance des maghrébins à utiliser les diminutifs comme « Q’hywa » au lieu de « Qahwa » (café) ou « T’bissi » au lieu de « Tebssi » (assiette), ce qui donnerait Kouitra pour Kitara.
Si l’on retient cette lecture, il conviendrait donc de préciser que la kitara est souvent mentionnée dans la poésie andalouse, preuve de son importance dans les pratiques musicales et culturelles de l’époque. Les poèmes chantés, jusqu’à nos jours, témoignent de cette place de choix de la Kitara dans les arts andalous. Parmi les textes célèbres, l’on trouve les vers suivants, qui illustrent une atmosphère festive et raffinée où musique et plaisirs de la vie se mêlent :
الطار و العود الرباب و الشباب ما بيننا و الكيتارة و بنت الدنان
(Traduction : Le tambourin, le luth, le rebab et la flûte parmi nous, ainsi que la kitara et le vin).
Ici, la Kitara est évoquée aux côtés des instruments phares de l’époque, comme le Rebab, l’Oud et la flûte, dessinant un tableau d’harmonie musicale et d’élégance festive.
Un autre texte célèbre, intitulé أملا كؤوس الخلاعة (Remplis les coupes du plaisir), illustre à nouveau la place centrale de la Kitara dans les rassemblements musicaux :
الكيتارة مع الربايب و العود و النقر العجيب
(Traduction : La kitara et les rebabs, le luth et la percussion émerveillante).
Ces vers montrent comment la Kitara s’inscrit dans un cadre musical raffiné, où chaque instrument joue un rôle dans la création d’un univers sonore unique.
Bien plus tard, dans la poésie populaire du genre Melhoun, il est fait référence à la Kouitra nommément, notamment dans la poésie de Ben M’sayeb qui a vécu à Tlemcen au XVIIIe siècle.
Cependant, la Kouitra possède des caractéristiques qui la différencient du oud classique, témoignant des influences croisées entre les traditions musicales locales andalouses et celles du monde arabe. À travers les siècles, elle a voyagé avec les populations exilées, notamment après la Reconquista et la capitulation de Grenade en 1492, dernier bastion musulman d’Andalousie, et a contribué à enrichir la musique dans les régions du Maghreb Central, particulièrement Alger et Tlemcen.

Structure et Caractéristiques
La Kouitra est un instrument à cordes pincées. Sa construction se distingue par :
- La caisse de résonance : Plus petite et moins bombée que celle du oud classique, elle est fabriquée à partir de bois noble tel que le noyer ou l’acajou, ce qui contribue à sa résonance douce et équilibrée.
- Le manche : Plus long que celui du oud, il permet de s’adapter à des hauteurs de son plus basses, car plus une corde est longue, plus la hauteur de son est faible.
- Les cordes : Traditionnellement, la Kouitra comporte quatre cordes doublées en boyau, accordées de manière spécifique pour permettre une grande richesse harmonique et pincées à l’aide d’un plectre en plume d’aigle. Son accord se présente comme suit : Ré-La-Mi-Sol.
- La rosace : Les instruments traditionnels sont souvent ornés de motifs floraux, reflétant l’esthétique raffinée de l’art andalou. Dans le cas de la Kouitra, l’unique rosace qui se trouve au centre de la table d’harmonie, faite en général d’épicéa, représente un pot de fleurs ou, selon Mr Salah Boukli-Hacène (Professeur de musique andalouse et chercheur en musicologie), une théière autour de laquelle les convives se réunissent.
Il existe trois gabarits dont l’unité de mesure est el Khezna (caisse) correspondant au modèle le plus petit communément appelé Freyekh (oisillon), autrefois utilisé par les femmes tel que nous pouvons le voir dans les œuvres des peintres orientalistes illustrant des scènes de vie dans les demeures luxueuses de l’aristocratie algérienne. Le second gabarit, d’une caisse et demie, est le plus utilisé de nos jours contrairement au Freyekh, sus-cité, ou encore au troisième du genre correspondant à deux caisses.

Sonorité et rôle dans la musique andalouse algérienne
La Kouitra se distingue par une sonorité délicate et mélodieuse, offrant des basses idéales pour accompagner le chant. Sa technique de jeu dite Chayeb wech’bab (traduction : vieux et jeune, pour désigner le grave et l’aigu) qui consiste en le retour systématique à la première corde (Ré), joue le rôle de métronome qui fixe le tempo à côté des instruments de percussion. Elle est indissociable de la nouba andalouse algérienne, cette forme musicale qui associe poésie, chant et instrumentations savamment construites.

La Kouitra ne se limite pas à être un instrument de musique ; elle est aussi un symbole culturel de l’identité musicale algérienne. Sa présence dans les écoles d’Alger et de Tlemcen témoigne de la volonté de préserver un héritage unique, profondément ancré dans l’histoire andalouse mais ayant trouvé une terre d’épanouissement en Algérie.
Unique par son histoire, sa construction et sa sonorité, la Kouitra incarne l’âme de la musique classique andalouse en Algérie, tout en racontant l’histoire d’un instrument profondément enraciné dans la tradition poétique et musicale des andalous.



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Grâce aux efforts de nombreux maîtres à l’instar de Mohamed Sefindja et plus tard, Mohamed Behar à Alger, ou encore Mahmoud Sari et Mustapha Brixi à Tlemcen pour ne citer que ceux-ci, la Kouitra continue d’inspirer de nouvelles générations.
Loin de s’effacer devant d’autres instruments, notamment occidentaux, elle s’efforce, tant bien que mal, de maintenir la place qui lui revient de droit, et reste une étoile brillante du patrimoine musical algérien qui mérite d’être inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO.