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L’autocensure : la pire des violences, celle qui nous fait basculer dans l’ombre


Il existe des violences visibles, brutales, qui laissent des traces sur les corps. Et puis il existe une violence plus sournoise, plus insidieuse, qui ne laisse aucune cicatrice apparente : l’autocensure. Se taire par peur, retenir une vérité, renoncer à dire ce que l’on pense, voilà peut-être la pire des violences. Non pas parce qu’elle détruit de l’extérieur, mais parce qu’elle grignote de l’intérieur. Elle nous apprend à obéir avant même d’y être forcés. Elle installe une prison dans notre propre esprit.

Cette violence est redoutable parce qu’elle est choisie. Ou du moins, elle en a l’air. On se justifie : “Ce n’est pas le moment”, “ce n’est pas si grave”, “je ne veux pas d’ennuis”. Petit à petit, on entre dans une logique de concessions. On troque la sincérité contre la tranquillité, la dignité contre l’acceptation. Ce glissement progressif rappelle ces récits où l’on ne plonge pas d’un coup dans l’ombre, mais où l’on y dérive, guidé par la peur, la tentation du confort ou le désir de plaire. On pense préserver la paix, on ne fait que nourrir la noirceur.

L’autocensure n’est pas seulement une violence contre soi ; c’est une violence contre le lien social. Car lorsqu’une voix se tait, c’est une part de vérité qui disparaît. Et lorsqu’une multitude se tait, c’est la réalité elle-même qui se déforme. Les injustices se banalisent. Les dominations se renforcent. Les esprits se soumettent. Le silence devient la norme, et l’ombre s’étend sans résistance. Le plus tragique, c’est que les puissants n’ont même plus besoin d’imposer la censure : elle se fait d’elle-même, dans la tête des individus.

Résister à l’autocensure, ce n’est pas provoquer le chaos ou chercher le conflit. C’est refuser d’abandonner sa lumière intérieure. C’est oser dire, même doucement, même maladroitement : “Je pense autrement.” La parole libre n’est pas toujours héroïque, mais elle est toujours lumineuse. Elle rompt la chaîne invisible de la peur. Elle rappelle que la vérité existe, que la conscience veille, que la dignité parle.

Oui, l’autocensure est la pire des violences, parce qu’elle fait aimer le silence et haïr sa propre voix. Elle nous pousse à nous ranger du côté de l’ombre en croyant choisir la sécurité. Or le véritable courage n’est pas de crier, mais de ne pas se trahir. Entre l’obscurité du confort et la lumière exigeante de la liberté, il y a une bataille intérieure. Et cette bataille commence à chaque fois que l’on choisit de parler… ou de se taire.