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Mounder Bouden : la pomme et la parole vide

À travers le verbe creux et les symboles dérisoires de Mounder Bouden, le populisme s’avance masqué sous les traits d’une parole prétendument populaire mais profondément vide.


Il arrive que la scène politique d’un pays se vide à tel point que la parole d’un seul homme, aussi creuse soit-elle, résonne sans écho contradictoire. C’est ce qui semble se produire aujourd’hui avec Mounder Bouden, secrétaire général du Rassemblement National Démocratique (RND) et figure désormais omniprésente du discours politique officiel.

Depuis quelque temps, Bouden sillonne le pays, multipliant les meetings et les apparitions médiatiques où il se met en scène en tribun d’un renouveau supposé. Ces rassemblements, présentés comme des moments d’écoute populaire, ressemblent davantage à des monologues politiques soigneusement orchestrés. L’homme parle beaucoup, s’agite parfois, mais ne dit presque rien. La légèreté de ses déclarations contraste cruellement avec la gravité des enjeux nationaux. À Batna, ce week-end, il a trouvé dans une simple pomme produite localement le symbole de la « dignité d’un peuple ». La scène, presque surréaliste, résume à elle seule une époque où la politique se confond avec la communication la plus indigente.

À 43 ans, Mounder Bouden appartient à cette jeune garde du parti qui a pris les manettes avec la promesse de renouveler le discours politique sans jamais en bouleverser les codes.

Que signifie, dans le contexte algérien, cette pomme brandie comme un étendard national ? Rien, sinon la tentative désespérée d’un responsable politique de trouver un fil narratif à un discours sans substance. Bouden explique que la pomme, autrefois importée des Alpes, est désormais cultivée dans les Aurès, et que cette évolution illustre la dignité retrouvée d’un peuple maître de sa production. L’argument, s’il prête à sourire, reste surtout révélateur d’un appauvrissennt conceptuel abyssal puisqu’il ne dit rien de la politique agricole, rien des moyens de production, rien des marchés et rien de la souveraineté économique. Il transforme une banalité agricole en parabole patriotique, un fruit en drapeau. C’est le populisme réduit à sa plus simple expression, l’exploitation du trivial pour masquer le vide intellectuel.

Mais Bouden n’est pas à sa première sortie. Dans un autre moment de sincérité malheureuse, il s’était félicité qu’un de ses collaborateurs, autrefois « un grand opposant sur les réseaux sociaux », dirige aujourd’hui « une institution publique, et il est conseiller chargé de la communication »*. L’intention affichée se veut noble, celle d’inciter la jeunesse à s’impliquer en politique, mais le message sous-jacent trahit une tout autre réalité, où la réussite ne découle plus du mérite mais de l’allégeance au parti. Érigée en vertu civique, cette logique clientéliste en dit long sur la dégradation morale du discours politique. Ce n’est plus le citoyen éclairé que l’on veut convaincre, mais le fidèle que l’on veut recruter.

Le populisme n’est pas seulement une stratégie électorale ; il est devenu, dans certains cercles du pouvoir, une culture intellectuelle de remplacement. À défaut d’idées, on mise sur le symbole ; à défaut de projets, sur le geste ; à défaut de profondeur, sur le folklore. En réduisant la politique à des métaphores de bazar, Bouden s’inscrit dans une tradition où l’on confond la communication avec la conviction. Sa parole, souvent emphatique mais rarement articulée, trahit une incapacité à penser la complexité du réel. Le populisme n’est pas ici le langage du peuple, mais celui de ceux qui n’ont plus rien à dire au peuple.

Le plus inquiétant n’est peut-être pas le contenu des discours de Bouden, mais le silence qui les entoure. Il occupe désormais presque seul la scène politique nationale, non pas parce que ses idées convainquent, mais parce que le vide institutionnel les laisse prospérer. L’opposition est exsangue, la société civile marginalisée, et la parole officielle se déploie dans un espace sans contradiction. Cette solitude politique, loin d’être un signe de puissance, révèle la stérilité d’un système qui se parle à lui-même. Bouden est à la fois le symptôme et le produit de cette stérilité, il parle beaucoup mais ne dit rien.

Dans cette atmosphère où la symbolique remplace la pensée, la « dignité » devient un mot-valise, vidé de son contenu moral et politique. Elle ne renvoie plus à la justice sociale, à la liberté ou à la souveraineté économique, mais à une pomme exhibée devant des caméras. Cette perversion du langage est au cœur de la misère intellectuelle contemporaine, elle transforme le patriotisme en spectacle et la citoyenneté en rituel creux.

La politique, disait Hannah Arendt, est l’art de faire du monde un lieu habitable pour la parole et l’action. En réduisant la parole à une succession d’images simplistes et l’action à une mise en scène, Mounder Bouden trahit cette vocation. Sa « popularité » momentanée sur les réseaux sociaux ne traduit pas une adhésion, mais une fatigue nationale, celle d’un pays privé de débat, d’idées et de vision. Dans cette tragédie de la pensée, la pomme des Aurès n’est plus un symbole de dignité mais le fruit défendu de l’intelligence politique.


*Ce paragraphe a été modifié après vérification d’une déclaration de Bouden concernant M. Nassim Brahimi. Nos excuses à ce dernier. La correction n’altère pas le sens de l’analyse de la logique clientéliste évoquée dans l’article.