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Punir l’identité


En Algérie, certaines propositions de loi en disent moins sur l’évolution du droit que sur les tensions d’un moment politique donné. Celle relative à la déchéance de la nationalité algérienne s’inscrit clairement dans cette catégorie. Présentée au Parlement sans être portée par le gouvernement — lequel a publiquement exprimé ses réserves — elle semble répondre davantage à une conjoncture politique et médiatique qu’à une nécessité juridique ou nationale clairement identifiée.

L’Algérie, faut-il le rappeler, applique le droit du sang en matière de nationalité. Être algérien ne relève ni d’un contrat révocable ni d’une faveur administrative aisément retirée, mais d’un statut transmis qui constitue le socle même de l’identité juridique de l’individu. Dans les ordres juridiques contemporains, la déchéance d’une nationalité d’origine est considérée comme une mesure exceptionnelle, encadrée de garanties procédurales strictes, précisément parce qu’elle ouvre la voie à l’arbitraire et, dans certains cas, à la création d’apatrides — situation proscrite par le droit international.

Or le texte proposé pèche à plusieurs niveaux. Il manque de méthode juridique, offre peu de garanties judiciaires indépendantes et s’écarte sensiblement des standards internationaux relatifs à la protection du lien de nationalité. Plus encore, il heurte l’esprit de la Constitution algérienne, qui consacre des garanties fondamentales au profit des citoyens. Une telle rupture normative mérite mieux qu’un débat précipité nourri par l’émotion.

L’histoire récente du pays est pourtant éclairante. Depuis l’indépendance, les cas de déchéance de la nationalité algérienne sont rarissimes. Dans les premières années de l’État post-indépendance, le Journal officiel regorgeait non pas de décrets de déchéance, mais de décrets de naturalisation. L’Algérie accueillait alors le retour de ses enfants, réfugiés dans les pays voisins durant la colonisation et la guerre de libération, qui retrouvaient leur patrie juridique autant que politique. Les quelques retraits de nationalité prononcés par la justice concernaient essentiellement des fausses déclarations, non des délits d’opinion ou des postures politiques.

Même face à l’une des pages les plus sombres de son histoire — celle des harkis — l’État algérien nouvellement rétabli n’a pas franchi le Rubicon de la déchéance massive. Ceux qui ont rétabli l’État en 1962 ont choisi des mesures administratives ciblées, parfois sévères, mais ont refusé de remettre en cause la nationalité d’origine, encore moins de l’étendre aux familles. Ils avaient compris qu’en matière de souveraineté, la stabilité juridique prime souvent sur la tentation punitive.

Pourquoi, dès lors, rouvrir aujourd’hui un dossier que l’histoire et le droit semblaient avoir clos ? L’impression domine que cette initiative législative est moins le fruit d’une réflexion de fond que la réaction à des affaires médiatisées et à des provocations politiques dont l’écho réel à l’intérieur du pays reste limité. En leur accordant une centralité nationale disproportionnée, l’État et ses institutions risquent paradoxalement de renforcer leur portée à l’étranger, là où elles trouvent relais et soutiens.

Être algérien est un honneur, mais aussi une responsabilité. La question de savoir si cette responsabilité est trahie relève exclusivement de la justice, non de la conjoncture politique ou de la pression médiatique. La nationalité confère la protection de l’État et ne saurait être instrumentalisée au rythme de controverses venues d’ailleurs ou de crispations diplomatiques éphémères.

Les représentants élus ont vocation à refléter fidèlement les préoccupations profondes des citoyens, non à servir de caisse de résonance aux controverses extérieures. À défaut, ils risquent de fragiliser ce qu’ils prétendent défendre, à savoir la souveraineté nationale. Dans un contexte marqué par des formes nouvelles de conflictualité et de guerres informationnelles, la prudence juridique n’est pas un luxe. Elle est une ligne de défense.

Déchoir un natif de sa nationalité revient à poser une question aussi élémentaire que dangereuse, celle du fondement juridique invoqué et de l’opportunité politique du moment. En s’éloignant de la prudence juridique qui a guidé l’État depuis l’indépendance, ce projet rompt moins avec des individus qu’avec une tradition de stabilité nationale.