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Quand la censure devient un sport de combat

Une polémique autour d’un livre censuré sur Malcolm X révèle moins un combat pour la liberté d’expression qu’un enchevêtrement de postures, d’indignations sélectives et de calculs politiques. Pendant que les acteurs s’affrontent, la censure, elle, poursuit tranquillement son œuvre.


Dans le débat algérien, il est parfois difficile de distinguer une controverse d’idées d’une épreuve de lutte gréco-romaine déguisée en débat public. L’épisode récent autour de la censure d’un livre consacré à Malcolm X en fournit une illustration presque pédagogique, tant chacun s’indigne, chacun moralise et chacun oublie soigneusement de balayer devant sa propre porte.

D’un côté, Louisa Hanoune, figure familière de la scène politique nationale, exhume une vieille affaire et la projette dans l’actualité avec l’assurance de celle qui sait que l’indignation, même approximative, demeure une valeur médiatique sûre. Le problème n’est pas tant d’évoquer une censure, l’Algérie en offrant malheureusement un vaste catalogue, que la légèreté avec laquelle les faits sont convoqués. Dates floues, responsabilités diluées et contextes éludés composent une accusation flottante, suffisamment vague pour susciter l’émotion, mais trop imprécise pour éclairer le débat.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la secrétaire générale du Parti des travailleurs confond dénonciation politique et règlement de comptes. Les observateurs se souviennent encore d’un épisode où, emportée par sa verve, elle avait accusé publiquement un entrepreneur de pratiques douteuses en citant une entreprise qui ne lui appartenait pas. L’erreur n’avait jamais été réellement corrigée. Dans ce théâtre, la rectification n’atteint jamais l’impact de l’accusation initiale.

La première mise au point n’est pas venue d’un défenseur institutionnel, mais du journaliste et écrivain Hmida Ayachi, qui a aussitôt relevé la fragilité du propos. Il soulignait qu’en lançant une accusation aussi lourde sans date précise, sans contexte établi ni identification des responsables, Louisa Hanoune produisait avant tout une agitation médiatique. Rectifiée ensuite par un flou commode évoquant de vagues années antérieures, sa contribution laissait le champ libre aux emballements, tout en évitant soigneusement la seule question décisive, celle du cadre légal ayant rendu cette censure possible.

D’autres journalistes, relayés par des membres du bureau politique de Louisa Hanoune, lui donnent alors la réplique. Leur réponse se veut rationnelle, juridique, presque professorale. Elle rappelle à juste titre que Mme Hanoune n’a jamais exercé de pouvoir exécutif et que la censure en Algérie est avant tout administrative, structurelle et profondément enracinée. Le rappel de la Constitution et des exclusions répétées d’éditeurs indépendants est pertinent. Toutefois, le ton de neutralité affichée masque difficilement un travers bien connu, celui de l’indignation à géométrie variable.

Ce second texte, présenté comme une mise au point désintéressée, ressemble aussi à ces tribunes où la vertu se conjugue harmonieusement avec les intérêts bien compris. Défendre une figure politique, réhabiliter un ancien ministère et rappeler opportunément les mérites d’un passé culturel idéalisé peuvent relever de la conviction sincère, ou d’un alignement confortable avec des réseaux, des fidélités anciennes et des proximités bien établies. Dans l’Algérie réelle, les frontières entre plaidoyer intellectuel et service rendu demeurent rarement étanches.

Le résultat est un dialogue de sourds où chacun accuse l’autre d’instrumentalisation tout en pratiquant la sienne avec application. L’une utilise la censure comme projectile politique, quitte à tordre les faits. L’autre transforme une critique légitime de l’arbitraire en exercice de blanchiment sélectif. Entre les deux, Malcolm X disparaît presque entièrement, réduit à un simple accessoire symbolique dans une querelle résolument locale.

Pendant ce temps, la censure réelle, banalisée, administrative et souvent absurde, poursuit son œuvre sans bruit. Des maisons d’édition sont exclues sans décision judiciaire, des livres disparaissent sans justification cohérente et des ouvrages autrement plus problématiques circulent sans encombre. Ce scandale-là se révèle toutefois moins rentable médiatiquement que les passes d’armes personnalisées.

L’ironie de l’affaire tient au fait que chacun prétend défendre la liberté d’expression tout en la réduisant à un outil tactique. L’indignation devient une ressource, la mémoire un instrument et la morale un décor. Comme souvent, le débat algérien ne souffre pas d’un manque de discours, mais d’un excès de postures.

Au final, l’Algérien reste avec une impression persistante selon laquelle ni les bourdes répétées des uns ni les plaidoyers intéressés des autres ne feront reculer la censure. Elles rappellent seulement une vérité simple et cruelle, à savoir qu’en Algérie la liberté d’expression n’est pas uniquement menacée par l’État, mais aussi par ceux qui prétendent parler en son nom.