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Quand « l’exception algérienne » devient un bouc émissaire d’État

Le rapport sur le « coût » de l’immigration algérienne prétend informer, mais construit un récit idéologique. En brandissant des chiffres flous et en parlant de « privilège », il efface l’histoire, nourrit la stigmatisation et transforme une relation complexe en affrontement politique.


Photo Twala.

Il y a quelque chose de profondément révélateur dans la manière dont le débat migratoire français se cristallise, une fois de plus, autour de l’Algérie. Le rapport parlementaire sur le “coût” de l’immigration algérienne prétend éclairer le débat public. En réalité, il construit un récit politique : celui d’une population « privilégiée », « coûteuse », « protégée » Mais ce récit tient moins de l’analyse rigoureuse que du storytelling idéologique.

Brandir « 2 milliards d’euros » comme un épouvantail est une stratégie de communication, pas une démonstration économique. Ce chiffre n’est ni un budget ni une donnée vérifiée : c’est une estimation floue, conçue pour frapper l’opinion. Surtout, parler du « coût d’une population » pose le débat sur des bases biaisées. Qui évoque le coût des retraités français à l’étranger ? Des niches fiscales ? Des expatriés aisés ? L’immigration n’est jamais pensée en termes d’apports, seulement en termes de charges.

Le rapport fabrique un chiffre-choc, pas une vérité. Il additionne tout (RSA, ASPA, hébergement d’urgence, contentieux, hôpitaux…) sans jamais questionner la faillite administrative de l’État à produire des données fiables. Si l’administration ne sait pas compter, ce n’est pas la faute des Algériens. Le problème n’est pas l’étranger : c’est l’État.

Qualifier les accords de 1968 d’« exception » est une simplification trompeuse. Ces accords ne sont pas un privilège tombé du ciel : ils sont le résultat d’une histoire violente – colonisation, guerre, accords d’Évian – et d’un pacte postcolonial implicite. Ils prolongent des liens humains, économiques, géopolitiques. Et surtout : la France n’a jamais été obligée de les maintenir. Si elle ne les a pas renégociés, c’est parce qu’elle y trouvait intérêt : coopération sécuritaire, énergie, gestion des visas, influence diplomatique.

Parler de « privilège algérien », c’est effacer l’histoire et le donnant-donnant diplomatique.

Le bon Français, le mauvais étranger

Le rapport aligne des indignations : renouvellements facilités, absence de test de langue, expulsions difficiles. Mais il omet volontairement que les expulsions échouent pour toutes les nationalités, faute d’accords consulaires ; que les titres de séjour sont délivrés sous conditions strictes ; et que l’intégration ne se résume pas à un examen linguistique : elle se vit dans le travail, la famille, l’économie, la culture.

Plus grave encore : le rapport ne dit rien sur l’emploi, l’entrepreneuriat, la fiscalité ou les contributions des Algériens. Un récit tronqué n’est pas une analyse : c’est un cadrage idéologique.

Ce rapport tombe à pic : le gouvernement français prépare une nouvelle réforme de l’immigration. L’Algérie devient un cas d’école pour afficher une fermeté symbolique. Et détail crucial : le député qui a déposé ce rapport n’est pas d’extrême droite. C’est un centriste, membre du parti de Gabriel Attal, donc de la majorité présidentielle.

Autrement dit : ce narratif ne vient pas des marges, il vient du cœur du pouvoir. Les médias d’extrême droite ne font que servir de chambre d’écho, amplifiant un cadre déjà posé par l’État.

La diplomatie dit l’inverse

Selon des sources diplomatiques, Emmanuel Macron a chargé l’ambassadeur de France en Algérie – actuellement rappelé à Paris – de participer à la cérémonie de dépôt d’une gerbe de fleurs au mémorial dédié aux victimes du 17 octobre 1961. Ce geste fort symbolise une volonté de relancer le dialogue avec Alger.

Mais simultanément, le même pouvoir laisse un député de sa majorité produire un rapport qui désigne l’Algérie comme bouc émissaire. Double discours : réconciliation symbolique d’un côté, stigmatisation législative de l’autre. La France a besoin de l’Algérie autant que l’Algérie a besoin de la France : visas contre coopération sécuritaire, investissements contre accords politiques, diaspora comme levier d’influence.

Penser qu’on peut supprimer l’accord de 1968 sans conséquences est soit naïf, soit cynique.

En gros, ce rapport crée une nouvelle injustice. Sous prétexte de rétablir l’égalité, il installe la division. En dénonçant un régime « dérogatoire», il oublie pourquoi il existe. En chiffrant un « coût », il invisibilise une histoire, des vies, des apports. On ne réforme pas un lien aussi complexe par indignation médiatique. On ne construit pas une politique migratoire sur un ressentiment postcolonial recyclé. Transformer 800 000 personnes en problème budgétaire, ce n’est pas gouverner : c’est désigner un ennemi.

Le vrai courage politique serait de poser la question autrement : que révèle cette « exception algérienne » de l’incapacité des élites des deux pays à penser une relation apaisée, équilibrée, adulte entre deux pays liés par l’histoire ? Tant que l’on brandira des chiffres comme des armes, on ne fera pas de politique. On fera du bruit.