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Répression massive des Hirakistes, l’aveu d’échec de Tebboune

De quoi la répression du vendredi 117 du Hirak est-elle le nom ? Si elle n’a pas d’équivalents depuis l’avènement du Hirak, elle marque surtout l’impuissance du président Tebboune et son régime naissant face à cette dynamique de la société algérienne qui ne veut plus être gouvernée à l’insu de son plein gré.


Photo de Samir Sid

La répression du vendredi 117 (14 mai 2021) du Hirak a peu d’équivalents depuis le soulèvement populaire du 22 février 2019. Presque toutes les manifestations à travers le territoire national ont été́ violemment empêchées par la police, en conduisant des contrôles d’identité́ et des interpellations systématiques, en matraquant sans discrimination femmes, enfants, vieillards, étudiants, journalistes, et en usant de gaz lacrymogènes.

Ce sont dizaines de personnes qui ont été́ menacés, terrorisés, blessés et agressés physiquement. Près de 1000 personnes issues de 23 wilayas ont été́ interpellés, selon les chiffres compilés par les activistes. 44 personnes ont été placées sous mandat de dépôt dimanche, 17 mai 2021. Cette répression et la volonté d’empêcher les manifestations du Hirak ne sont pas pour autant surprenantes. Elles sont la conséquence de la criminalisation du mouvement populaire depuis le 19 février 2021, date de reprise des mobilisations, après une année de suspension volontaire.  

De la criminalisation à l’étranglement du Hirak

Comment le régime sous Tebboune s’est-il pris pour orchestrer cette répression ? Il y est allé crescendo. Le harcèlement policier et judiciaire des hirakistes s’est accentué au cours des derniers mois : arrestations sommaires, perquisitions à domicile, recours abusif aux détentions provisoires, gardes à vue prolongées et contrôles judiciaires ont fortement augmenté en nombre et en sévérité. Ces procédés visent à réduire, par tous les moyens possibles, la capacité́ d’action de militants infatigables qui sont systématiquement répertoriés et persécutés par les services de la police politique. Les Mohamed Tadjadit, Malik Riahi, Slimane Hamitouche, Dalila Touat, Said Boudour, Kaddour Chouicha, Djamila Loukil, et même Ibrahim Douadji, forcé de quitter le pays clandestinement pour éviter le harcèlement qu’il subissait ainsi que sa famille, sont des exemples patents. 

La criminalisation graduelle du Hirak vise à faire admettre à la société l’hyper-violence comme moyen d’étouffement de la dynamique populaire. Elle est soutenue par des campagnes haineuses menées par des appareils médiatiques, des journalistes, des artistes et des universitaires à la solde du régime qui stigmatise le Hirak et justifie la nécessité de la répression. 

Cette criminalisation n’a pas épargné les manifestations estudiantines du mardi, véritable fer de lance moral et symbolique du Hirak depuis ses premiers jours. Lors du dernier mois, la police a musclé son dispositif sécuritaire pour empêcher les rassemblements à Alger-centre, tout en arrêtant plusieurs leaders du mouvement estudiantin par les mêmes procédés autoritaires. Des jeunes comme Imili Abdelli et Abdenour Aït Saïd sont régulièrement la cible des forces de l’ordre, tandis que d’autres comme le jeune Mahieddine Massoum sont en prison.

La criminalisation graduelle du Hirak a culminé avec l’adoption d’un discours juridico-bureaucratique qui justifie l’étranglement des manifestations. Le communiqué du ministère de l’Intérieur, publié dimanche 9 mai 2021, stipule que toute manifestation sera désormais interdite, si elle ne bénéficie pas d’une autorisation conditionnelle à la déclaration des noms des organisateurs, de l’itinéraire, de l’horaire, et, comble de l’absurde, des slogans des marches.

Au nom d’un formalisme légal sans fondement, contraire à l’article 52 de la Constitution acté sous l’ère Tebboune, ce communiqué va servir d’alibi pour justifier la répression généralisée du vendredi 117. Le « timing » de sa diffusion a été choisi pour profiter de la faible affluence des manifestants au deuxième jour de l’Aïd. Il est même légitime de s’interroger si, finalement, le changement d’itinéraire, opéré par les manifestants à Alger lors du vendredi 116 n’a été facilité, voire planifié, pour justifier l’empêchement des manifestations ultérieures. Ce nouveau glissement autoritaire obéit à une logique violente, maitrisée par la police politique, pour passer d’une criminalisation progressive du Hirak vers l’empêchement des manifestations pacifiques.

Soutien extérieur

Les préoccupations exprimées par le Haut-commissariat pour les Droits de l’Homme des Nations Unies le mardi 11 mai au sujet des dépassements et des violations commises en Algérie n’ont pas suffi pour changer la trajectoire répressive. L’ONU s’est contentée de demander aux autorités algériennes de mener des enquêtes « rapides, impartiales et efficaces sur toutes les allégations de violations des droits de l’homme», une requête qui restera, bien entendu, dans les tiroirs.  

Le silence des puissances internationales sur la répression et les violations de droits humains en Algérie, et à leur tête la France, si encline habituellement à défendre les idéaux démocratiques, donne une idée du soutien qu’elles apportent au régime algérien. Le brouhaha qui a entouré le report sine die de la 5ème session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien, prévu à Alger début avril dernier, ne doit pas induire en erreur sur le niveau de soutien apporté par Paris aux tenants du pouvoir en Algérie. D’ailleurs, la visite de la délégation militaire française n’a pas été annulée. Selon le communiqué du ministère de la défense nationale (MDN), le général de corps d’armée Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire, a reçu le 8 avril François Lecointre, chef d’état-major des armées françaises pour « discuter de l’état de la coopération militaire entre les deux pays et échanger les analyses et points de vue sur les questions d’intérêt commun ».  

La promulgation récente d’une convention d’extradition entre la France et l’Algérie, parue au journal officiel algérien le 12 mai, n’est pas un hasard de calendrier. Le 23 mars dernier, un mandat d’arrêt international a été lancé par le tribunal de Bir Mourad Raïs (Alger) contre quatre personnes jugées influentes sur le Hirak par les autorités (Mohamed Larbi Zitout, Hichem Aboud, Amir Boukhors et Abdellah Mohamed) et mis en cause dans une affaire d’« atteinte à la sécurité nationale ». Bien que l’article 4 de la convention n’autorise pas les extraditions pour motifs politiques, elle exclut du champ des infractions politiques celles « à caractère terroriste, pour lesquelles les deux parties ont l’obligation, en vertu d’un accord multilatéral, de soumettre le cas à leurs autorités compétentes pour décider des poursuites ou d’accorder l’extradition ».

Le passage en force du 12 juin

Avec un effectif policier imposant, une justice aux ordres et des appareils médiatiques propagandistes, s’attaquer aux marches pacifiques reste objectivement simple. Il suffit de préparer les esprits de la population à la gestion sécuritaire du Hirak, de déployer un discours qui justifie la répression, de donner les ordres aux forces de sécurité, de bloquer toute possibilité́ de diffusion d’images et de vidéos durant la répression et de terroriser les citoyens interpellés ou arrêtés. 

A moins d’un mois du scrutin électoral du 12 juin, cette tentative d’étranglement du Hirak est nécessaire pour un régime éreinté́ politiquement par la ténacité du mouvement populaire. Après le passage en force des élections contestées du 12 décembre et l’échec du référendum sur la Constitution du 1er novembre 2020, un troisième revers de suite serait un véritable suicide politique. 

Il faut rappeler que dès la décision de dissoudre l’Assemblée populaire nationale (APN) et d’organiser des élections législatives anticipées a été prise le 18 février, soit la veille du retour des marches. Ces élections ont été présentées à l’opinion nationale et internationale comme la réponse adéquate aux exigences de changement politique exprimé par la population.

Mais ces élections ne résolvent ni le problème de la représentation politique ni celui de l’adhésion populaire et, donc, la question du pouvoir. Pour le régime, elles doivent surtout servir à donner une « légitimité institutionnelle », non reconnue jusqu’à présent, en reconstituant une assemblée composée de pseudo-partis politiques issus d’un mix entre le « vieux monde » (FLN, RND et les partis satellitaires pro-régime) et une nouvelle clientèle jeune, sponsorisée et aux ordres, formant la façade civile d’un pouvoir toujours sous le contrôle militaire. Cette assemblée pourrait former à terme une sorte d’alliance présidentielle dans le même schème du règne de Bouteflika.

Cependant, l’organisation de ce scrutin ne s’est pas nécessairement passée comme prévu. Le régime a dû proroger les délais de dépôt des candidatures aux législatives de cinq jours, repoussant la date butoir du 22 au 27 avril, afin de d’élargir le champ de participation. Cette décision a été prise par ordonnance présidentielle, et ni la Présidence ni l’Autorité́ nationale indépendante des élections (ANIE) n’a vu la nécessité de la justifier. De même, la campagne électorale qui devait initialement débuter lundi 17 mai a été́ reportée au jeudi 20 mai. Elle est aussi la conséquence de retards administratifs et organisationnels, ce qui laisse trois semaines aux candidats pour mener une campagne illégitime dans des salles fermées et sous surveillance policière. 

En dépit de tout cela, peu d’Algériens, notamment ceux qui sont engagés dans le Hirak, se font d’illusions. Ils savent que les élections du régime auront lieu contre la volonté générale et dans des conditions antidémocratiques, où la pratique politique élémentaire est impossible. L’indifférence dans laquelle se prépare cette campagne et les retards cumulés à tous les niveaux suggèrent que la population s’exprimera encore par le refus silencieux. 

La répression, comble de l’échec

La répression généralisée du Hirak dans le contexte pré́-électoral en dit long sur l’incapacité du régime à apporter des réponses politiques face à la gravité de la crise. L’hyper-violence exercée lors du vendredi 117 est révélatrice d’un mal profond au sein des structures de l’État : a) une asthénie inquiétante frappe l’ingénierie politique du régime (Political engineering), puisque les institutions chargées de donner des prospectives et un cap à l’État sont inaudibles ; b) l’incapacité du régime à s’échapper au schéma contre-productif de la gestion « sécuritaro-policière» du Hirak. Cette réalité se nomme en science politique la dépendance au sentier (path dependecy). Au-delà du rapport de forces entre le Hirak et le régime, cette double incapacité est l’expression la plus brute de la fragilité de l’État.

À contrario de la doxa dominante, le slogan « moukhabarat irhabiya, tasqout el mafia el askariya », entré dans les manifestations concomitamment aux révélations de torture et de violations de droits humains, a touché le cœur de la matrice répressive. Ce slogan ne menace pas l’État, il dit dans un langage populaire que ce sont les institutions de l’État, sous contrôle d’un groupe d’individus, qui terrorisent la population et empêchent l’expression citoyenne.

Par la propagande autour de la « rachadisation » et de la « makisation » du Hirak –deux organisations classées terroristes depuis ce 18 mai 2021–, le régime a voulu amalgamer deux mouvements complètement différents pour en faire un « extrême commun ». Or, le Hirak n’est pas dupe. Le MAK est en dehors du champ du mouvement populaire, car porteur d’un projet aux antipodes de ses objectifs.

Démuni face à la dynamique de la société, le régime tend vers l’instauration d’un « état d’exception » de fait. C’est-à-dire, d’une situation où le droit est suspendu au nom du caractère « nécessaire » de l’exception, comme étant à la fois le déclencheur, la justification et la limite même d’une telle situation. L’Algérie se trouve aux portes de ce régime d’exception, sans que le système au pouvoir ne le désigne ainsi.

Plus de deux années après le début du Hirak, cette fuite en avant met l’État et la population en danger. Chaque jour, l’étranglement du mouvement populaire accentue les lignes de fracture entre les citoyens et les institutions de l’État, conduisant à des risques sur la stabilité et la souveraineté́ du pays. Ainsi, le coût du non-changement devient un véritable fardeau sur l’État dans un contexte national et international des plus incertains.

Le vendredi 117 a montré que l’idée de la « sylimya » s’est fortement ancrée dans la conscience collective de la société malgré l’hyper-violence. Elle n’est pas seulement une attitude individuelle, mais elle est vécue par les citoyens comme une posture politique et la voie la moins coûteuse pour sauver le pays. C’est toute la société algérienne qui devra trouver en elle les ressorts pour éviter la répression généralisée en donnant davantage de profondeur politique au mouvement populaire et en poursuivant la lutte pacifique contre un système aux abois.