L’importation de 10 000 bus pour renouveler un parc vieillissant, dont près de 8 600 véhicules ont plus de trente ans, et une opération lourde. Cette décision, prise à la suite du drame d’El Harrach, répond à une urgence sécuritaire et sociale. Mais elle révèle surtout les fragilités d’un secteur laissé sans véritable pilotage depuis plus de trois décennies.
La fourniture des bus devrait se faire sous la houlette de la SNVI, avec un mélange d’importations et de productions locales. D’où la présence du directeur des fabrications militaires lors de la réunion consacrée à ce dossier. Il s’agit d’impliquer l’appareil d’État et de ses industries stratégiques. Reste que, dans un marché mondial où l’on fabrique environ 650 000 bus et autocars par an, dont la moitié en électriques, les marges de manœuvre ne sont pas infinies. Les constructeurs européens, tel Mercedes, produisent à peine 6 000 unités par an, tandis que le chinois Yutong en sort près de 8 000 par mois, moitié thermiques, moitié électriques.
Cette évolution impose une réflexion d’avenir. Miser exclusivement sur le thermique reviendrait à ignorer la transition énergétique en cours. L’Algérie gagnerait à introduire, dès aujourd’hui, une part significative de bus électriques, notamment pour l’ETUSA, seule entreprise capable d’assurer l’entretien et la recharge d’une telle flotte. Certes, l’investissement est plus lourd, mais il préparerait le pays à l’inévitable mutation des transports urbains.
Le casse-tête du financement
Le financement constitue un autre nœud du problème. Les particuliers ou petits opérateurs privés, incapables d’entretenir leurs vieux bus, ne peuvent en aucun cas absorber une telle charge. Le salut viendra de commandes globales, portées par des entreprises publiques, soutenues par le Trésor, et éventuellement complétées par des flottes privées structurées et capables de gérer des crédits bancaires de grande ampleur. Laisser le marché fragmenté et importer de manière désordonnée reviendrait à créer un parc hétérogène, difficile à maintenir et à approvisionner en pièces détachées.
Or, c’est bien là une des grandes failles du secteur : l’absence de politique claire depuis les années 1990. Sans schéma directeur, les importations se sont faites par à-coups, sans stratégie de renouvellement, laissant le parc national se dégrader. Être réactif est nécessaire, mais seule une approche prospective permettra d’éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. Il faut repenser l’organisation : grandes entreprises pour les centres urbains, structures plus modestes au niveau des autres wilayas ou du privé pour le rural, afin d’assurer une couverture équilibrée et efficace.
À court terme, le renforcement du contrôle technique est indispensable. Des mesures plus restrictives doivent immobiliser les engins les plus dangereux. Mais, la libéralisation du marché des pièces détachées apparaît également cruciale : immobiliser des bus faute de pièces reviendrait à immobiliser des millions de citoyens dépendants de ce seul moyen de transport.
Un autre dossier explosif, les camions
Enfin, un autre chantier attend : celui des poids lourds. Le parc compte près de 600 000 camions, souvent vétustes, conduits par des chauffeurs parfois aussi peu fiables que leurs engins. Ils représentent un danger au moins aussi important que les bus. L’instauration de balises GPS obligatoires pour un suivi en temps réel constituerait un pas décisif, autant pour la sécurité que pour les statistiques et la fiscalité.
En vérité, le renouvellement de 10 000 bus ne suffira pas à lui seul. Il faudra surtout rompre avec trois décennies d’improvisation, et inscrire le transport routier algérien dans une logique prospective, mêlant sécurité, modernisation industrielle et transition énergétique.