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Zaki Hannache : «Dans l’équipe du Hirak, je suis milieu défensif »

Zaki Hanache raconte à Twala son chemin, d'un "jeune apolitique" avant le Hirak à un militant très actif. Portrait.


Vous le trouverez devant les tribunaux, dans les rassemblements,  son nom apposé au bas de centaines de messages sur les réseaux sociaux, le désignant comme une source d’information du Hirak.

«Twala» s’est approché de Zaki Hannache, l’une des plus importantes  figures qui suivent de près les affaires des détenus d’opinion et des   personnes arrêtées lors des manifestations, dans toutes les wilayas du pays.


Tout a commencé  avec le mouvement populaire en février 2019 : « Ce mouvement a représenté pour moi,  dit Zaki, un facteur fondamental dans l’éveil de ma conscience, au même titre que celle de la marche du peuple et du Hirak. J’ai très vite compris que le problème remonte à très loin, au moins à 1962. J’ai alors cherché à comprendre ce que j’avais raté, en plongeant dans l’Histoire du mouvement national ainsi que celles des luttes démocratiques et des expériences passées qui ont été éludées des manuels scolaires ».


« J’ai ressenti un énorme vide », ajoute-t-il.


Comme la grande majorité des jeunes algériens, Zaki, natif de Béjaïa en 1987 et travaillant dans une entreprise nationale affiliée à Sonelgaz, ne  s’intéressait à la politique, ou moins dans ses formes classiques. « J’étais apolitique avant l’avènement du Hirak, confesse-t-il. Devant les problèmes des jeunes, du pays de façon générale ainsi que les portes irrémédiablement fermées, je préférais regarder des matchs de football en réfléchissant à quitter le pays ».


Zaki se rappelle d’événements symboliques qui l’ont affecté avant le début du mouvement: « J’ai fait la connaissance de deux amis du Burkina Faso lors de nos études à l’Institut technologique de maintenance électromécanique…Lors des manifestations dans leur pays contre l’ancien président ‘Blaise Compaoré, ils ont brandi une pancarte ; « nous ne sommes pas des Algériens » (en référence aux règnes successifs d’Abdelaziz Bouteflika). J’ai senti  que ma dignité était au plus bas ».


Puis vint le mois de février 2019, faisant accroître sa dignité: « J’ai eu honte de ne pas avoir participé au premier vendredi, dit-il, mais le deuxième vendredi, j’ai senti une colère écrasante quitter mon corps à Biskra. La  peur était mêlée à une attente fébrile. En fin de compte, les gens sont sortis manifester car ils en avaient assez de la situation ».


Zaki explique comment il est passé de manifestant, comme beaucoup de jeunes hommes, à un élément proche des familles des détenus jusqu’à devenir, deux ans plus tard, une source constante d’informations chaque fois qu’il s’agit d’une arrestation, d’un dépôt ou d’un jugement.


« Ce qui m’a poussé à m’intéresser à ce dossier, souligne-t-il, ce sont les familles des détenus. Elles ont été beaucoup affectées, et j’ai été sensible à leur tragédie. Qu’un jeune sorti manifester soit jeté en prison à cause d’un avis ou d’un drapeau amazigh, ceci ne peut être inscrit dans l’ordre des choses ».


Sur le terrain, nous explique Zaki,  il a commencé avec  d’autres jeunes à collecter des informations sur les détenus, en particulier après le début des arrestations généralisées en juin 2019: « J’ai travaillé avec le Réseau de lutte contre la répression, avec des journalistes, des avocats et des militants,  que j’ai connu grâce à un ami suite à la mort de Kameleddine Fekhar en prison. J’ai été encadré par des personnes formidables et j’ai pu développer mes connaissances et mes réseaux  avec les avocats et tous ceux qui rapportent les arrestations. J’ai appris comment afficher les informations sur la page, en suivant le développement des événements ».


Notre interlocuteur a continué à rechercher des informations sur les détenus du Hirak, même après avoir quitté le Réseau. « En janvier 2020, je me suis retiré du ‘Réseau contre répression’ pour des raisons personnelles.  Cela ne m’a pas empêché de continuer à m’occuper des détenus, et grâce aux connaissances que j’ai acquises lors de nos précédents travaux collectifs et de mes contacts avec les avocats, j’ai appris quelques bases juridiques. Les détenus du Hirak sont confrontés aux mêmes chefs d’accusation qui renvoient aux mêmes articles juridiques … je suis devenu, au fil du temps, la personne qui signale les arrestations ».


Même si Zaki signale les arrestations sur son compte Facebook, il dit ne pas chercher une renommée  pour ce travail. « Je veux transmettre des informations et mettre en lumière les affaires des détenus …tous sans exception, quelle que soit leur orientation idéologique », glisse-t-il.


Concernant les risques qu’il entreprend, Zaki répond: « Franchement, je n’ai eu aucun problème avec les autorités. Ils ne sont pas venus chez moi et personne ne m’a menacé. Mais je reste sur mes gardes. Quand je publie les informations sur ma page, j’essaye de les publier brutes et de manière objective, sans les interférer avec mes interprétations ».


Et Zaki poursuit : « Avec le temps, et grâce à ma modeste expérience, j’ai appris que le Pouvoir a peur de trois choses: les universitaires, la prise de conscience des classes populaires ainsi que l’unité et le pacifisme du mouvement. Toute critique du Pouvoir devient une menace pour l’unité de la nation ».


Malgré cela, notre interlocuteur explique: « Il m’arrive, cependant, d’enfreindre cette règle et d’écrire mes positions. J’essaye de le faire intelligemment, car je pense comprendre comment on atterrit en prison ».

Usant d’une image footballistique, Zaki décrit son rôle dans le Mouvement en ces mots : « Je peux dire que dans l’équipe du Hirak, je suis un milieu défensif. Je travaille dans l’ombre,  protégeant la défense et laissant  l’attaque à ceux qui critiquent le Pouvoir ».

Le jeune défenseur des droits humains estime que chacun doit jouer son rôle dans le mouvement, « selon ses capacités, bien sûr », nuance-t-il. « Parce que le Hirak est un mouvement de pression pacifique pour un changement radical de régime, et les marches restent une manifestation de ce mouvement et l’un des aspects de la poursuite de la pression ».

Il nous raconte une journée type d’un collecteur d’informations sur les détenus du Hirak : « Je fais ce travail avec sérieux et persévérance, y consacrant  une bonne  partie de mon temps. J’ai une banque de données que je mets à jour régulièrement.  J’utilise également des textes pré-préparés pour signaler une arrestation ou une libération, de sorte que mes publications et mes textes  restent cohérents ».

 « Évidemment, dit-il, j’ai moi aussi des doutes quant à certains verdicts, mais quand je suis devant les tribunaux et que je suis témoin de l’humiliation et de l’injustice des condamnations, je sais que tout est possible. C’est ce qui accroît ma détermination ».


Il livre son analyse sur les vagues de libération de détenus que le mouvement populaire a connus au cours des deux dernières années: « D’après mon expérience, le nombre de détenus libérés, ou de ceux qui sont placés en détention provisoire, diminue et augmente selon la situation politique dans le pays. Les récentes libérations sont similaires à ce qui s’est passé le 2 janvier 2020 (74 prisonniers d’opinion avaient été libérés). Que s’est-il passé par la suite? Les arrestations ont-elles cessé? Non, bien sûr, il y a encore 28 détenus d’opinion en la prison, et il est possible que les arrestations augmentent avec la législatives qui approchent, car le régime ne veut pas changer ses méthodes, et son approche du mouvement, s’efforçant ainsi de l’étouffer et de le criminaliser ».

Zaki Hannache estime le changement passe inévitablement par « un changement radical du régime, pour résoudre les problèmes du pays ». « C’est une tâche importante qui ne peut être accomplie en quelques mois, car il s’agit d’un parcours pacifique de longue haleine. Le régime est profondément enraciné et le déplacer de sa place est une tâche extrêmement ardue ».


Il poursuit: « Je pense que travailler pour le bien commun et adopter le pacifisme comme approche du mouvement populaire portera ses fruits, même après des années. Prenons mon cas comme exemple. Je suis sorti pour contribuer à un changement radical du pays, alors j’ai changé radicalement ».