Chargement ...

Crise de liquidités : l’héritage de Bouteflika en écho à l’absence de vision sous Tebboune

En analysant la politique de la Banque d’Algérie en direction du système bancaire sous Bouteflika (1999-2019), l’économiste Fatiha Talahite propose dans cet article un tour d’horizon des origines de la crise de liquidités.


Photo de Samir Sid

Une monnaie souveraine, pour un Etat, est celle qui lui permet de payer ses dettes, non seulement à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur, ce qui inclut les importations. Mais dans les faits, seuls les pays à devises fortes ont ce privilège, en premier lieu les Etats-Unis dont le dollar sert de monnaie internationale[1], et dans une moindre mesure, les pays de l’OCDE (UE, Royaume Uni, Japon, Canada, Australie, Suisse, etc.) qui ont les moyens d’assurer la convertibilité de leur monnaie.

Les pays dont la monnaie n’a de valeur que sur le territoire national ne peuvent garantir sa convertibilité, sans prendre le risque d’épuiser rapidement leurs réserves de change. Ces pays doivent constituer des réserves en devises pour payer leurs importations et leur dette extérieure. Le montant de ces dernières dépend de la valeur des devises fortes, et par conséquent, de la politique monétaire des pays à monnaies fortes, en premier lieu, celle de la Federal Reserve américaine (Fed).

Ainsi, c’est une illusion de croire que pour conquérir la souveraineté monétaire, il suffit à un Etat de créer sa propre monnaie. C’est d’ailleurs parfois le contraire, lorsque le renoncement d’un Etat à sa propre monnaie accroit paradoxalement sa souveraineté monétaire. La création d’unions monétaires permet d’élargir le champ de validité d’une monnaie, comme dans le cas de l’Union européenne, dont les échanges et les dettes intra-UE sont libellés en euros. 

Ceci pour expliquer que lorsque l’Algérie exporte des biens (essentiellement du pétrole et du gaz) en contrepartie de devises (généralement des dollars ou des euros), la Banque d’Algérie (BA) conserve ces devises sous forme de réserves de change, et elle en donne la contrepartie en dinar aux entreprises exportatrices (principalement la Sonatrach), ainsi qu’au Trésor Public pour ce qui est de la partie prélevée sous forme de fiscalité pétrolière. Ce faisant, la Banque d’Algérie crée des dinars.

Cette création de dinars se fait d’abord par une simple écriture sur les comptes des banques et du Trésor auprès de la BA. Mais à partir du moment où cet argent se met à circuler dans l’économie (lorsque la Sonatrach et le Trésor paient des salaires, achètent des biens et services sur le marché national), la BA doit émettre de la monnaie fiduciaire (pièces et billets) pour satisfaire les besoins de la circulation monétaire. Cette masse de monnaie fiduciaire gonfle lorsque le montant des exportations augmente.

Le mécanisme inverse se produit lorsque l’Algérie importe des biens et services, les destinataires des importations devant donner à la BA des dinars contre les produits importés. Ces dinars refluent ainsi vers la Banque d’Algérie, ce qui équivaut à une destruction de dinars. Lorsque les importations et les exportations sont équilibrées, ces flux s’annulent et ne devraient pas avoir d’impact important sur la masse monétaire.

L’interruption et l’inachèvement de la réforme Hamrouche (1988-1991) se sont soldés par le démantèlement des constructions de la période socialiste et la réactualisation de la matrice institutionnelle coloniale.

Ce qui s’est passé en Algérie, ces dernières années, c’est que lorsque les exportations d’hydrocarbures gonflent en valeur, cela provoque un excès de liquidité dans les banques et plus largement dans l’économie et lorsque les prix du pétrole chutent, cela débouche sur une pénurie de liquidité. Avant de décrire la manière dont les autorités monétaires ont fait face à ce phénomène, il faut essayer d’en expliquer la cause.

En principe, dans une économie comme celle que l’Algérie a prise comme modèle, disons depuis le début des réformes, à la fin des années 80, la création de monnaie se fait principalement par l’activité de crédit.

Le mécanisme est le suivant : en accordant des crédits aux entreprises productives, les banques créent de la monnaie scripturale ex nihilo, ce qui signifie qu’elles vont accorder plus de crédits qu’elles n’ont de réserves (dans les limites du taux de réserves obligatoires fixé par la BA), sachant que l’argent rentrera au fur et à mesure que les bénéficiaires de ces crédits les rembourseront augmentés des intérêts, ce qui permettra aux banques d’accorder de nouveaux crédits. Elles fourniront aussi des crédits à la consommation, ce qui aidera les entreprises à écouler leur production.

Lorsque cette dynamique dite du multiplicateur du crédit fonctionne, c’est-à-dire lorsque l’activité de crédit débouche effectivement sur une augmentation de la production qui trouve une demande solvable sur le marché, la demande de monnaie va augmenter, et donc la Banque centrale émettra de la monnaie pour répondre aux besoins de la circulation fiduciaire. Bien sûr, ce mécanisme n’est jamais parfait et il y a des ajustements à faire, ce qui est précisément le rôle de la Banque centrale, à travers la politique monétaire.

La Banque centrale dispose d’instruments de politique monétaire lui permettant de piloter les banques afin qu’elles mènent une politique de crédit favorable à la croissance économique tout en gérant les risques auxquels elles s’exposent. 

En Algérie, les banques ne jouent pas ce rôle. Les banques commerciales, qui sont majoritairement des banques publiques, n’accordent pas suffisamment de crédits à l’économie, en quantité et en qualité, ce qui est pourtant leur mission, ou si elles le font, c’est sous l’injonction voire la contrainte du politique et non selon des critères économiques et financiers. Et ce, malgré des réformes initiées depuis plus de 30 ans pour rendre ce système bancaire plus performant.

Pourquoi ces réformes ne débouchent-elles pas sur un système bancaire performant ?