Chargement ...

Crise de liquidités : l’héritage de Bouteflika en écho à l’absence de vision sous Tebboune

En analysant la politique de la Banque d’Algérie en direction du système bancaire sous Bouteflika (1999-2019), l’économiste Fatiha Talahite propose dans cet article un tour d’horizon des origines de la crise de liquidités.


Photo de Samir Sid

Accumulation des excédents de la fiscalité pétrolière

Il semble que c’était plus une politique par défaut. Le système bancaire étant incapable de transmettre des mesures de politique monétaire à la croissance et à l’emploi, et la réforme de ce système étant en panne pour des raisons politiques, il ne restait qu’à adopter des normes prudentielles sévères, pour éviter tout dérapage de grande ampleur du crédit, et une politique « orthodoxe » de ciblage de l’inflation, afin de stabiliser l’environnement économique et rassurer les consommateurs, faute de pouvoir créer des emplois. Durant toute cette période, le dispositif de réescompte est mis en veille. Ni le marché interbancaire ni l’open market n’ont fonctionné.

À partir de 2014, suite à la chute du prix du pétrole, le retournement brutal de conjoncture se traduit par l’inversion de la donne monétaire, l’argent du pétrole n’entre plus dans les banques, qui se mettent à manquer de liquidités.

En effet, la baisse drastique des revenus d’exportation a pour double effet de réduire les réserves en devises et de gripper le principal moteur de la création monétaire, la contrepartie en dinars des revenus extérieurs, mettant ainsi les banques en situation de sous-liquidité quasi structurelle. Les autorités monétaires ont procédé à des dépréciations régulières du dinar, sans toutefois aller jusqu’à une dévaluation, comme le leur conseillait le FMI.

Par ailleurs, la Banque d’Algérie prend des mesures visant à faciliter le refinancement des banques et à fluidifier leur liquidité : baisse du taux de réserves obligatoires de 12 à 8% en 2014, refinancement des effets publics supérieurs à 3 ans, réescompte d’effets privés (le taux de réescompte passe de 4 à 3,5% en 2015).

En 2016, la gestion orthodoxe du dinar est abandonnée. Cette décision est favorisée par le fait qu’au niveau international, nombreuses sont les banques centrales, en premier lieu la Fed et la BCE, qui ont adopté des politiques monétaires dites « accommodantes » pour soutenir leurs économies. La Banque d’Algérie s’est engouffrée dans cette brèche ouverte dans l’orthodoxie monétaire.

Mais, cette politique non conventionnelle d’assouplissement qualitatif trouve vite ses limites dans la rigidité du système bancaire. Parmi les obstacles à la transmission de ces mesures sur le volume et la qualité du crédit, l’absence d’un véritable marché du crédit et les délais tardifs de réaction des agents économiques qui font que ces instruments peuvent mettre trois ans avant d’avoir un impact, ce qui les rend inefficaces à réagir à la conjoncture, voire susceptibles d’avoir des effets retardés contraires à ceux recherchés.

La BA tente sans grand succès d’inciter les banques à recourir au marché interbancaire et à l’open market.  Du fait d’une longue période de surliquidités, les banquiers publics manquent d’expertise dans le maniement de ces instruments, mais surtout, la pénurie de liquidités touche tout le système et nécessite des mesures plus profondes. Pour attirer l’argent vers les banques, un programme de mise en conformité fiscale volontaire est lancé début août 2016.

Visant l’argent de l’informel, il accordait une sorte d’amnistie fiscale aux fraudeurs afin qu’ils placent leur argent dans les banques à des taux qui se voulaient attractifs. L’État a aussi lancé un emprunt obligataire national de grande ampleur, et annoncé un emprunt islamique (sukuk) baptisé « emprunt participatif ».

Enfin, les autorités multiplient les contraintes administratives dans le seul but de faire entrer de l’argent dans les banques, aggravant par là les distorsions de marché et approfondissant la défiance des agents économiques.

Ces mesures ont été un échec, pour deux raisons principales : la première a trait à la profonde crise de confiance entre les agents économiques d’un côté, l’État et le système bancaire de l’autre ; la seconde est le fait que les autorités ont probablement surestimé l’importance de l’épargne liquide thésaurisée par les agents économiques, la crise de liquidité provenant avant tout de la baisse des recettes pétrolières et de leur contrepartie en dinars. Elle touche aussi l’économie informelle dans laquelle, contrairement à une idée reçue, le dinar n’est pas thésaurisé mais circule activement.

En effet, la pénurie de dinars est due au déficit du compte courant de la balance des paiements. Les réserves de change sont passées de 194 mds $ en décembre 2013 à 102 mds à début novembre 2017, soit une baisse de 92 mds $. Cela signifie que la contrepartie en dinars de ces devises a été détruite.

À partir de 2017, et malgré les mises en garde de nombreux analystes économiques et financiers, la politique de financement non conventionnel franchit le pas du quantitative easing (assouplissement quantitatif), en d’autres termes la planche à billets. Il faut noter que cette émission monétaire n’a pas provoqué dans l’immédiat les effets redoutés en termes d’inflation, probablement parce qu’il y avait un réel besoin de monnaie pour la circulation. L’augmentation de l’inflation, surtout en 2021, est plus largement le résultat de la dépréciation du dinar, entrainant un renchérissement des importations (produits finis et intrants).

Les deux autres solutions envisagées sont une dévaluation de la monnaie et l’endettement externe, tabou du règne de Bouteflika. Paralysé par la crise politique ayant conduit à la démission de Bouteflika en avril 2019 et l’organisation d’une élection présidentielle largement contestée neuf mois après, le gouvernement n’a défini aucune politique monétaire lisible. Cette période a été marquée par une instabilité de la gouvernance de la Banque d’Algérie, qui a connu trois gouverneurs entre mai 2016 et novembre 2019[2]

Nous avons abordé la politique monétaire menée par la Banque d’Algérie en direction du système bancaire, mais ceci n’est que la face visible de l’iceberg. En réalité, si la Banque d’Algérie a servi d’interface formelle avec les IFI (FMI et BM), dont elle semble appliquer les conseils à la lettre, une grande part du pouvoir monétaire s’est déplacé vers un compte spécial du Trésor, le FRR, dont la gestion est opaque. Le FRR a renforcé le poids financier du Trésor public par l’accumulation des excédents de la fiscalité pétrolière, lui permettant ainsi de contourner les contraintes de la politique monétaire.


[1] Bien que ce rôle soit affaibli par l’utilisation croissante d’autres monnaies par les banques centrales pour réaliser des opérations internationales. D’après une enquête du FMI, la part des réserves en dollars détenues par les banques centrales a chuté à 59 % au cours du quatrième trimestre 2020, son niveau le plus faible des 25 dernières années. https://www.imf.org/fr/News/Articles/2021/05/05/blog-us-dollar-share-of-global-foreign-exchange-reserves-drops-to-25-year-low

[2] Cette instabilité contraste avec la stabilité de la période précédente, avec le même gouverneur de 2001 à 2016.

1 2 3