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Crise de liquidités : l’héritage de Bouteflika en écho à l’absence de vision sous Tebboune

En analysant la politique de la Banque d’Algérie en direction du système bancaire sous Bouteflika (1999-2019), l’économiste Fatiha Talahite propose dans cet article un tour d’horizon des origines de la crise de liquidités.


Photo de Samir Sid

L’abandon des réformes réactualise la matrice coloniale

Il serait trop long dans le cadre de cet article d’entrer dans le détail des dysfonctionnements du système bancaire algérien. Pour certains, c’est juste un problème de gouvernance des banques. Pour d’autres, ce modèle de banque commerciale ne peut fonctionner tant que la propriété du capital reste publique, car elles continuent à être gérées de manière administrative et non selon des critères de rentabilité financière. Surtout depuis que l’Etat a abandonné tout projet de développement à long terme et se contente de gérer les affaires courantes.

Cette gestion des banques peut dériver vers leur soumission à des intérêts privés lorsque ceux-ci investissent les institutions de l’Etat, comme l’ont révélé les procès pour corruption qui ont suivi la chute de Bouteflika. Ils proposent donc de privatiser ces banques, du moins partiellement, l’Etat pouvant rester propriétaire d’une part du capital.

Cependant, cette question de privatisation n’est pas simple et ne peut se régler de manière technique. Elle est éminemment politique. Car même si les nouveaux actionnaires apportent leurs propres fonds, entrer dans le capital d’une banque donne un pouvoir à la fois économique et financier, qui est amené à devenir aussi politique. Lorsqu’il y a collusion entre le pouvoir politique et les détenteurs de capitaux, l’ouverture des banques publiques au capital privé ne remet pas fondamentalement en cause la distribution du pouvoir politique. Il faut croire qu’en Algérie cela n’est pas (encore) le cas. Nous pouvons ainsi avancer sans trop nous tromper que pendant cette période, les autorités ont gelé la réforme du système bancaire parce qu’elle aurait signifié la perte de leur contrôle sur les ressources des banques.

Cependant, ce constat n’épuise pas la question du contenu à donner à cette réforme. À ce propos, une petite digression s’impose sur ce que l’on appelle la « transition vers l’économie de marché », qui se présente en grande partie comme le passage de la propriété publique (étatique) des grands moyens de production (entreprises, banques) à la propriété privée, passage encadré par un changement institutionnel.

Si l’on regarde les pays qui ont opéré une telle transition, la plupart sont revenus aux institutions, incluant les droits de propriété, qui existaient avant le socialisme, qu’ils ont bien sûr modernisés. Ceux qui sont entrés dans l’UE ont dû adopter l’« acquis communautaire ».

Qu’en est-il de l’Algérie, où retourner aux institutions qui existaient avant la transformation socialiste signifie le retour aux institutions coloniales ? Ce n’est pas l’objet de cet article, mais il faudrait s’interroger sur cet héritage colonial et ce qu’il est devenu dans l’Algérie postcoloniale. Dans quelle mesure l’« option socialiste » a-t-elle transformé ces institutions? Et qu’en est-il resté ?

Les autorités multiplient les contraintes administratives dans le seul but de faire entrer de l’argent dans les banques, aggravant par là les distorsions de marché et approfondissant la défiance des agents économiques

De ce point de vue, on pourrait voir la réforme de Hamrouche (1988-91) comme une tentative de « mise à niveau » de ce système hérité de la colonisation, dans le but de l’adapter et de le moderniser, en rattrapant notamment les changements institutionnels qui ont eu lieu en France depuis l’indépendance de l’Algérie. L’interruption et l’inachèvement de cette réforme s’étant soldés par le démantèlement des constructions de la période « socialiste » et la réactualisation de la matrice institutionnelle coloniale.

Nous pouvons nous dire que l’afflux des revenus des hydrocarbures dans les banques aurait dû être favorable à l’octroi de crédits, les banques disposant ainsi de ressources importantes. Pourtant, à partir de 2002, nous avons assisté à une surliquidité chronique du système bancaire. En gros, cet argent n’a pas été absorbé par l’économie.

La cause n’en est pas seulement la défaillance du système bancaire dans l’allocation du crédit. C’est aussi le fait que ces revenus étant quasiment concentrés dans les comptes d’une seule entreprise étatique, la Sonatrach et ses filiales, les banques ne pouvaient pas prendre la responsabilité de le placer dans des crédits potentiellement risqués. C’est là qu’auraient dû intervenir les marchés financiers, où le détenteur de capital prend directement le risque de ses placements, ce qui soulève une autre question, celle du faible développement de la Bourse, mais aussi le fait que Sonatrach, douzième entreprise mondiale du secteur des hydrocarbures, est bridée dans son expansion à l’international.

Pour faire face à cette situation, potentiellement inflationniste, la Banque d’Algérie a mené une politique de reprise de liquidités. En gros, elle proposait aux banques de reprendre leurs liquidités en excès en les rémunérant à un taux plus intéressant que celui auquel elles auraient prêté, avec le risque en moins. Cela revenait à sortir momentanément ces dinars de la circulation bancaire, conduisant à un cercle vicieux, dans la mesure où la politique de reprise de liquidités a contribué à limiter l’activité de crédit.

Cette politique a eu d’autres aspects pervers, car elle poussait à freiner l’entrée de devises, qui aurait aggravé la crise de surliquidité et au contraire à en favoriser la sortie. Ainsi peut s’expliquer le maintien de mesures visant à restreindre l’investissement étranger, comme la règle dite du 49/51 limitant la participation étrangère dans une société de droit algérien, le refus du gouvernement de recourir aux investissements étrangers pour réaliser son programme d’infrastructure, ou encore l’absence d’incitation à développer les exportations, si ce ne sont des incitations contraires, et ce malgré un discours encourageant leur diversification.

Quant aux mesures favorables à la sortie de capitaux, on peut considérer que le choix du gouvernement de financer sur fonds publics son programme d’investissements dans les infrastructures et de confier ces projets à des entreprises étrangères (notamment chinoises) dans le cadre de contrats de services allait dans ce sens. Allait aussi dans le même sens le gonflement de la facture des importations, sachant que, du point de vue monétaire, alors que les exportations conduisent à la création de dinars, toute importation équivaut à une destruction de dinars. Enfin, nombre de phénomènes attribués à la mauvaise gouvernance, l’incompétence et la corruption, notamment la surfacturation systématique des importations, témoignent pour le moins d’un laxisme des autorités face à des sorties massives de devises.

Mais, pourquoi la Banque d’Algérie a-t-elle mené une telle politique monétaire, visant presque exclusivement à juguler la crise de surliquidité ? N’y avait-il pas d’autres mesures à prendre, qui auraient été plus favorables à la croissance et au développement ?