Lorsque Nabil Mellah quitte la scène du Wikistage en décembre 2018, il le fera en « moonwalk » – le célèbre pas de danse de Mickael Jackson –, sous les rires et les applaudissements de l’assistance. Cela fait maintenant plus d’une année qu’il s’est éclipsé de la scène économique et médiatique pour cause de mise en détention dans l’attente d’un procès pour « infraction au règlement relatif au contrôle des changes » et « blanchiment d’argent » que lui intente le ministère de l’industrie pharmaceutique. Soudain, plus personne ne rit.
Nabil Mellah, 50 ans, a toujours été du genre à s’acquitter de l’exercice de communication avec plaisir, avec à l’appui des yeux rieurs et un ton badin, servant aux journalistes des anecdotes sur un plateau d’argent avec, en prime, un regard lucide sur la situation économique, le climat des affaires en Algérie ainsi que les aberrations administratives. Ses analyses sont souvent empreintes d’humour, entrecoupées d’un rire sonore et éclatant. Une « aisance » mâtinée d’audace, diront certains, de la « pure folie », penseront d’autres.
Il savait néanmoins que cette liberté de ton avait un prix. Après chaque intervention médiatique, ses administrateurs devaient se préparer à recevoir des agents des impôts ou du commerce. Aussi, disait-il veiller à « ne rien laisser au hasard et à respecter scrupuleusement les lois et la réglementation ».
Il distillait d’ailleurs des commentaires sur les autres hommes d’affaires qui ont choisi de se taire par peur de représailles ou par allégeance. Face aux nombreux écueils dressés devant eux, bon nombre d’investisseurs algériens n’ayant pas le courage du nombre, taisaient leurs souffrances. Aussi Nabil Mellah détonait-il dans le milieu des affaires en disant tout haut ce que les autres pensent tout bas. « Je fais partie de ces chiens qui aboient tout le temps », s’amuse-t-il à répéter.
Florilège : « Une fois, j’ai tenté d’appeler un cadre au niveau d’un ministère. Pas de réponse. J’ai rappelé 30 minutes plus tard. Et je me suis fait passer pour M. ‘’X’’ de l’Ambassade de France, on m’a passé immédiatement la personne. Eh bien moi, Nabil, l’Algérien, les cheveux crépus, les yeux marrons, le passeport vert, je me suis senti humilié », confiait-il dans une interview donnée à TSA en 2014.
« Dans ce pays où il y a deux catégories de personnes : les applaudis et ceux qui applaudissent », lançait-il dans l’une de ses récentes interventions sur Radio M.
« Il y a lieu, avant tout, de régler le problème politique pour pouvoir enfin travailler dans l’anticipation et dans la planification et non plus dans ce que j’appellerais l’improximation, ce savant mélange d’improvisation et d’approximation qui a coûté si cher à l’Algérie dans tous les domaines ces dernières années », assénait-il dans les colonnes d’El Watan en novembre 2019.
Lorsqu’à 16 ans, il obtient son baccalauréat avec mention très bien – faisant partie des jeunes bacheliers honorés par le chef de l’Etat d’alors, Chadli Bendjedid –, il se dirige vers des études de médecine qu’il achève à 23 ans
Très suivi sur les réseaux sociaux, il est l’inventeur du néologisme « tiribarkisme », très en vogue peu avant le Hirak notamment sur twitter, s’échinant à déceler chaque dérapage, chaque incongruité de l’Algérie de Bouteflika.
« C’est quelqu’un de brillant, un passionné, un amoureux de l’Algérie et de la liberté de la presse. Il est aussi un grand professionnel et un observateur sans concession de l’Algérie. Ses analyses sur la situation économique et politique ont toujours être très pertinentes et il a toujours essayé, sur Twitter et dans les médias, d’attirer l’attention sur les dérives du régime. Il appelle cela le tiribarkisme », nous explique Abdallah Benadouda, homme de radio et d’édition et ami d’enfance de Nabil Mellah.
Au même moment, Nabil Mellah avait intégré le mouvement « Mouwatana », aux côtés de l’avocate Zoubida Assoul, de l’homme politique Sofiane Djilali ou encore de la militante Amira Bouraoui, demandant à Abdelaziz Bouteflika à renoncer à un cinquième mandat. Le patron de Merinal est, par ailleurs un des actionnaires de la société Interface Media, qui édite notamment MaghrebEmergent et Radio M.
À l’origine de la success story
Fils d’un ancien moudjahid, ingénieur retraité de l’Armée nationale populaire (ANP) et d’une pharmacienne, Nabil Mellah qui grandit près d’Alger est élevé – selon ses propres mots – à la « bligha » (la claquette servant à taper les enfants, Ndlr).
« Je le connais depuis l’âge de 6 ans. Dès le départ, nous savions tous que Nabil était une personne douée d’une intelligence supérieure à la normale. J’étais jaloux et admiratif de ses résultats scolaires », narre Abdellah Benadouda.
Lorsqu’à 16 ans, il obtient son baccalauréat avec mention très bien – faisant partie des jeunes bacheliers honorés par le chef de l’État d’alors, Chadli Bendjedid –, il se dirige vers des études de médecine qu’il achève à 23 ans. Il reprend alors la pharmacie familiale de La Glacière (Bachdjerrah) pour développer son projet de création d’un laboratoire pharmaceutique.
La suite de la success story est connue : l’entreprise Merinal voit le jour en 1997, l’unité de production est construite en 1999, débutant l’activité sous licence en 2002 et lançant le premier générique en 2004. « Dès le démarrage de l’unité de production en 2002, Merinal a opté pour une stratégie de développement axée sur le générique et sur la constitution d’une gamme de produits appartenant à Merinal », est-il noté dans la présentation de l’entreprise rédigée par son département de la communication.
Nabil Mellah voulait que Merinal soit perçu d’abord et avant tout comme un producteur de médicaments, se projetant au-delà du marché algérien.
Il défendra bec et ongles les intérêts des producteurs nationaux, notamment au sein de l’Union nationale des opérateurs de pharmacie (UNOP) dont il sera secrétaire général pendant plus de dix ans, puis président de 2011 à 2013.
L’un de ses chevaux de bataille, au cours des années 2007 et 2008, était l’interdiction d’importation de tout médicament fabriqué par des entreprises locales. « C’est ce combat qui a donné l’impulsion décisive à notre activité et qui a fait qu’il existe aujourd’hui dans notre pays une industrie pharmaceutique solide et performante couvrant plus de 60% des besoins du marché national du médicament », précise l’UNOP dans un communiqué en soutien au patron de Merinal.
« Les Algériens ne s’aiment plus. Au lieu de chercher dans l’autre ce qui nous réunit, on cherche ce qui nous sépare ».
Nabil Mellah
Malgré tout, lorsqu’il quitte ses fonctions au sein de l’UNOP, il ne cache pas son désappointement. « En réalité, cela ne sert à rien disait-il, car le problème de l’Algérie n’est pas d’ordre économique, il est d’ordre politique ». « Nous pouvons faire les meilleures propositions, cela ne servirait à rien car le problème est ailleurs », affirmait-il en substance dans de nombreuses interventions médiatiques.
Son entreprise n’a pourtant cessé de prospérer, devenant au fil des ans, l’une des plus importantes de l’industrie pharmaceutique nationale, et pouvant se targuer de répondre aux standards internationaux.
Merinal est hissée au rang de troisième producteur de médicament sur le marché national en volume, après Sanofi et Saidal, mettant sur le marché annuellement plus de 50 millions d’unités vente, selon les statistiques publiées par l’entreprise tout en élargissant sa présence à l’international. La réussite du défi de l’exportation (vers dix pays africains) dès 2007 est due à la témérité et à l’ambition de son PDG.
Un nouvel investissement est consenti en 2019, en lançant une deuxième unité de production à Khemis El Khechna, présenté comme un des plus grands complexes pharmaceutiques du pays ayant une capacité de production de 150 millions de boîtes par an, et couvrant plusieurs spécialités pharmaceutiques dans différents domaines thérapeutiques (cardiologie, gynécologue, neurologie, psychiatrie…), dont une majeure partie sera dédiée à l’export.
À terme, ce complexe industriel de production et de distribution pharmaceutiques générera pas moins de 600 emplois directs (Merinal compte actuellement plus de 1000 collaborateurs).
Pour développer ses activités tout en préservant son indépendance, Nabil Mellah a dû jouer à l’équilibriste et à la politique « l’évitement ». Il a ainsi veillé à ce que le montant consenti ne dépasse pas les 5 milliards de dinars afin d’éviter que son entreprise tombe sous la férule du Conseil national de l’investissement (CNI).
« Le pouvoir du 9iw »
Merinal est également conventionnée avec plusieurs universités du pays, recevant et formant des centaines de stagiaires. Il se présente ainsi en jean et casquette à la rencontre « Wikistage Algiers » organisée à l’Opéra d’Alger, expliquant que la pire crise à laquelle pourrait être confrontée une entreprise – au-delà de la crise financière – serait « une crise de valeurs ».
Devant l’assistance, il mettra en avant les principales qualités que doit avoir un chef d’entreprise : la confiance, la bienveillance, l’exemplarité, l’humilité. « Notre objectif aujourd’hui est d’amener notre pays au plus haut possible, car j’espère que vous resterez en Algérie ! », lance-t-il aux étudiants venus nombreux pour l’écouter.
Il y affirmera que « l’humilité est un fondement de l’amélioration », fustigeant la « chitta » devenue selon lui une « valeur » dans la société algérienne. « Les Algériens ne s’aiment plus. Au lieu de chercher dans l’autre ce qui nous réunit, on cherche ce qui nous sépare », déplore-t-il. Il vante ce qu’il appelle « le pouvoir du 9iw » seul à même, selon lui, de dompter les égos démesurés.
Les préceptes invoqués dans sa conférence, Nabil Mellah tentera, selon ses collaborateurs, de les appliquer au sein de son entreprise. Les témoignages sur les valeurs humaines et l’amour que Nabil Mellah porte à l’Algérie sont légion. Abdelkrim Boudra, ancien porte-parole du collectif Nabni parle de Nabil Mellah comme d’un « exemple des entrepreneurs dont on rêve pour l’Algérie nouvelle ».
« Il a toujours été indépendant et critique. Alors qu’il était au FCE – quelque temps avant de démissionner –, il s’était opposé au plaidoyer de la suppression de l’IBS et de l’IRG pour les entreprises », relate-t-il. Et d’ajouter : « Nabil Mellah avait écrit pour exprimer son opposition, alors que cela lui coûtait des milliards. Il était aussi d’une grande humilité. Cette race d’entrepreneurs, il n’y en a pas beaucoup ! ».
Beaucoup de ses soutiens soulignent ainsi son engagement durant la crise sanitaire. « Nous tenons à rappeler que, lors de la dernière campagne de solidarité organisée par les autorités publiques pour faire face au sinistre occasionné par la pandémie de la Covid-19, l’entreprise Merinal a été en toute première ligne : la valeur financière de ses contributions, de différentes natures, a dépassé les 140 millions de dinars », selon le témoignage l’Union nationale des opérateurs de pharmacie.
Merinal a également parrainé l’escrimeuse, Meriem Mebarki en 2017 et qui a représenté l’Algérie aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021. Sur son site internet, Merinal fait sienne cette citation d’Albert Einstein : « N’essayez pas de devenir un homme de succès, mais plutôt de devenir un homme de valeur ».