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« Déclic », exposition vidéo et sonore: une bouffée d’art frais

« Déclic », une exposition d'art visuel et sonore, issue d'un programme de création artistique à l'attention des jeunes, a été présentée au public du 4 au 15 février, offrant aux visiteurs une bouffée d’art frais, laissant flamboyer la créativité et la subjectivité des artistes en herbe.


Photo : Les ateliers sauvages.

« Déclic », une exposition d’art visuel et sonore, fruit d’un travail d’un an avec des jeunes talents ayant la vingtaine, a été présentée à Alger du 4 au 15 février aux Ateliers Sauvages. Il s’agit là d’un programme d’initiation, de formation et de création artistique, mis en place dans le cadre du projet « Kayan » par le collectif « Mon Autre Ecole » et coordonné par les artistes Rima Djahnine et Rafik Ouadi.

Au cours des déambulations dans l’espace d’exposition, une première évidence apparaît : la préférence est donnée à l’art visuel. Ikram Abderrahim est la seule à monter une installation sonore tandis que Hamza Messaoudi allie les peintures à l’art visuel.

Une deuxième évidence suit : le corps est mis au centre des œuvres, la majorité ayant choisi de se mettre en scène. La volonté d’exorciser des épreuves vécues est aussi leur point commun.

Les jeunes artistes y présentent des œuvres intenses, faites d’images incisives, de récits qui font mal, de parcours escarpés. Les participants ont fait le choix de faire ressortir de la beauté à partir de leurs douleurs. De quoi interpeller les visiteurs dans la mesure où la moyenne d’âge des aspirants- artistes n’est que de 23 ans.

Inès Chikh, 23 ans, l’une des artistes exposantes commente cela en ses mots : « Je pense que la société algérienne a superposé énormément de traumas qui nous ont été transmis d’une certaine manière. Chacune de nos œuvres reflète cette transmission de violences. Cette violence, je la sens et je la vis tous les jours ».

Et Célia Mimoun de rebondir : « Le traitement de ces questions ne relève pas du choix mais du besoin dès lors qu’une porte permettant de s’exprimer nous a été ouverte. La thématique ne nous a pas été imposée, chacun d’entre nous est venu instinctivement avec ce besoin de s’exprimer et de se raconter ».

Et Hamza Messaoudi d’enchaîner : « Nous avons, en moyenne, tous la vingtaine et c’est, à mon avis, l’âge idéal pour travailler sur ces questionnements car ils commencent à émerger à cet âge. Avant cela, nous n’en avions pas certainement conscience de cette violence ». 

Emergence de l’individu dans l’art

Wassyla Tamzali, fondatrice des Ateliers Sauvages, en énonce ainsi le dessein : « Les différents sujets ne m’étonnent pas du tout. Cela fait quelque temps que l’on note dans la société algérienne, telle qu’elle est exprimée par les différentes formes d’art, un grand intérêt pour la chose minuscule : l’individu. Cela est fondamental car si l’on doit mettre l’art comme un indicateur de la société, cela nous renvoie à la place de la subjectivité dans l’art. cela est valable pour l’art visuel comme pour le cinéma. Il faut se rappeler que la sortie d’Omar Gatlato (de Merzak Allouache, ndlr) a été un choc pour tout le monde car pour la première fois, on nous racontait une histoire à la première personne ».

Et de poursuivre : « Cette subjectivité parait spontanée dans cette première expérience. Les artistes sont tombés dans la contemporanéité de l’art, s’exprimant dans une société qui se cherche. Il faut dire aujourd’hui que ‘‘Small is beautiful’’ dans le sens où c’est à partir de questions individuelles que l’on arrive à dire des choses. Il n’y a qu’à voir le roman aujourd’hui et le cinéma. La relève de ce post-art contemporain verra l’émergence de l’individu dans l’expression. Au final, c’est peut-être cela qui nous bloque et non pas l’histoire ni la politique. C’est l’intime qui nous fait peur ».

Ikram Abderrahim présente ainsi une installation sonore portant le titre « El Koutmane (Sans voix) » racontant avec pudeur et une sensibilité à fleur de peau des violences subies. Son travail se veut une traversée sonore qui a pour bout la libération de la parole. « Ce n’était pas tout le temps facile, confie-t-elle. J’ai eu des doutes, des moments où j’ai eu envie de quitter le programme mais Rima Djahnine (directrice artistique, ndlr) m’a toujours ramené vers l’essentiel, elle m’a beaucoup soutenue. C’était une expérience très intense d’autant que la thématique traitée n’est pas des plus aisées ».

Elle ajoute : « Cette expérience m’a permis d‘en parler plus librement (des violences, ndlr), notamment avec ma mère. Cela a cassé une certaine barrière (…) Je peux dire aujourd’hui que je ne suis plus la même personne depuis que j’ai intégré Déclic, j’ai l’impression d’avoir pris 10 ans, pas dans le sens de la maturité mais dans le sens introspectif, car cela a débloqué le mur que j’avais avec moi-même ».

Briser la barrière

Inès Chikh, 23 ans, a mis en place l’installation visuelle et sonore « L’Mraya (le miroir) » questionnant le rapport au corps féminin et son objectification. « En tant que femmes, l’on est, dès le plus jeune âge, victimes de l’hyper-sexualisation. L’on développe une relation très culpabilisante avec notre corps dans le sens où l’on pense que celui-ci engendre des choses malsaines. Ce projet m’a permis de me réapproprier mon corps et de me réconcilier avec lui ».

« Boudji », Yanis Boudjelal, 23 ans, auteur de « Tarewla » raconte sa fuite permanente face aux responsabilités. « Oui, je suis un fuyard, dit-il, j’ai du mal à assumer.  Le programme m’a redonné confiance ».

« Sam », Hamza Messaoudi présente dans « Poignant-Ire », un questionnement autour des mains et des émotions qu’elles charrient. « Mon projet est une introspection émotionnelle concernant l’amour, la colère et la connexion entre les autres et moi que j’essaye d’explorer à travers les mains, et de creuser plus profondément afin de comprendre le rapport aux autres », explique-t-il. 

Celia Mimoun, 25 ans interroge dans « Hiya, ana, hiya (elle, lui, elle) », le rapport mère-fille. « J’ai toujours eu le besoin d’exprimer ce lien conflictuel avec ma mère, on m’a soutenue et beaucoup accompagné pour parvenir à ce résultat », raconte-t-elle. « J’éprouve aujourd’hui beaucoup de fierté d’être venue à bout de ce projet, grâce à l’équipe du programme. Ma mère est venue à l’explosion, elle a pleuré. On a beaucoup mis dans ces œuvres, et ça m’a beaucoup apporté ».

« Zizou » Zineddine Rabai a essayé dans son œuvre « Thilissa » de repousser les frontières et les limites l’empêchant d’avancer. « C’est la première fois que je trouve du sens à faire quelque chose. Avant cela, j’étais un peu perdu puis j’ai décidé d’arrêter de me fixer des limites. Cela a été au cœur de mon travail. Le fait de participer de ce projet est une manière de briser une barrière ».

« Yann », Yanis Bouguellid, 21 ans, a présenté « Gatlato » qui se veut une réflexion sur la masculinité. « Le fait est, dit-il, qu’on est obligés d’être tels qu’ils nous perçoivent. Cela est valable pour les femmes et pour les hommes, pas de la même manière cependant ».

Un programme en plusieurs volets

La genèse du projet remonte à plusieurs années déjà, nous dit Rafik Ouadi, coordinateur du projet. « L’idée germait dans la tête de Rima Djahnine (artiste visuelle et directrice artistique du programme Declic, ndlr), désirant mettre en place un programme de formation pour les jeunes qui n’ont pas eu la possibilité de prendre part à une formation artistique. Les contours du programme ont été définis en décembre 2021 et il a été lancé le 5 janvier 2022 ».

Il s’agit donc d’un programme d’accompagnement et d’aide à la création dans l’art vidéo, se déclinant en plusieurs étapes. D’abord, il y a ce qui a été appelé « Le crachoir », où les participants devaient tout déballer afin de mieux structurer l’idée et y trouver une cohérence afin de passer au concept. Elle est suivie par des résidences immersives durant lesquelles les participants se concentrent sur le travail.

En parallèle, les artistes en devenir ont suivi des cours théoriques et pratiques autour de l’histoire de l’art, l’éthique ainsi que la préservation de soi. « Le fait est que les thématiques sont très personnelles, ils se questionnent par rapport à la société. Même si le travail est lié à un traumatisme, il fallait comprendre qu’il s’agit d’une œuvre qui nécessite une forme de détachement pour qu’elle ne soit pas nuisible à ses auteurs. C’est un travail qu’ils ont fait avec la réalisatrice Habiba Djahnine », explique Rafik Ouadi.

A cela s’ajoute une formation technique (opérée par Ager Oueslati pour l’image et Leila Berrato pour le son) ainsi que la sémiologie de l’image (par Rafik Ouadi).

Une préparation à la présentation a été organisée avant l’exposition, les confrontant à des personnes qui les questionnent et les font réfléchir par rapport à leur travail. La dernière étape, celle de la finalisation a été pilotée par  Amina Djahnine, cinéastes. Les concepteurs du projet ont également tenu à ce que les artistes en devenir participent à la scénographie de leurs œuvres.  La directrice artistique du projet, Rima Djahnine, a veillé à être présente aux côtés des artistes dans toutes les étapes, en tant que formatrice et afin de veiller à mettre cela en cohérence. 

« Il s’agit-là d’une phase pilote.  Le plus important est que les jeunes évoluent, qu’ils apprennent et qu’ils réalisent une première œuvre d’art », souligne Rafik Ouadi, précisant que le thème n’est pas imposé mais il faut néanmoins qu’elle ait un ancrage algérien.

D’ores et déjà, les initiateurs du programme réfléchissent à une seconde édition de Déclic. Un appel à participation sera lancé à cette occasion, donnant lieu à une sélection par un jury indépendant et permettant à d’autres jeunes, issus de plusieurs régions du pays, d’y participer.

« La préférence sera donnée aux personnes ayant un minimum de connaissances en dessin ou dans n’importe quel autre pratique d’art visuel. Les jeunes viennent ainsi avec une idée à développer », dit-il, en précisant que la réussite de cette édition doit beaucoup à la participation d’artistes confirmés et d’une équipe logistique dévouée.