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Armée : le rapport de force demeure figé à l’ère Ahmed Gaid Salah

Si la réintégration de quelques officiers généraux limogés dans la foulée de la dissolution de l’ancien Département de renseignement et de sécurité (DRS) suggère qu’il s’agit bien d’une tentative de recomposition de ce dernier, le rapport de force au sein de l’institution militaire demeure figé à l’ère Ahmed Gaid Salah.


Photo: ministère de la défense nationale.

En proie à l’instabilité depuis 2019, les trois principaux services de renseignement à savoir, la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), la Direction générale de sécurité intérieure (DGSI) et la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE) ont changé de main pour l’énième fois en cet été 2022.

Les trois directions ont été confiées à des officiers de renseignement rappelés de leurs retraites. Et, il reste encore un poste à pourvoir, celui de Directeur général de la lutte contre la subversion, service créé pour M’henna Djebbar avant qu’il soit propulsé DGDSE.

La dernière nomination en date est celle du général Abdelaziz Nouiouet Chouiter à la tête de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) en remplacement du général-major Sid Ali Ould Zemirli lequel avait démissionné suite à l’emprisonnement de son frère, également officier de renseignement, par la justice militaire.

Le nouveau DCSA est un ancien parachutiste qui a intégré la Sécurité de l’armée sur recommandation de l’ancien ministre de la défense nationale, le général Khaled Nezzar. Natif de Guelma, Chouiter a occupé plusieurs hautes fonctions au sein de la Sécurité de l’armée. Il a été directeur régional à Oran, puis à Blida, avant d’occuper le poste d’attaché de défense au Niger. Il a également été responsable de la Sécurité de l’armée au niveau des forces terrestres, avant de diriger l’école du renseignement de Béni-Messous.

La nomination de Chouiter contrarie la réintégration du général Abdelkader Ait Ouarabi alias Hassen, ancien chef de Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste (Scorat), destitué et emprisonné en 2015, et qui était pressenti à ce poste dans un schéma  global de recomposition de l’ancienne superstructure qui coiffait les services algériens de renseignement.

Cette recomposition, pilotée depuis la présidence de la République par le général Mansour Benamara alias Hadj Redouane, ancien directeur de cabinet du général Toufik et qui s’était fait nommer conseiller du président Tebboune en 2020, avait commencé par la libération de l’ancien chef du Département de renseignement et de sécurité (DRS), le général de corps d’armée Mohamed Mediene dit Toufik et M’henna Djebbar et l’acquittement de Hassen et Medjdoub Kehal dit Djamel, ancien Directeur général de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP).

Et de culminer avec les nominations de Djamel et M’henna respectivement à la DGSI et la DGDSE, deux services qui étaient dirigés par des cadres issus des corps de bataille. 

Hassen, lui, est le général le plus proche de Toufik. Sa nomination devait achever la recomposition de l’ex-DRS et clôturer la séquence Ahmed Gaid Salah. Ahmed Gaid Salah, faut-il le rappeler, avait démantelé ce super département et mis ses services sous tutelle de l’état-major de l’armée et de la présidence de la République.

Ce fut en 2015. Ahmed Gaid Salah s’était appuyé sur Athmane Tartag alias Bachir, son ingénieur conseiller pour cette « restructuration » entamée en 2013 suite à la gigantesque prise d’otage du site gazier de Tiguentourine, lue par les décideurs de l’époque comme une faillite du renseignement algérien. 

Après cette prise d’otages, Toufik avait pris Bachir alors Directeur de la sécurité  intérieure (DSI) comme bouc émissaire, lequel se fait recruter à la présidence de la République comme conseiller à la sécurité et entreprend de limoger Toufik avec l’appui de l’état-major de l’armée. Les Bouteflika qui reprochaient à Toufik sa « froideur » au sujet du quatrième mandat ont validé le plan sans aucun problème.

Or, le duo Ahmed Gaid Salah-Athmane Tartag a démantelé le DRS et mis ses services sous tutelle de la présidence de la République et l’état-major de l’armée. Cela s’est fait à coup de limogeages et d’emprisonnements. Hassen et Djamel ont été poursuivis en justice et condamnés à des peines de prison et M’henna, alors Directeur central de la sécurité de l’armée, limogé. 

Les cadres du renseignement se donnent en spectacle

De 2015 à 2019, date de destitution du défunt président Abdelaziz Bouteflika, les services de renseignement ont connu une certaine stabilité, au moins au niveau de leur commandement. Le travail de la DGSI (contre-espionnage) et de la DGDSI (espionnage) ainsi que le renseignement technique connu communément par les écoutes, était coordonné depuis la présidence de la République par Tartag. Quant à la DCSA, elle est rattachée à l’état-major de l’armée.

Mais, la chute de Bouteflika sous la pression de la rue a fait imploser les services. Sollicité par les Bouteflika afin de trouver une solution à la crise provoquée par sa volonté à briguer un cinquième mandat, Toufik refusait de se réunir avec Tartag. Il l’avait même méprisé dans un communiqué, le qualifiant de « petit agent de renseignement ». Toufik ne lui a jamais pardonné le démantèlement du DRS et son limogeage en 2015.

Aussi, Ahmed Gaid Salah, avait-il estimé que Tartag ne l’informait pas de ce qui se tramait dans les réunions  de Toufik avec les Bouteflika. Et il avait fini par emprisonner les deux maîtres espions. Et d’autoriser Khaled Nezzar qui s’était démarqué de ces conciliabules dans une lettre rendue publique, à quitter le pays dans un avion du GLAM. Ce fut le prélude à une valse de chefs qui continue à changer pratiquement tous les six mois à la tête des principaux services de renseignements.

En trois ans, la DCSA et la DGDSE ont consommé six chefs chacune et la DGSI en a vu se succéder quatre. Beaucoup d’entre eux sont issus des corps de bataille. L’état-major de l’armée espérait ainsi apporter un peu de discipline parmi les cadres du renseignement. Il s’est retrouvé à arbitrer des rivalités et des règlements de compte en plein Hirak. Les cadres du renseignement se donnaient régulièrement en spectacle par groupes de manifestants et par blogueurs interposés.

Le slogan « moukhabarat abla »[1] versus « moukhabarat irhabia »[2] et « zouaves » versus « badissi novembari » ont a laissé peu à peu, avec l’arrêt des manifestations du Hirak, place à des lives, diffusés depuis l’étranger, qui exposent la vie privée et professionnelle des cadres des services.

Chaque nouvelle nomination est précédée d’une campagne de dénigrement et suivie d’une purge et/ou une vague d’emprisonnements dans les rangs du service concerné. Et les derniers changements n’ont pas échappé à cela. Des dizaines d’officiers ont été entendus par la justice militaire au sujet d’interférences dans le champ politique. Beaucoup d’entre eux ont fait l’objet d’un lynchage en bonne et due forme à travers les chaînes Youtube des bloggeurs attitrés des clans rivaux.

Si la réhabilitation de Toufik, Hassen, M’henna et Djamel entendait apaiser les tensions nées de leur emprisonnement, la nomination de ces deux derniers à la tête de deux directions importantes espère aussi apporter de la discipline dans leurs rangs. La sérénité si nécessaire à la consolidation du pouvoir du président Tebboune en vue d’un second mandat.

En un mot, la création d’une superstructure qui constituerait un troisième pôle du pouvoir comme cela avait fonctionné sous Bouteflika ne fait pas consensus. Le régime avait troqué ce « trépied » contre deux béquilles à partir du quatrième mandat de Bouteflika. Et les lignes n’ont pas bougé. Ni Tebboune ni le chef d’état-major de l’armée, le général d’armée Said Chanegriha ne semblent prêts à partager leur pouvoir.   


[1] « moukhabarat abla yahagrou zaoueli » : Allusion faite au Centre principal des opérations (CPO) de la Sécurité intérieure (DGSI) connu communément par la caserne Antar. Le slogan l’accuse en somme de ne surveiller que les petites gens en les soumettant aux injustices.

[2] « moukhabarat irhabia taskot el maffia el askaria » : Allusion faite au Centre principal militaire des investigations (CPMI) qui était en première ligne de la lutte antiterroriste avant la création du Scorat. En somme, le slogan l’accuse de terrorisme et accuse ses éléments de jouer aux mafiosos.