L’écrivain Boualem Sansal a accordé un long entretien au journal français Le Figaro. Une interview publiée dans la livraison du lundi 24 novembre 2025 et dans laquelle l’homme de lettres, dont l’embastillement d’une année a pris fin le 12 novembre dernier suite à une grâce présidentielle, (re)fait le récit de son arrestation en novembre 2024 et de son séjour à la prison de Koléa, dans la banlieue ouest d’Alger.
Le récit que l’écrivain fait des conditions d’emprisonnement dans Le Figaro n’est pas le même que la narration faite à Kamel Daoud et publiée dans le journal Le Point du 20 novembre 2025. À Kamel Daoud, Boualem Sansal confiait qu’il avait souffert de l’isolement : « Non, c’est l’isolement. J’étais dans un truc particulier. J’étais comme coupé du monde, sauf lors des visites de Naziha (son épouse, ndlr). »
Il y ajoute qu’il était enfermé dans un quartier de « très haute sécurité ». « Je n’avais pas vraiment le droit de parler aux autres prisonniers ou de les approcher. » En lisant son échange avec Kamel Daoud, on imagine Boualem Sansal enfermé seul et rongé par la solitude dans une cellule étroite et froide. Dans son entretien au Figaro, on découvre qu’il en a été tout autrement.
Au journaliste du Figaro, qui l’a interviewé dans les locaux des éditions Gallimard à Paris, Boualem Sansal affirme qu’il a partagé sa cellule avec un codétenu. Il n’était donc pas seul… pas isolé, comme il l’avait prétendu dans le journal Le Point. Il avait un compagnon de cellule, dont il dit d’ailleurs beaucoup de bien : « Comme j’étais un prisonnier spécial, que je ne parlais pas arabe, ils ont choisi une personne francophone. Un infirmier de profession, très précautionneux avec moi. C’est lui qui m’emmenait et m’aidait aux toilettes parce que je n’ai jamais utilisé de toilettes turques. »
« J’ai eu un traitement VIP »
Entre le jour qui a suivi sa sortie de prison et celui de son entretien avec Le Figaro, Boualem Sansal affiche deux tableaux de son séjour en prison fortement contrastés, le premier noirci à l’envi et le second verni avec soin pour luire. « Parce que moi, on m’a donné un régime spécial, si bien que tout le monde venait picorer dans mon truc. Moi, j’avais droit très rapidement à une douche par jour, alors que tous les prisonniers, c’est une douche tous les dix jours, cinq pour n’importe quel prisonnier. »
Un tel statut est enviable, pour le moins qu’on puisse souligner. Boualem Sansal, qui suppose ou préfère croire que ce traitement de prisonnier « VIP » est le fait de l’intervention d’Emmanuel Macron (déclarations et appels à Abdelmadjid Tebboune), affirme qu’à partir de décembre 2024, les conditions de son emprisonnement se sont considérablement améliorées. « (…) à partir de ce moment-là, à l’hôpital et à la prison, j’ai eu un traitement ‘‘VIP’’. » Boualem Sansal dit qu’il avait même eu droit à du papier et des crayons pour écrire… des lettres au président Tebboune. Il en a écrit une dizaine, a-t-il précisé.
Que s’est-il passé au fil des jours, depuis son élargissement le 12 novembre dernier et son entretien au Figaro, pour que l’écrivain commette deux récits distincts, contradictoires, de son séjour à la prison de Koléa ? Était-il dans le délire dans les instants qui ont suivi sa sortie de prison ? Serait-il dans un délire permanent ? Sinon, le temps qui passe lui aurait-il porté conseil ? Autant de questions qui se posent.
D’ailleurs, faut-il croire, prendre au sérieux Boualem Sansal quand il soutient dans Le Figaro que la direction du pénitencier lui a choisi un francophone comme compagnon de cellule parce qu’il ne parlait pas arabe ? Ce ne peut pas être vrai. Boualem Sansal est né en Algérie, y a vécu parmi les Algériens avec qui il a forcément échangé, y a étudié et y a occupé de hautes fonctions.
Sansal, un prisonnier « utile » pour l’extrême droite et ses médias
L’écrivain Boualem Sansal, aujourd’hui âgé de 81 ans, a été arrêté à l’aéroport international d’Alger le 16 novembre 2024. Placé sous mandat de dépôt avant d’être jugé et condamné en appel à 5 ans de prison ferme en juillet 2025. Il a été condamné notamment pour « atteinte à l’unité territoriale nationale », après ses propos dans la revue Frontières, proche de l’extrême droite française, où il a prétendu, inexactement, que des régions de l’ouest algérien auraient appartenu jadis au Maroc.
Son emprisonnement a été exploité à fond par l’extrême droite et la droite françaises, qui ont trouvé dans l’infortune de l’écrivain du carburant pour alimenter une surenchère politicienne engagée dès la fin juillet 2024, et qui a enchaîné avec la brouille diplomatique entre Alger et Paris après le soutien d’Emmanuel Macron à la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Les médias français apparentés à l’extrême droite n’ont pas été en reste en matière de surenchère. Pour eux, qui avaient besoin de s’illustrer au quotidien dans la diatribe la plus virulente à l’encontre de l’Algérie, Boualem Sansal, naturalisé français de récente date, était leur prisonnier utile. Ils ont exploité son emprisonnement à n’en plus pouvoir. Et ça continue.
Au milieu du boucan et du vacarme qu’ont soulevés les médias français proches des milieux de l’extrême droite, s’élevait, plusieurs crans plus audible, la voix incarnant haine et racisme envers l’Algérie : celle de l’ex-ministre de l’Intérieur français Bruno Retailleau, qui préconisait la méthode forte avec l’Algérie et qui s’est employé du mieux qu’il pouvait pour saborder toute approche ou initiative diplomatique que ses collègues du gouvernement auraient voulu entreprendre. Bruno Retailleau a fini par être happé par l’infortune politique, éjecté qu’il a été du gouvernement. Vaine a été son agitation.