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Frontière algéro-malienne : la crise humanitaire s’amplifie

Quatre témoins des deux côtés de la frontière partagent ici leurs récits : Ayoub Ag Chamad, porte-parole de Imouhagh Internationale, Souleymane Ag Anara, journaliste spécialiste des questions sahéliennes, Alyad Ag Toumast, médecin à Tin Zaouatine, et Achinkad, paysane et militante de la culture touarègue.


Photo : Imouhagh Internationale.

Depuis 2023, des populations civiles touarègues et maures, victimes d’exactions d’une violence inouïe, fuient leurs villages sous les bombardements aveugles de l’armée malienne et des mercenaires de Wagner. Leurs déplacements massifs, alimentés par la terreur et l’épuration ethnique, les conduisent dans les villes algériennes frontalières de Timiaouine, Tin Zaouatine et Bordj Badji Mokhtar. Mais cet exil, loin de leur offrir la sécurité, les plonge dans une misère sanitaire et sociale insoutenable. Les dernières vagues d’épidémies de paludisme et de diphtérie, qui frappent ces régions depuis moins d’une semaine, accentuent cette détresse.

Des acteurs de la société civile des deux côtés de la frontière partagent avec Twala des récits glaçants. Leurs témoignages expliquent les ressorts de cette crise, jusque-là passée sous silence. Ayoub Ag Chamad, porte-parole de l’Organisation non gouvernementale Imouhagh Internationale qui défend les droits de l’Homme, Souleymane Ag Anara, journaliste spécialiste des questions sahéliennes originaire de Tamanrasset et Dr. Alyad Ag Toumast, médecin hospitalier à Tinzaouaten (Mali) ainsi que Achinkad, agricultrice et militante de la culture touarègue, basée à Tamanrasset et qui active sur les réseaux sociaux sous ce pseudonyme, situent les enjeux et tirent la sonnette d’alarme.

Un massacre sous silence

Le nord du Mali, nommée Azawad par les Touaregs locaux, est depuis longtemps une zone de tensions entre le gouvernement malien et les populations touarègues et maures. En 2023, ces tensions ont viré à la violence, orchestrée par l’armée malienne avec le soutien des mercenaires du groupe Wagner. Les civils, essentiellement des nomades, sont désormais la cible d’une campagne d’épuration ethnique.

« La crise humanitaire a commencé lorsque le gouvernement militaire malien a expulsé la mission internationale multidimensionnelle (MINUSMA) et dénoncé l’accord d’Alger. Cela a créé un vide international qui a permis aux nouvelles autorités de Bamako de commettre leurs crimes horribles loin des yeux du monde. Des villages entiers ont été détruits avec leurs habitants, comme à Ersan, Amassarakad, Amasine, Tasc et d’autres. Depuis plus d’un an, l’armée malienne et les mercenaires de Wagner commettent des actes qui s’apparentent à un nettoyage ethnique dans un silence effrayant de la communauté internationale et régionale », explique Ayoub Ag Chamad, porte-parole de l’Organisation Imouhagh Internationale.

Photo : Imouhagh Internationale.

Les témoignages des victimes révèlent l’horreur qui règne dans cette région isolée : des bébés brûlés vifs, des femmes calcinées, des enfants abattus par des drones. Les infrastructures essentielles – écoles, puits, centres de santé – sont systématiquement détruites, condamnant ces populations à une précarité insurmontable. « La situation dans les villages reculés à l’est de Gao, dans ceux relevant de Kidal, et entre Ménaka et Kidal est, au minimum, une crise humanitaire extrêmement grave, dans une zone complètement isolée et oubliée du monde. Depuis un an, la région est sous les bombardements, y compris des centres de santé modestes, ciblés par des drones fournis par la Turquie au gouvernement militaire malien », ajoute Ayoub.

Épidémies : l’autre effet destructeur de la guerre

Parallèlement à cette guerre, une épidémie de paludisme ravage les populations réfugiées. Le Dr. Alyad Ag Toumast, médecin hospitalier au côté malien du village de Tin Zaouatine, mesure la gravité de la situation : « Nous faisons face depuis plusieurs mois à une épidémie de paludisme. C’est une maladie endémique ici, chaque année, elle atteint un pic pendant la saison des pluies. Mais cette année, le nombre de cas est bien plus important que les années précédentes. Ce n’est pas la seule maladie qui sévit : des cas d’angines, probablement la diphtérie, se multiplient, mais nous n’avons pas les moyens de confirmer les diagnostics. D’autres maladies, respiratoires ou digestives, se propagent également dans la population ».

Le médecin pointe plusieurs facteurs : « Les pluies abondantes cette année ont largement contribué à l’expansion des épidémies. Les eaux stagnantes, impossibles à traiter faute de moyens, sont devenues un terrain fertile pour la prolifération des moustiques. Mais la guerre aussi joue un rôle. Les populations déplacées en masse, concentrées à la frontière algérienne, vivent dans des camps insalubres, ce qui favorise la transmission rapide des maladies. De plus, les quelques centres de santé rudimentaires qui prenaient en charge les malades ont été détruits par les bombardements. Il y’a quelques temps j’ai assisté au bombardement de l’un de ces centres. J’étais sur place lorsque cela est arrivé. La première frappe a détruit le lieu, puis une seconde frappe a bombardé la foule qui s’est approché pour constater les dégâts ».

Les bombardements, combinés à l’insécurité permanente, empêchent toute intervention médicale sérieuse. Souleymane Ag Anara, journaliste spécialiste des questions sahéliennes, ajoute : « Des ONG comme Médecins Sans Frontières intervenaient auparavant pour prévenir le paludisme, avec des campagnes de vaccination et de distribution de médicaments. Mais depuis l’arrivée des milices de Wagner et les bombardements des villes de Kidal, Aguelhok et Tessalit, ces organismes ne peuvent plus accéder aux zones touchées. Les véhicules humanitaires sont systématiquement pris pour cibles, tout comme les civils. La population est abandonnée face à des épidémies dévastatrices ».

Un drame humanitaire des deux côtés de la frontière

Dans ce contexte de guerre, les Touaregs et Maures fuient massivement leurs terres, traversant la frontière algérienne dans l’espoir de survivre. Cependant, leur situation en Algérie ne s’améliore guère. Ayoub Ag Chamad explique : « Ces réfugiés n’ont aucun statut juridique, car l’Algérie ne les a pas reconnus comme tels. Ils ne sont ni réfugiés, ni citoyens, ni résidents légaux, ce qui les laisse dans une crise humanitaire sans précédent ».

Sur le terrain, la situation est chaotique. Achinkad, agricultrice et militante de la culture touarègue, a été l’une des premières à alerter sur les conditions de vie déplorables dans les camps algériens. « Les populations fuient la guerre en abandonnant tous leurs biens. Une fois en Algérie, elles se retrouvent dans une précarité extrême. Dans certains camps, il n’y a qu’un seul point d’eau pour des centaines de réfugiés. Sans eau potable, les conditions sanitaires sont devenues insupportables », témoigne-t-elle.

Le paludisme, qui ne connaissait auparavant aucune résonance en Algérie, fait depuis quelques jours des ravages parmi les réfugiés et la population locale. Souleyman Ag Anara, souligne : « Le problème, c’est que l’Algérie ne connait pas le paludisme. Cette maladie n’a jamais existé en Algérie et par conséquent, le système sanitaire n’est pas adapté à la prise en charge de ces populations déplacées ».

Dans les villes frontalières de Timiaouine, Tin Zaouatine et Bordj Badji Mokhtar, les centres de santé sont débordés. Ils manquent cruellement de personnel médical, de matériel et de médicaments essentiels pour traiter ces maladies qui se propagent rapidement. « Les algériens eux-mêmes sont désormais touchés par cette maladie, et les infrastructures sanitaires locales n’ont pas les moyens de contenir l’épidémie », ajoute Souleyman.

Le Dr. Alyad Ag Toumast abonde dans le même sens et alerte sur l’ampleur de la crise sanitaire : « Les autorités algériennes sont complètement débordées face à cette situation sanitaire inédite, car ces maladies, le paludisme et la diphtérie, n’ont jamais été endémiques dans la région. Le pays n’est pas équipé pour traiter ces maladies. J’ai visité des pharmacies privées du côté algérien, et elles n’ont aucun traitement antipaludique, c’est pour cela qu’il y a autant de décès. Il y a de quoi traiter les symptômes, mais pas la maladie en elle-même. Tant que la maladie n’est pas soignée, il est difficile de freiner l’épidémie et de réduire le taux de mortalité ».

La situation est encore plus complexe pour la diphtérie : « La diphtérie engendre une toxine qui attaque le cœur. Ce qu’il faut, c’est administrer une anti-toxine, mais à ma connaissance, il n’y en a pas. L’infection est traitée uniquement par des antibiotiques. Dans certains cas, même lorsque l’infection s’arrête, la toxine continue de proliférer dans l’organisme et peut entraîner le décès du patient ».

Appel à la solidarité internationale

Cette situation sanitaire alarmante est aggravée par l’indifférence de la communauté internationale. Alors que des conflits ailleurs dans le monde attirent l’attention des médias et des gouvernements, la crise humanitaire à la frontière algéro-malienne reste largement ignorée. Achinkad déplore le manque de visibilité : « Il n’y a quasiment aucune couverture médiatique de cette crise. Personne n’en parle ».

Or, les réfugiés de l’Azawad, coincés entre une guerre destructrice et une précarité insoutenable, ont désespérément besoin d’aide. « Ces personnes ne sont pas des migrants qui cherchent à partir en quête d’une meilleure vie. Ce sont des réfugiés qui veulent retourner chez eux, mais la guerre les en empêche », rappelle Souleymane.

Face à l’ampleur de cette crise, des voix s’élèvent pour demander une intervention d’urgence. « Il faut que les autorités algériennes et la communauté internationale prennent leurs responsabilités », insiste Achinkad. Elle appelle à des actions concrètes pour répondre aux besoins immédiats des réfugiés, mais aussi à des solutions durables pour construire des infrastructures sanitaires dans la région.

« J’appelle les autorités à équiper ces zones de structures de santé dignes de ce nom. Pas uniquement pour sortir de cette crise, mais pour assurer la survie des populations locales à long terme. Rien n’est aux normes dans ces villes, il y a un manque flagrant d’infrastructures de santé et d’équipements de premières nécessité. Cela empêche une prise en charge adéquate des malades et contribue à la propagation des maladies. Beaucoup de nos concitoyens sont contraints de faire des centaines de kilomètres pour se soigner dans les grandes villes ».

De son côté, Ayoub Ag Chamad exhorte la communauté internationale à agir de toute urgence : « Le Mali doit être contraint à mettre fin aux hostilités, d’ouvrir des corridors humanitaires et de permettre aux organisations internationales d’intervenir pour aider les populations. Si cela ne se fait pas rapidement, le nombre de victimes ne cessera d’augmenter ».

Il appelle également le gouvernement algérien à jouer un rôle actif dans la gestion de cette crise. « J’espère, et cet espoir est légitime, que les autorités algériennes prendront l’une des deux décisions suivantes : soit leur accorder des lieux de résidence décents, équipés de services de santé et d’éducation, gérés par le Croissant-Rouge algérien ; soit leur reconnaître le statut de réfugiés, permettant ainsi aux organisations internationales d’intervenir pour leur fournir l’aide nécessaire jusqu’à ce que la situation sécuritaire leur permette de rentrer chez eux ».

Le Dr Alyad Ag Toumast, sur le front de la crise sanitaire, lui, lance un autre cri du cœur : « Nous sommes les oubliés du monde. Les gens meurent chaque jour sans aucune assistance, et cela dans une indifférence totale. Il faut que ces organisations internationales cessent de pratiquer un humanisme sélectif. Chaque vie humaine mérite d’être sauvée ». 

Cette crise humanitaire flagrante condamne des milliers de personnes à souffrir. Les réfugiés de l’Azawad n’attendent que de retrouver leur foyer, loin des bombes et des maladies. Mais, le silence qui entoure leur souffrance retarde les interventions humanitaires ô combien urgentes.

Vidéo de Lahcen Ag Touhami.