Des dizaines de victimes civiles ont péri à cause des frappes israéliennes sans précédent sur le sud du Liban, lors d’une journée sanglante où les avions de chasse israéliens n’ont pas épargné une ville frontalière, incluant ses quartiers résidentiels.
Les habitants de villages du sud du Liban se sont réveillés en recevant des messages textos les invitant à quitter leurs maisons et leurs villages proches des sites de lancement de missiles du Hezbollah : « Si vous vous trouvez dans un bâtiment contenant des armes du Hezbollah, éloignez-vous du village jusqu’à nouvel ordre », « Si vous résidez à proximité de missiles du Hezbollah, vous devez vous éloigner d’au moins 1000 mètres de votre domicile. »
Ces messages sont deux exemples de notifications qui présupposent un déplacement immédiat des destinataires : le premier modèle suggère un exode régional, tandis que le second impose un départ calculé selon une distance précise, imposant aux déplacés une double épreuve : celle de l’exode et celle de garantir leur propre sécurité en mesurant la distance de survie.
Outre une certaine maladresse linguistique dans les deux messages, qui laisse entrevoir un effort délibéré de montrer l’incompétence de l’expéditeur en langue arabe, indiquant qu’il s’agit sans doute des Israéliens, ces messages révèlent en réalité d’autres intentions que la prétendue bienveillance de ces derniers et leur souci des civils.
Israël sait que les membres du Hezbollah sont profondément enracinés dans le tissu social du sud du Liban, tant par leurs liens que par leur présence physique. Pourtant, le message israélien exhortant les habitants à s’éloigner des installations du Hezbollah présuppose que ce dernier est une entité exposée sur le plan sécuritaire, partageant naturellement le même espace que la population civile, mais sans nécessairement leur révéler l’un de ses principaux atouts : le secret entourant son arsenal de missiles, un domaine qu’Israël semble connaître mieux que les civils du sud à l’heure actuelle.
Il est évident que l’élargissement massif des cibles israéliennes dans le sud du Liban, incluant les civils, vise à provoquer un exode de la population, avec les conséquences sociales et économiques que cela implique, notamment le déplacement de centaines de milliers de personnes vers le nord.
Cette conclusion est renforcée par le fait que ces bombardements ont été accompagnés d’une campagne de messages téléphoniques envoyés par l’armée israélienne aux habitants, leur conseillant de quitter « les zones proches des installations du Hezbollah ». L’un de ces messages a même été reçu sur un téléphone dans le bureau du ministère libanais de l’Information. Il convient de noter que la capacité des habitants à déterminer s’ils vivent près d’installations du Hezbollah est quasi inexistante. Ces messages sont donc une invitation claire à partir avant de devenir la prochaine cible des frappes.
Des dizaines de frappes aériennes ont visé la plupart des régions du sud du Liban, jusqu’à la région de Saïda. Il est apparu clairement que nombre de ces attaques ont touché des zones où il n’y avait aucune trace de combattants du Hezbollah, ressemblant davantage à des messages sanglants incitant les habitants à fuir. Certains villages, jamais ciblés auparavant, notamment dans les régions de Bint Jbeil, Marjayoun, Nabatiyeh et Tyr, ont également été frappés.
Israël a souvent utilisé le phénomène de l’exode pour exercer une pression sur les lignes de front au sud du Liban. Cette fois-ci, la campagne semble avoir pour objectif de « ramener les habitants du nord d’Israël dans leurs foyers », ce qui laisse penser que l’intensification des déplacements forcés des villages du sud du Liban sera une des formes de cette pression.
Les premiers signes de cet exode se sont manifestés par les images de voitures fuyant du sud en direction de Saïda et Beyrouth. La carte des cibles inclut des zones périphériques des villages, et les points frappés par les avions laissent penser que les bombardements sont de nature préventive, visant des civils, et ne font pas partie d’affrontements directs ou de ripostes contre les positions de lancement de missiles du Hezbollah.
Face à cette situation, il apparaît qu’Israël a décidé que la pression de la guerre devait également s’étendre au gouvernement libanais. Les centaines de milliers de déplacés représenteront un fardeau supplémentaire pour un gouvernement déjà épuisé. Il est fort probable que cette étape précède d’autres frappes sur des infrastructures civiles telles que les routes et les ponts.
Il est à remarquer que les messages textuels aient été envoyés uniquement aux lignes fixes, et non aux téléphones prépayés. En examinant la cible de ces messages, on constate à nouveau l’étendue de l’infiltration d’Israël dans les réseaux de communication au Liban. Dans la situation actuelle, il semble qu’Israël ait délibérément visé une catégorie de personnes dont la possession d’une ligne fixe nécessite une certaine formalité, ce qui n’est pas forcément le cas pour les lignes prépayées.
Le traçage de ces messages ne provoquera probablement pas d’effets psychologiques dépassant la peur et l’attente anxieuse imposées par l’escalade récente des règles d’engagement qui ont dominé le front sud depuis le 8 octobre 2023. Néanmoins, il s’inscrit dans cette logique.
Depuis les explosions des bipeurs, suivi de l’assassinat du dirigeant du Hezbollah, Ibrahim Akil, et la riposte du Hezbollah, la plupart des villages du sud du Liban ont dû cohabiter avec une escalade quotidienne de la violence. Cela a élargi la zone des cibles israéliennes, qui ne se limite plus aux villages frontaliers, mais inclut désormais des zones reculées dans la majorité des villages du sud et de la Bekaa, avec une intensité croissante.
La montée de la peur, également alimentée par cette escalade, a conduit à la fermeture des établissements éducatifs au-delà des villages situés le long de la frontière avec Israël. La récente riposte du Hezbollah à la « boucherie des bipeus » a conduit à la fermeture des établissements scolaires dans le nord d’Israël, y compris dans la ville de Haïfa, révélant ainsi une sorte d’équilibre de la terreur éducative, si l’on peut dire. Cependant, cet équilibre, dans une perspective générale, conduit à « l’ignorance », en supposant que cette dernière est l’opposé du savoir. Bien que temporaire, cet équilibre s’aligne sur le cours de la guerre et ses réalités.
L’auteur de ces lignes, comme tant d’autres citoyens du sud, est actuellement soumis à un bombardement israélien d’une violence inouïe depuis le début de la guerre, la terreur devenant une constante pour les habitants de son village, un sentiment qui s’étend aux villages environnants et qui se traduit par un exode massif.