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Présidentielle anticipée : ce qui a motivé la décision de Tebboune


Le président de la République Abdelmadjid Tebboune a décidé, à la surprise générale, de rapprocher l’élection présidentielle de trois mois. Il l’a programmée pour la 7 septembre 2024, alors que, s’il devait aller au terme de son mandat actuel, elle aurait lieu au mois de décembre 2024.

Qu’est ce qui a véritablement motivé cette décision ? Quels en sont ses tenants et aboutissants ? Le chef de l’État ne s’est pas cru obligé d’adresser un mot à la Nation pour éclairer l’opinion sur une décision autour de laquelle se répandent les spéculations les plus folles.

Dix jours après avoir annoncé une élection présidentielle anticipée, Abdelmadjid Tebboune garde toujours le silence. C’est à croire qu’il ne se sent pas l’obligation de s’expliquer sur sa décision politiquement engageante pour la Nation, tant est qu’il s’agit de la date d’une compétition électorale majeure. Les explications sous-traitées à l’agence de presse officielle, APS, on ne sait par quel oracle, ont plus rajouté à l’opacité de la démarche présidentielle. Pas de quoi éclairer les lanternes, en fait.

Le jeudi 21 mars 2024, un communiqué de la Présidence de la République informait que le président de la République a présidé une réunion consacrée à la préparation de l’élection présidentielle prochaine. Le conclave en question, c’en est vraiment un, a regroupé, selon la même source, le président de l’Assemblée populaire nationale (APN), le président du Conseil de la Nation, le président de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre, le chef d’état-major de l’ANP, le directeur de cabinet à la présidence de la République, le ministre de l’Intérieur et des collectivités locales et le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE).

La décision prise lors de cette réunion est annoncée de manière brute, en une seule phrase, sans aucune forme d’explication.

« Il a été décidé d’organiser des élections présidentielles anticipées, dont la date est fixé pour le 7 septembre 2024, et le corps électoral sera convoqué le 8 juin 2024 », est-il uniquement souligné dans le communiqué de la présidence de la République. Soit, mais la grande question que suscite légitimement une telle annonce, c’est de savoir pourquoi cette anticipation, est restée sans réponse.

Il est vrai que la Constitution confrère au président de la République la prérogative de décider d’organiser des élections présidentielles anticipées (Art.91 alinéa 11), sans lui faire expressément obligation de justifier sa décision, mais les us politiques veulent qu’un chamboulement du calendrier électoral, même si c’est de quelques petites semaines, soit motivé et l’opinion informée. Or, le président Tebboune s’est abstenu de se rendre à cet exercice de communication, du moins jusque-là.

Généralement, l’anticipation d’une élection présidentielle, autrement dit le raccourcissement d’un mandat, procède d’impératifs politiques majeurs ou de situations d’urgence. À moins que cela relève du secret bien gardé, l’Algérie n’est pas confrontée à une situation d’urgence qui dicterait d’organiser une élection présidentielle avant échéance. Les impératifs politiques doivent, eux, certainement exister. Mais alors lesquels ?

Les rédacteurs de la dépêche APS « présidentielles anticipées : les raisons d’une annonce », publiée le vendredi 22 mars 2024, ont souligné « un retour à la normalité ». Ils ont également expliqué que « les menaces extérieures sont telles, réelles et palpables, qu’écourter le premier mandat est une nécessite tactique. Une anticipation de turbulences programmées. L’enjeu international prédomine sur l’enjeu national ». Il est peu vraisemblable que le rapprochement de l’élection de trois mois procède d’un choix « tactique », comme le suggèrent les rédacteurs de la dépêche APS. Un retour à la normalité parait un argument plus plausible.

Rectifier le calendrier électoral tout en évitant le retour à avril

En 2019, le mouvement « Hirak », l’un des plus puissants soulèvements pacifiques populaires de l’Algérie indépendante, a contraint, l’action des décideurs du sérail aidant, le président Abdelaaziz Bouteflika, qui briguait un 5e mandat, malgré son impotence avérée, à abandonner le pouvoir. L’élection présidentielle, programmée pour le 18 avril 2019, est conséquemment reporté à une date ultérieure.

Programmée une seconde fois pour le 4 juillet de la même année, l’élection présidentielle sera de nouveau reportée sine die et l’intérim de chef de l’État assumé alors par Abdelkader Bensalah est illégalement prolongé. L’élection aura lieu finalement le 12 décembre 2019, soit avec 9 mois de retard sur son échéance initiale.

Abdelmadjid Tebboune a, donc, été élu lors d’une élection présidentielle dont la date n’a pas découlé d’un calendrier électoral régulier, mais imposée par des contingences politiques internes.

L’escale électorale de décembre 2019 a procédé d’une contrainte : sortir au plus vite de la transition que vivait alors le pays et revenir à l’ordre institutionnel…dans l’année. Sinon, le mois de décembre n’est pas indiqué pour une élection présidentielle. Rares les pays au monde qui font coïncider ce rendez-vous électoral avec la fin de l’année, laquelle est souvent dédiée aux bilans et autres signatures (la loi de Finances, notamment).

Il est fort à parier que ce n’est pas pour laisser l’élection présidentielle enfermer dans l’échéance de décembre que le président Tebboune à décider d’écourter son mandat. Il a agi de la sorte dans le but de « rectifier » le calendrier électoral relatif à la magistrature suprême. Et, pour ne pas écourter de trop sans mondat, il a choisi de la raccourcir de juste trois mois.

D’ailleurs, en politique, un rapprochement d’une échéance de trois mois n’est pas véritablement une anticipation. L’élection présidentielle prochaine aurait été vraiment anticipée si Tebboune l’avait fixée au mois d’avril 2024, pour reprendre le processus là où il avait été interrompu en 2019. Or, il y a certainement plus d’une raison pour qu’il évite un tel encastrement.

Avec l’élection présidentielle, ramenée donc à début septembre au lieu de décembre, l’élu aura tout le temps d’être investi dans ses fonctions avant l’entrée de la nouvelle année. Ce qui n’est pas évident si l’élection était maintenue pour le mois de décembre.

Au cas où les urnes décideraient d’un second tour, l’élection du président, et donc, son investiture, débordera sur la nouvelle année. D’aucuns diraient que ce n’est pas grave. Soit, mais ce n’est pas bien qu’une élection chevauche sur deux années, ne serai ce que dans la forme.

Pourquoi le président Tebboune a-t-il choisi le mois de septembre ou le mois de juillet ? On sait, du moins on peut deviner pourquoi il n’est pas revenu à avril, mois des présidentielles sous Bouteflika.

Pour le mois de juillet, l’explication la plus plausible est qu’il n’est pas judicieux de convoquer les électeurs aux urnes pendants les grandes vacances. De plus, juillet est connu pour être le mois des grandes chaleurs. Aussi, la rentrée sociale est-elle toute indiquée pour l’organisation de l’élection présidentielle. D’où sa programmation pour le 7 septembre 2024.

L’autre calcul auquel le président se serait rendu en choisissant le début septembre pour l’élection présidentielle est lié à sa visite d’État en France, prévue pour fin septembre et fin octobre 2024.

Le président Tebboune, dont la candidature pour un second mandat ne fait presque pas de doute, voudrait entamer son second mandat, s’il est élu, bien sûr, par une activité politico-diplomatique d’une grande portée : la visite d’État en France. Une visite maintes fois reportée. Abdelmadjid Tebboune s’est sûrement dit, à raison, qu’il vaut mieux qu’il se rende en France en président reconduit qu’en qualité de président sortant…au mandat finissant.